Yume était partie un peu… choquée de par le fait que j’avais insulté dans à peu près toutes les langues que je connaissais ce câble Jack de merde qui avait bien tenu cinq ans et qui avaient du me coûter moins de la moitié de la misère africaine. Je savais très bien que si je continuais à maltraiter ma basse comme ça, c’était tout le système électronique qui allait en pâtir, et potentiellement mon ampli également. En soi ça va, je crois que cela ne faisait que deux heures que l’intégralité de l’internat des filles pouvait entendre un démon raisonnait dans les couloir de l’établissement, à en crever les oreilles chastes et vierges des premières demoiselles en première période de règle, pendant que moi, j’ai l’impression que mon âme entière pisse le sang tant je souffre à l’idée de ne pas pouvoir faire raisonner ce son mélodieux distordue de mon ampli et de sa pédale Wah. Je souffle de nouveau un coup et profite d’être seule dans la piaule pour essaye de voir si a ne peut pas venir de l’ampli ou de la basse, mais définitivement, non. Ce câble Jack merdique se fait vieux, et il serait peut-être temps que j’en rachète un tressé, au moins, quitte à dépenser 1500 yens dedans.

J’en profite pour arracher un bout de page d’un cahier pour commencer à écrire dessus. J’ai pas envie de sortir fréquenter du monde pour rien, alors autant  en profiter pour acheter tout ce dont j’ai besoin. Je commence à lister avec en priorité, ce câble de merde. Le micro je le laisse : je vais pas pourrir ma Rickenbacker avec un micro de moins bonne qualité, c’est sans doute le seul truc que j’avais avec autant de valeur dans tout ma foutue vie, alors autant en prendre soin correctement. Les cordes, j’hésite… Peut-être que s’il me reste des sous avec le budget, ça serait pas mal que je songe à me prendre une gamme un peu au-dessus, j’ai pendant quasiment un an, jouée avec des Ernie Ball premier prix… Des Pro Steel ou des Elixir à revêtement ne leur ferait pas de mal. Des médiators, aussi, pour quand je veux jouer du Motörhead avec une morceau complet composé de trois notes sur lesquelles je pourrais m’acharner comme la dernière des attardées, et réveiller en week-en les filles de la chambre d’à côté (de toute façon je les aime pas et ça a l’air réciproque, mais moi au moins, je dors bien). Tiens, une sangle, ce serait bien ça aussi, non ? Pour jouer autrement que assise, ou avec un truc qui frotte le cou comme pas permis ?

Bon. Une fois les comptes faits de tout ce que j’ai à prendre, je risque d’en avoir pour près de 10 000 Yens… Eh bah, c’est pas donné, la musique. Je soupire et me dit que je verrai bien sur place, après, tout, certains éléments peuvent attendre, mais il me faut au moins une nouvelle sangle et un câble Jack. Les cordes sonnent encore très bien, après tout – ou du moins, elles sonnent correctement, et j’aurai clairement pas les sous pour un jeux à plus de 5 000 Yens. Des fois je me dis que commander sur internet serait un bon compromis, également, mais je sais pas trop sur quel site aller. Peut-être que Zelda pourrait m’aider ? J’espère… Enfin, non, de toute façon, les petits commerces ont déjà du mal à tenir, alors autant éviter de les enfoncer encore plus avec un système capitaliste aussi poussif que celui dans lequel on vit. Même si quelque part, eux aussi ils y contribuent. Je m’en vais vers mon placard, cherchant rapidement de quoi sortir. Ouais, ce sera pantalon en toile beige, converse et sweat de Flatbush Zombie. Après tout, ça dénotera pas avec ma gueule. Je fouille rapidement mes poches, mais je n’ai ni matos, ni fin de clope, ni rien de tout ça. Et je sais que je n’aurai rien avant au moins la semaine prochain… Je me déteste, putain.

Et du coup j’ai New World Order dans la tête. Sympa, mais j’sens qu’il va vite falloir que je change d’ambiance. Je suis pas du tout dans le mouv’ d’écouter du hip-hop alternatif. Ni même du reggeaton, bref, j’ai envie d’écouter du son bien lourd. Je suis un peu dans ma période metal, en ce moment. Et je dis ça avec un sweat jaune écriture verte fluo du nom d’un groupe de connards qui rappent sur une instru’ à deux beats par secondes. Ouais, on va dire que j’avais mille occasion de mieux me faire remarquer, hein. La basse dans sa housse, je m’en vais pour le centre-ville de Nara.

-

Quelques minutes de marche et un transport commun emprunté, et me voici désormais dans le centre commercial. Je remarque rapidement l’affiche annonçant un bœuf au niveau du magasin de musique. Tiens ? Ils l’autorisent malgré le potentiel bordel que ça peut faire ? Ma foi, essayons. Je monte et voit plusieurs personnes passer, une fois que j’entre dans le magasin de musique, tous pour s’inscrire au bœuf. Un mec tente de m’approcher et je le fusille suffisamment du regarde pour lui faire comprendre que j’en ai pas spécialement envie. Les gens ont l’air à la cool ici, je suis sûr qu’ils pourraient installer une petite buvette… Putain, pourquoi c’est pas ça que je ferai, comme métier ? Ceci dit, le mec a l’air de revenir à la charge, et je remarque rapidement un truc : personne n’est derrière le comptoir, et il se présente à moi comme le vendeur, m’incitant à jouer pour le bœuf…

…

Je sais même pas comment j’ai finit par me laisser convaincre à inscrire mon nom sur ce foutu papier. Je ne me souviens pas avoir déjà joué devant plusieurs personnes, autres que quelques potes et ma famille, et ces gens autour de moi, même s’ils ont l’air très cool, me font un peu peur, soudainement. Parce qu’ils vont juger. Alors je me permet de faire pareil un instant, mais le mec qui à jouer de sa guitare ne fait rien d’exceptionnel… Après tout, on a l’air d’être sur une ambiance bon enfant, j’espère qu’ils ne m’en voudront pas trop de bien jouer. Certains font juste leur emplette et partent sans prendre le temps d’écouter la musique que ces personnes jouent. Dommage, le musqiue n’est pas qu’un simple bruit de fond, pourtant, si ? Enfin, remarque… Ça dépend… J’en profite donc pour faire le tour du magasin. Ils ont vraiment de beaux instruments, ceci dit. Je me tâte à en essayer quelque-uns, mais je me convaincs de trouver rapidement les éléments que je suis venu acheter. Finalement, j’ai un peu surestimé mon budget prévu à dépenser, les prix sont vraiment bas et quelques promos font que le tout devient assez intéressant. Je choisirai les cordes avec le vendeur, mais je préfère me rapproche de cette espèce de petite scène improvisée. Le magasin n’est pas immense, mais il est assez grand pou contenir cette vingtaine de personnes  qui admirent les gens développer leur sens musical. Tiens ? Une blonde ? Au moins je serai pas la seule à avoir les cheveux clairs. Elle joue bien mai sans plus, elle ne semble pas jeune… J’ai déjà vu sa tête, mais impossible de dire où.

C’est mon tour. Finalement je ferai peut-être moins tâche. Dans l’ordre, je met l’ampli en stand-by, branche ma basse dessus (je touche pas à une Fender, en basse, c’est mort, surtout si c’est pas à moi, un instrument c’est comme une culotte, ça se prête pas), je remet l’ampli en mode actif. Une pédale est branchée, et ça a l’air de tenir. Puissance moyenne, j’ai pas envie de faire vibrer tout le centre commercial non plus. Je vois mes doigts qui tremblent et mon coeur qui bat un peu trop vite : j’ai jamais joué sur une scène, devant des gens, pour des gens. Enfin… Non, je joue pour moi avant tout. Je souffle un bon coup et repense aux quelque riffs un peu iconiques que je pourrai faire… Metallica ? Slayer ? Trop basique, trop simple… Trop connu. Non, je pars plutôt sur du plus obscur pour le grand public, mais du grand public pour les metalleux. Ils sont un peu en majorité j’ai l’impression. Je leur souris comme je peux…

« - J… Je joue pas… Devant des gens. Normalement. Enfin… J’ai jamais joué… »

Maladroite, mais je pense suffisamment claire, j’en vois deux trois ricaner… J’avoue que ça m’agace un peu, mais eux doivent avoir l’habitude de la scène… Mais moi aussi je peux leur montrer qu’une déglinguée comme moi peut être capable de quelque chose d’au moins sympathique. Avec quelques variations, j’entame l’arpège que l’on ferait à la guitare en temps normal d’un morceau bien connu au titre bien trop cliché d’Avatar. Je marmonne le chant pour me rappeler du rythme, même si je ne connais pas vraiment les paroles. De toute façon, y’a pas de micro, on m’entend pas, donc c’est tant mieux. Je reste en clair, réglant au bout de deux notes de jouées l’ampli d’une manière à ce que le son sonne comme un peu plus angélique à mes oreilles. La pédale Wah a été utilisé par un bassiste deux tours avant la bonde, et la disto’ me convient parfaitement. Ainsi j’entame mon arpège… Pas si longtemps que ça, une dizaine de secondes, avant de marqué un temps et demi de silence. Pédale enclenchée, on entame sur quelque chose de plus brut : du pur death metal joué à la basse, au son gras et entraînant. J’enchaîne quelques lignes classiques avant de voir mes doigts danser sur le manche de Kristina.

J’agite ma tête en même temps que je joue, j’en vois quelques uns faire de même. Ça me fait sourire, jusqu’à ce que quelques fausses notes commencent à se faire entendre. Ça me ramène sur terre. Je… Non, je sais pas encore jouer sans stresser devant un public et je finis le morceau de manière un peu bâclée. Certains sourient, mais ça ne semble pas méchant, ils n’ont pas l’air mécontent de ma performance, même si je la trouvais passable, puis passant à médiocre sur la fin… Punaise, les deux trois fausses notes, même si c’est de la basse, j’entendais que ça. Le vendeur a l’air surpris, mais sans plus, et moi je retourne simplement au niveau du comptoir. Avec mes deux trois articles tête baissée. J’avoue m’être trouvée extrêmement gênante et j’ai un peu du mal à savoir réagir fasse à un public, surtout s’il est composé d’autant de passionnés… Je n’ose même pas demander un nouveau jeux de corde au vendeur, je me content juste de choisir une sangle rigolote, et deux trois plectres épais en acajou que je pose sur le comptoir avec un câble Jack tressé… Et j’attends le vendeur. J’hésite vraiment à relever la tête ou à mettre ma capuche, plutôt… C’est stressant… J’aime pas stresser.

« - Chouette passage pour une première ! Y avait de l'idée je trouve. Ça fait longtemps que tu joues ? »

C’est la bonde de tout à l’heure. Elle a de la gueule, et clairement elle donne confiance, ça me donne bien envie de jouer à ses côtés, amis je dois avouer ne pas savoir ce que ça donnerait. Ceci dit, le fait qu’elle porte son intérêt sur ma prestation me touche. Je pensais pas avoir un quelconque retour ou quoi. Mais je reste forcée de constater qu’elle passe dans un premier temps avant moi à la caisse, et que malgré mon envie de parler, absolument rien ne sort. Elle discute avec le vendeur, comme si c’était naturel, comme si c’était un pote. Ils se connaissent si bien ? J’écoute sa phrase suivante.

« - Ça faisait un moment que j'étais pas venue ouais. On était en tournée. Et on devrait repartir le mois prochain normalement. Donc on fait le stock ! »

Elle a un groupe. J’ai absolument aucune idée duquel, parce que le nom, j’arrive pas à me le rappeler, mais je suppose que c’est un groupe assez influant pour qu’elle ait à faire le stock pour toute sa bande. À moins que l’organisation se fasse autrement ? Non, en vrai je n’en ai absolument aucune idée, c’est super étrange parce que sa tête ne me dit absolument pas rien. Elle a plus une prestance viable que la mienne, c’est assuré par son attitude clairement plus mature, on lit dans son regard ses responsabilités ; elle dégage quelque chose qui donne envie de la respecter. Je la respecte, clairement, mais je ne sais pas pourquoi. C’en est presque étrange, ou intriguant , je ne sais pas trop. Je me concentre dans un premier temps sur qui elle peut bien être, mais je sais clairement que je ne la reverrai plus par la suite. De toute façon, j’arrive à peine à aligner un mot, j’ai même pas su lui répondre qu’elle est partie dans sa conversation avec le vendeur. Bon, en soi, je me rend compte que je suis un peu plus grand qu’elle, je ne devrai pas être impressionné, après tout, c’est aussi la taille qui compte…

Je vois le vendeur s’éloigner rapidement chercher un truc, je ne sais trop quoi, et j’en profite : il faudrait bien au moins entamer la conversation, peut-être que je finirai par me rappeler où est-ce-que j’ai potentiellement pu la voir.

« - Ça va faire depuis que j’ai dix ans, que j’touche à la basse. J’estime que c’est pas encore trop ça, même si je joue le plus souvent possible, mais bon… Merci du compliment. Je pensais pas que quelqu’un… me… le dirai ? »

Je ne trouve pas tant mes mots, mais j’essaye de communiquer un minimum correctement, j’ai en face de moi une interlocutrice qui reste impressionnante, mais face à elle, je me sens vraiment gamine. J’aimerai bien savoir ce qu’elle fait, mais j’ai du mal à essayer d’engager un semblant de conversation. Quelque chose me bloque. Je regarde ces gens passer pour le bœuf, et j’en vois simplement profiter, je me doute qu’ils ne se connaissent pas tout, et échangent assez aisément. N’avoir aucune substance quelconque dans le corps n’aide visiblement pas tant à me concentrer sur comment aborder quelqu’un, déjà qu’en soi, je trouve pas ça évident, si je perd mon seul avantage pour que cela fonctionne efficacement, autant abandonner tout de suite.

…

Enfin, non, je suppose que je dois aussi me pousser à faire un premier pas. Je me doute qu’elle restera un moment ici, si elle a tant de commandes à faire, puis contrairement à moi, elle doit avoir au moins un peu plus que la musique en tête. Je ne sais pas quel âge elle a non plus, étrangement, ça ne se lit pas sur son visage. Elle fait un peu… à la fois vieille et jeune. Comme si elle avait brisée cette frontière pour proposer des traits venus d’une dimensions où la vieillesse ne savait pas se marquer. Je lui donnerai difficilement trente ans, mais elle pourrait m’annoncer quarante que cela ne me choquerait pas pour autant. Cela étant dit, j’avoue quand même lui donner les alentours de la trentaine. Elle dégage quelque chose de très jeune, malgré tout. Enfin, ces pensées désormais de côté, je me re-concentre sur ma manière que j’ai de l’aborder, cherchant à enchaîner au plus naturellement ma phrase précédente par la suivante :

« - Et toi, du coup, tu fais quoi dans la vie ? T’as beaucoup de matos, et euh… j’ai cru comprendre que tu faisais partie d’un groupe ? »

« - Pas encore trop ça ? J'imagine que ça dépend de tes objectifs en fait. En soi, on peut toujours faire mieux… »

Des objectifs, hein ? Je dois bien avouer ne pas en avoir spécialement, ni même lesquels chercher à atteindre. Je joue pour jouer, plus que pour chercher à faire plaisir, je m’épanouis là-dedans, et c’est déjà pas mal. En soi, c’est bête, mais ces quelques mots me suffisent à repenser la question, à me reposer le crâne et à me laisser penser que j’ai à réfléchir sur ma manière d’appréhender la scène. Je me met à lui hocher simplement la tête en signe d’approbation, ne trouvant pas de mots à mettre sur ces premières paroles. Mais outre ce mutisme de ma part, ça évacue totalement ma manière d’être précédente, ne me focalisant désormais plus sur ce que j’ai raté, mais sur ce que je peux réussir, c’est satisfaisant, et surtout, je me sens plus à l’aise en compagnie de la blonde à mes côtés. Je me préoccupe bien moins de son jugement également, en fait, j’ai l’impression de redevenir celle que je suis, maintenant que tout cela est passé. Cela étant dit, je la laisse continuer développer oralement sa pensée.

« - Après je connais pas ton niveau en général, mais en public ça change tout. C'est hyper courageux de se lancer, donc bah déjà bravo ça ! Faut pas te juger trop durement sur ta prestation d'aujourd'hui. T'auras tout le temps du monde dans ta chambre pour peaufiner la technique. C'est pas sur scène qu'on apprend ça... Mais ouai désolée, je savais pas si t'avais envie de retours, c'est pas forcément l'endroit pour ça... Mais en te recroisant je trouvais ça trop bête de rien te dire non plus ! Pardon si c'était intrusif, je suis pas toujours très maligne.

- Non non, t’en fais pas, au contraire. Je sais pas ce que je vaux sur scène, donc un retour, c’est pas plus mal, je suppose. »

- D'ailleurs je suis désolée si je t'ai grillé ta place ! Je pensais qu'il t'avait encaissée déjà, je voulais juste poser le bordel... J'allais finir par tout laisser tomber et j'aurais pas eu l'air con... enfin si. Mais bon. Bref désolée, c'était pas mon intention !

- Ah, non non t’en fais pas, fait donc ! »

Elle était avant moi, d’ailleurs ? Elle parle beaucoup. Ça doit être une manie chez les gens de la ville de Nara, de s’exprimer autant, comme ça, sans s’arrêter. Ou alors c’est juste que je les attire, c’est au choix. Ma fatigue me reprend soudainement, moi qui pensait avoir, pour une fois, passé une nuit réparatrice, il s’avère que j’ai passé mon temps à attendre avant le bœuf pour finalement me voir discuter avec une personne, je ne pensais vraiment pas que ce genre d’activités serait épuisant. Bref, la voici donc qui finit par répondre à mon interrogation précédente, et mes yeux s’écarquillent en entendant ne serait-ce que sa première phrase :

« - Je suis chanteuse dans le groupe Schwarzbald. Tu nous as peut-être croisé sur une affiche ou quelque chose du genre, on tourne pas mal. Mais comme ça paie pas encore toutes les factures, tout le monde bosse à côté. Du coup on désigne une personne pour aller faire les courses pour la tournée à venir. Cette fois-ci c'est pour ma pomme. D'où cette quantité de matos improbable. J'ai posé plus de de cordes sur ce comptoir que mes pauvres doigts ne sont capables de gérer ! Bref, pardon on s'en fout... Moi c'est Karin, enchantée. »

Et voici qu’elle me tend la main que je m’empresse de lui serrer telle une pure valkyrie, avec une pigne que je ne qualifierai certainement pas de délicate, appréciant sa motivation à se présenter à moi ainsi et de la sorte : je suis devant la chanteuse de Schwarzbald… J’ai pas grand-chose à dire de plus à part que ouais, en effet, je les suis, et ouais c’est cool, mais sans maquillage, clairement, c’est pas la même personne, puis quelque part, elle semble plus douce – tout en sachant qu’il n’est pas bien dur de faire moins douce que dans un clip ou un EP, ou même en avant d’une scène de concert, quand tu es choriste, chanteuse, chanteur ou musicien, de manière plus générale, d’un groupe de black metal. Et même si j’en écoute de moins en moins, je connais le nom, et je suis assez surprise de voir la chanteuse en personne m’encourager et me serrer fièrement la main. Mon sourire ne fait que s’agrandir, et je me permet de la laisse continuer, car auprès tout : son altesse a la parole.

« - Et toi alors ? Que fais-tu de beau dans la vie quand tu ne prends pas ton courage à deux mains pour monter sur une scène de boeuf ?

- Jóna Hulda, pour te servir. Je suis ce que vous faites et c’est ouf, je pensais pas te serrer la main , honnêtement, je trouve ça assez impressionnant comme… rencontre. »

Je reste encore un léger temps en admiration avant de lui lâcher la main : je ne vais pas rester comme ça pendant mille ans à avoir l’air d’une lèche-cul à faire la nana trop polie alors qu’il est clairement écrit en gros sur mon visage que je suis tout, sauf dans des règles pré-établies d’une société qui s’animent sous le joug du capitalisme actuel, dont on est tous victime, au final, même moi. Mais pour le coup, je reste encore un peu bouche-bée quant à cette rencontre que je juge comme intéressante, après tout, peut-être que je jouerai un jour avec elle ? Ha ha, même pas en rêve. Pourquoi se déciderait-elle à jouer avec une gamine comme moi ?

« - Enfin pardon, du coup, oui, je... J’suis lycéenne à l’académie du coin, ça me saoule et je sais pas trop quoi faire après le lycée. J’hésite encore sur mon avenir. Donc en attendant je joue de la basse, pour mon propre plaisir, pour mes potes, parfois pour faire chier un surveillant, mais c’est occasionnel, puis il l’a cherché. »

J’ai l’impression de raconter absolument n’importe quoi, je veux dire… je suis pas en train de parler à une pote, mais à un membre d’un groupe que j’aime, que je suis (bon, rapidement, car le black metal n’est pas ma grande spécialité, avouons-le), qui fait du bon son, et qui est reconnue dans le coin. Je souris juste bêtement, comme un peu gênée, puis je me permet simplement de rajouter :

« - Je suis venu me racheter un semblant de matos. Ca va faire six ans, bientôt, que je me trimballe ce même câble Jack premier prix pour l’ampli, et honnêtement, cette sangle, ce n’est plus vivable du tout… J’ai des sales marques à force de jouer quand je suis seule, ça frotte et c’est horrible. »

Quand j'suis seule, ou traduisez plutôt par : quand je suis à la cool, en débardeur ou en soutif (quand j'en porte). En même temps que je m’explique, j’en profite pour tirer un peu le col de mon sweat, attrapant également mon t shirt que je tire pour lui montrer la belle marque pourpre qui se fait marquée, en plus de mon début d’eczéma. Le combo ne donnait pas un truc très chouette à voir, mais au moins, je pense qu’elle comprendrait pourquoi j’investis pour une sangle plus épaisse et en cuir, un cuir soit dit-en passant assez épais pour m’apaiser au niveau des frottements, du brossé mais doux, pas du brossé sec à dix millions de yens. J’essaye de rester sur des prix abordables, mais c’est vrai que j’ai toujours du mal à choisir quoi prendre. Je relâche le col de mon haut et secoue ainsi rapidement la tête. Ah oui, je devais voir pour un jeu de cordes, aussi. On verra quand l’autre reviendra.

« - Haha, merci ! Ça fait super plaisir en tout cas de te parler. Par contre je pensais pas impressionner qui que ce soit en civil. Surtout pas quelqu'un d'au moins une tête de plus que moi voyons !

- Maaaais, te sent pas gênée, c'était pas le but, ha ha ! Puis, bon, la taille ne fait pas tout, sinon j'aurai quitté mon ex-petit copain bien avant ! »

C'est faux : j'ai clairement jamais eu de petit copain. Je sortais juste ça pour la punchline.

Clairement, même si je suis imposante, je considère qu'elle a bien plus de présence d'esprit et de prestance que moi. Elle m'intrigue un peu et ça ferait une excellente connaissance, alors autant continuer dans cette lancée ! J'en profite également pour sortir mon reste de tabac en miettes afin de commencer à me rouler une cigarette, parce que j'imagine que je ne peux pas rester sans rien faire pendant que je parle, et au moment de le prendre en main, je me rend compte que la personne en face de moi tilt que je suis au lycée... Je réfléchis un bref instant. Est-ce-que je le sors ? Est-ce-que je vais me prendre une leçon de morale ? Remarque, de la part d'une blackeuse, ça risquerait de faire tâche de s'excuser pour "ça"... Je pourrais peut-être même en profiter pour lui demander d'aller me chercher mon tabac. accepterait-elle de contribuer à mon cancer prématuré ? Remarque, avec ma gueule...

Cela dit, voilà qu'elle reprend sur la question du lycée, en parlant de ça, mais plus d'un point de vue musical. Peut-être pense t-elle qu'absolument si on est à l'école et qu'on joue d'un instrument, on est dans un groupe comme tous les lycéens clichés de séries américaines et de manga à la K-on (à la con, à la k-on, c'est bon, vous l'avez ?). Me résignant à continuer simplement à déblatérer comme une personne normale avec elle, j'admet me sentir à l'aise en la présence d'une personne que je suis et que j'admire malgré tout un peu (même si je ne considère pas le black metal en haut, fait j'avoue que cela fait un excellent défouloir, bien plus que le death).


« - Ha oui, le lycée c'est angoissant pour ça. Je compatis, je savais pas du tout ce que j'allais faire après non plus ! Jouer de la basse en attendant me semble un bon plan de survie. T'as bien raison. Vous jouez ensemble avec tes potes ou juste tu leur montres ce que tu sais faire ?

- Non, j'ai pas de groupe, et pas vraiment de potes, et même à mes potes proches en soi, je leur montre pas vraiment. Je joue pour moi, pour passer le temps. »

Vais-je passer pour un cliché de cas social énigmatique et sans connaissances aucunes, qui ne cherche pas à se faire d'amis ? Peut-être. Mais j'en ai rien à foutre. Ce n'est pas comme si le jugement des autres m'importunait en somme, d'ailleurs, j'en viens à penser une question bête dans ma tête : était-elle comme moi ? Peut-être qu'elle était ce genre de lycéenne qui foutait un peu le bordel pour déconner, pour passer le temps, j'avoue bien vouloir lui demander, pour le coup. Bref, voici qu'elle enchaîne donc suite à la vue de mon épaule sur ma sangle, et vu son visage de dégoût et de douleur de compassion, je pense que l'on peut aisément comprendre qu'elle a du mal à m'imaginer jouer avec ça, même si bon. En soi, ce n'est pas moi que ça dérange, jusqu'à ce ça niquer vraiment mon épaule. Bon, en soit ça la nique de nature, mais pas à ce point.


« - Aïe ma pauvre ! Effectivement, il est grand temps que ta sangle prenne sa retraite. T'as de la crème hydratante ou un truc du genre pour soigner un peu tout ça ?

- Que dalle. Je vis avec mes maux. Parfois je passe à l'eau, mais bon. Je me suis jamais intéressé à une solution pour soulager ça, j'me dis que ça va passer, puis c'est aussi pour ça que j'en rachète une. »

J'ai pas l'air d'en avoir grand-chose à foutre non plus de l'état physique de mon corps, et ce malgré mon eczéma et les problèmes liés à cette sangle. Me rhabillant un peu plus, je me permet de regarder la longueur de la sangle, tout en commençant à l'attacher à ma Rickenbaker. Enfonçant les extrémités, voici qu'elle me fait une proposition que je ne peux me permettre de refuser.


« - Dis moi, t'aurais envie de tester ta nouvelle sangle en direct avant que les inscriptions soient closes ? Ça me ferait pas de mal de rejouer un peu de gratte. Besoin d'entraînement...

- Carrément. Je t'avoue que depuis que l'on parle, j'ai l'impression d'avoir beaucoup moins d'appréhension , disons que c'est comme toutes les premières fois, c'est rarement autre chose que décevant. Donc, pourquoi pas, si t'acceptes d'être aux côté d'une nana toute déblaye qui assumer écouter de la musique ultra différente de ce que tu fais » dis-je en faisant référence à mon sweat Flatbush Zombie.

Je commence ainsi à zyeuter rapidement la feuille et remarquant son horaire de passage. Elle m'a implicitement dit vouloir jouer avec moi, si j'ai bien compris. C'est bientôt son tour, alors j'en profite pour passer la basse avec sa sangle de manière à pouvoir jouer, être prête et... Haaaaan... J'ai l'impression de renaître de ouf. Certes, ça frotte à cause de la "plaie", mais c'est un milliard de fois plus supportable que ce que j'avais avant. J'en profite pour regarder le vendeur, toujours occupé dans ses petits plans à lui. Bon. Le tabac et mon envie de fumer attendra, je laisse pas passer une occasion pareille de jouer avec une idole. Je la regarde en lui souriant, me demandant si elle assumera vraiment jouer avec moi. Je cale donc mon nom à côté du sien pour le bœuf et attend simplement sa réaction...

[HRP - Si jamais tu décides de les faire monter sur scène, Jóna la suivra et entamera la basse avec Kickstart my Heart comme ligne de basse, avant de faire un peu nawak (c'est le but d'un boeuf après tout XD mais voilà, je te laisse la possibilité de faire mouvoir Jóna pour cela !]

Notre conversation s’étend, et devient de plus en plus intéressante. En tout cas, elle l’est autant que ce que peut l’être deux personnes passionnées de musique d’une manière relative à chacune, et ce n’est pas déplaisant de parler à quelqu’un qui s’y connaît, et qui peut être en capacité de prodiguer des conseils d’une qualité aussi propre. Après avoir souligné ma répartie, elle revint un instant sur le fait que je jouais seule et pour moi-même :

« Bah, en groupe ou dans ton placard, le plus important c'est que ça te fasse plaisir. Le reste finalement, c'est jamais que du détail... j'ai des potes, ça doit faire dix ans qu'ils sont avec les mêmes trois accords, dont un qu'ils jouent faux un coup sur deux, mais ça les éclate juste de faire leurs deux accords et demi le dimanche quand il pleut. C'est cool aussi je trouve. »

J’acquiesce bêtement, je ne répond plus rien quand à ce sujet, mais il est vrai que beaucoup se complaise dans ce conformisme qui me parait bien étrange. Pourquoi faire la même chose quand on peut vivre autrement les sons d’une mélodie que l’on découvre, par le gré de nos doigts et de notre écoute. La clope me donne encore plus envie d’ailleurs maintenant que j’en vois certains sortir, mais je m’abstiens, et me retiendrai jusqu’à être libre de ce magasin.

-

Curieux, amusant et chou à la fois, elle semblait quand même s’inquiéter pour mon état actuel, ce qui, également me fait très bizarre. Hormis Zelda, pas grand-monde ne manifestait d’un intérêt pour mon état actuel, bien au contraire. Les gens me jugent et me regardent de haut en bas et se demandant si je passerai l’année, mais sans plus. Soupirant bêtement, je fais une moue amusée et tente d’écorcher un bête merci...

« - Eh beh... Je... J’essaierai de faire gaffe. Ouais. C’est gentil. De toi, de ta part. »

C’est bon ? Ça se voit bien, là, que je suis pas habituée à parler publiquement aux gens de mes problèmes de santé? J’avoue ne pas avoir l’hygiène la plus irréprochable du monde, mais bon.

Cela étant dit, nous enchaînons donc sur l’idée que nous avions de jouer un second bœuf à deux, et mon enthousiasme lui fait visiblement grand plaisir car son sourire (magnifique) et sa manière de s’exprimer n’était visiblement pas sans rappeler que son engouement pour la musique ne s’éteindrait visiblement jamais.

« - Ha super ! Voilà qui fait bien plaisir. J'aime bien jouer avec des gens sympas. Et t'inquiète pour ton sweat, suis pas sectaire perso... c'est trop bête, la musique c'est vaste, c'est bien ça l'intérêt ! C'est pas trop mon truc mais notre batteuse est fan, donc y en a régulièrement dans le van. Niveau basse, t'as de quoi faire en effet ! »

Et putain, y’a vraiment quelques brutasses. Deux trois qui jouaient pour dire de jouer, mais il y en a, j’ai réellement l’impression qu’ils font l’amour à leur guitare sans passer par les préliminaires. Puis les instruments mis à dispositions sont des plus prestigieux, ils ont un cachet, quelque chose d’intéressant et de sublime, il y a toujours quelque chose de passionnant dans le fait de créer une osmose certaine entre la musique, celui qui la reçoit, celui qui la comprend, et celui qui la crée, la diffuse. Ce sont des composants qui ne font que me question d’avantage sur ma perception de l’environnement qui m’entoure, et je trouve ça à la fois fameux, agréable et poétique.

Et il est temps pour nous de créer la musique.

« - En piste Madame Bassiste !

En avant, charmante dame ! »

Nous sommes déterminées à créer, à faire et à divulguer en conséquence notre art. Elle me laisse en tamer et je pars sur une ligne de basse que je maîtrise, avec du Mötley Crüe. Le son passe tout seul et son accompagnement se fait sentir. Je ne ressens plus la gène du premier tour, j’ai compris comment ça avait l’air de fonctionner et me remet à fond. Alors que notre enchainement de notes devient de plus en plus monotone, je me permet ainsi de mener la danse, et d’accentuer à mort le son de la basse, appuyant sur une pédale au pif au sol, à côté de l’ampli.

Owh. Une disto’ bien grasse à la Cliff Burton. Ma main tremble et mes yeux pétillent d’excitation. Je me met à jouer beaucoup plus frénétiquement, à tel point que je ‘entends plus le monde qui m’entoure. Je laisse mes doigts guide les lignées mélodiques et les sensations ne sont que plus fortes et je ne peux m’empêcher de penser à cet univers qui s’est ouvert autour de moi. J’entends les sons comme les couleurs, et mes sens commencent à s’intervertir. Je sens ce monde nouveau proposer son atmosphère à la fois étouffante et cassée qui me pousse à me débattre, proposer des vibrations plus puissantes, plus forte. Comme si les lignes autours de moi, si banales étaient à briser, comme si mes doigts ne suivaient pas le rythme, c’est ma deuxième main qui prenait le relais. Je me retrouvais à faire une sorte de tapping sur ma basse, restant dans un rythme constant pour ne pas brouiller les pistes, et lutter contre ces aura oppressante sourde et mécanique.

Je sens comme un orchestre salvateur s’abattre sur moi, et si je ressens les émotions musicales transmises par ma basse, les gens ne doivent pas comprendre mon état actuel. Accentuant divers riffs basiques, m’échappant de ce monde qui me lie dans un état de transe qui ne s’était jamais vraiment invité chez moi, et ce, même avec les produits les plus forts. En panique mais excitée, je continue de jouer, enchaînant des doubles croches plus variées que la carrière musicale de Slash, et plus brutales que les riffs de Lemmy. La sensation n’en est que plus virulente, et je sne que ma fin ne se suit plus. Je n’arrive même plus à entendre ce que fait ma partenaire. En même temps, suit-elle seulement ? J’espère.. J’ai pas envie de passer pour une mongole. C’est d’ailleurs sur la montée que je suis en train de faire que je me permet de voir si une reverb n’est pas disponible sur la pédale. Entendre cet écho musical rendrait le tout merveilleux et magnifique, et porterait à coup de grâce à la brêche qui m’empêcherait de m’échapper.

Oui.

Je continue de jouer, plus vite et violemment. Ma fin de montée doit être spectaculaire. Un ton en plus, encore, encore, encore...

Reverb. Fin.

Tombée de rideaux.

...

Ils ont aimés...?

...

[HRP - Si tu as quelque chose à ajouter, hésite pas :’3 Je fais volontairement agir personne pour te laisser champ libre dans ta réponse, même pour les PNJs :’3]