Le voyage avait définitivement pris une drôle de tournure... Non parce que s'il fallait qu'il explique au reste du monde qu'ils s'étaient retrouvés au bord de la mer, lui perché sur le dos de James, au bord des larmes, à déverser toutes les idées noires qui lui tournaient en boucle dans la tête depuis le typhon, ça risquait d'être compliqué ! D'autant que les choses ne semblaient pas sur le point de s'arranger.

Jilian faisait vraiment des efforts pour ne pas laisser le noir dans sa tête répondre automatiquement à James que ça ne comptait pas. En vrai, il se demandait pourquoi effectivement il avait autant de mal à y croire. Après tout, c'était des choses qu'il disait lui-même aux autres, et pas seulement pour leur faire plaisir, bien parce qu'il y croyait. Alors pourquoi dans son cas il avait autant de mal à croire James ? Alors même qu'il se doutait bien que son ami non plus ne lui disait pas juste pour lui faire plaisir...

Malgré tout, un petit sourire timide se dessina malgré tout sur le visage de Jilian. Il aurait été un peu présomptueux de dire que tout allait mieux d'un seul coup. C'était un peu trop gros pour ça. Mais au moins, il se sentait un tout petit plus léger. Et un peu moins seul à se batailler avec tout ça... Enfin plus léger... là pour le coup, c'était pas lui qui en portait le plus lourd ! Il signala gentiment à James que peut-être il pouvait le reposer un peu, même pour lui ça allait finir par faire du poids... Mais celui-ci refusa. Clairement, quelque chose se trama... Jilian se tendit un peu, attendit... ça faisait un moment qu'il se doutait bien que James avait ses propres soucis, mais pour le coup, il ne savait pas du tout à quoi s'attendre.

En même temps, il aurait eu du mal à voir venir une chose pareille... Certes, il se doutait bien que James avait des problèmes de sommeil, entre ces airs fatigués, les cernes et sa consommation de café ce n'était pas très dur à deviner ! Mais pour le coup, médecin de guerre... ça c'était un sacré truc... d'un coup il se sentait un peu bête avec ses petits problèmes... mais ce n'était pas le moment de s'apitoyer sur son sort, pas après une telle déclaration... Pas besoin d'être un expert pour se douter que ça laissait des marques, et pas que sur la peau. Sauf qu'en attendant, il ne savait pas très bien comment lui répondre, d'autant que, chose rare, James cherchait clairement à éviter son regard, ce qui dans cette position ne demandait de toute façon pas tellement d'effort.

Il laissa passer un petit temps, le temps que James puisse se remettre tranquillement d'avoir dit tout ça à haute voix, puis, vint caler sa tête dans son cou, un peu comme un chat vient se caler. Puis il plaça doucement ses bras autour de son torse, les mains bien posées sur les épaules. Il espérait que la différence de position serait suffisamment marquée pour que ça passe pour un câlin et non un "je m'accroche pour pas tomber", sinon ça gâcherait un peu l'effet...

"You know one man can't save the world by himself right ? You did your part. One can't ask you more..."

Avec un peu de chance, sans doute que dans le fond il le savait. Mais parfois, un rappel extérieur ça faisait du bien... Même s'il le savait, Jilian comprenait sans soucis que James puisse culpabiliser... Sans doute que c'était des univers où on avait toujours l'impression de n'en faire jamais assez. Et puis, il connaissais suffisamment James pour savoir que de toute façon, il ne laisserait jamais tomber tant qu'il n'aurait pas complètement réglé un problème, quand bien même ça n'était pas possible. Il avait une chaussette en latex bleu schtroumph au pied pour le prouver !

"I'm no doctor, so don't take my word for the absolute truth... but... let me tell you, I read enough stories where doctors try to save the world by themselves, trust me, it never ends well."

Soit parce que le toubib virait complètement fou devant la tâche, mourrait d'épuisement, ou finissait par chercher à détruire l'humanité pour régler définitivement le problème... Et aussi loin de la réalité que pouvaient l'être certaines de ces histoires, nul doute que c'était des fins assez plausibles d'un point de vue psychologique.

"You did your part. That's something you can be proud of."

Maintenant, combien de temps ça lui prendrait de se rendre compte de tout ça ? Comment on se remettait de ça ? Comment on effaçait ça ? En plus, médecin de guerre juste après son diplôme, ça faisait drôlement jeune et inexpérimenté pour partir dans ce genre de situation... Pas étonnant que ça soit dur maintenant de prendre du recul... Sans doute aussi que ça expliquait en partie son envie de se rediriger vers la pédiatrie... Jilian resta un temps sans parler. Il ne voyait pas quoi dire d'autres. Pour le coup, c'était encore une situation où les mots ne servaient pas à grand chose. Quoi qu'il dise, ça aurait sans doute sonné creux de toute façon. Alors il préférait juste rester là, blotti contre son ami, comme pour lui dire qu'il était toujours là.

Finalement, il sourit doucement, et tout aussi doucement déclara...

"On n'est pas très doués hein ?"

parce que vraiment, même pour eux, cette situation était complètement absurde !

Et voilà, le moment était finalement venu… James avait tout fait pour retarder l’échéance, pas parce qu’il voulait absolument cacher tout ça à Jilian, mais bien parce qu’il savait que ce n’était pas des choses qui étaient faciles à entendre. Déjà qu’elles n’étaient pas faciles à dire à voix haute pour lui… Mais maintenant que tout était finalement sorti, James pouvait avouer fièrement à son ami qu’il ne lui cachait plus rien et qu’il connaissait tout de lui. Sauf qu’au lieu de ressentir une quelconque fierté d’avoir réussi à se confier entièrement, et pour la première fois, à quelqu’un, le médecin scolaire se sentait plus mal qu’autre chose. Il avait beau sentir qu’un poids s’était comme allégé dans son cœur (pas sur son dos étant donné que Jilian y était toujours perché), le simple fait d’en parler lui faisait se sentir extrêmement mal. Son parcours jusqu’à Yokuboo avait été jonché d’erreurs. Alors certes, ces erreurs l’avaient façonné pour qu’il puisse devenir l’homme qu’il était aujourd’hui, mais à quel prix ?

Perdu dans ses pensées, le regard dans le vague et bien à l’abri de croiser celui de son ami, James sursauta doucement en sentant la tête de Jilian se caler dans son cou. Aussitôt, son esprit revint s’ancrer à l’instant présent, ses doigts se resserrant un peu sur les jambes du bibliothécaire pendant qu’il laissait doucement aller sa tête contre celle de son ami. James écouta attentivement tout ce que le bibliothécaire lui disait, préférant garder le silence même quand il eut terminé. Ces mots, ce n’était pas la première fois qu’on les lui disait et il savait bien que Jilian avait raison, qu’il avait fait ce qu’il avait pu au moment présent et que personne ne pourrait le blâmer de ne pas avoir fait assez. Il le savait et pourtant, il n’arrivait pas à se retirer cette culpabilité de la tête, tout comme il n’arrivait pas à arrêter ces larmes silencieuses de couler le long de ses joues.

Ils restèrent un moment à se laisser bercer par le bruit des vagues, jusqu’à ce que Jilian reprenne finalement la parole en se permettant un peu d’humour. James ne s’y était pas attendu, mais il devait avouer que cette déclaration toute légère arrivait à point nommé. Il pouffa un peu, ce qui provoqua un bruit tout sauf sexy de la part de son nez qui avait menacé de couler à cause du trop plein d’émotions qui ne demandait qu’à sortir. Lâchant une jambe de Jilian, James s’empressa de fouiller dans la poche arrière de son jean pour en sortir un mouchoir en papier et se moucher sans grande délicatesse. Reniflant un peu, il finit par lever la tête vers son ami avec un petit sourire aux lèvres.

« C’est vrai… Je savais qu’on était loin du niveau des gens normaux, mais j’ai l’impression que je nous avais un peu sous-estimé, on est peut-être pires que ce que je pensais. »

Son sourire se marqua un peu plus alors qu’il fixait Jilian avec un regard tendre.

« Merci beaucoup Jilian. »

L’Américain le remerciait de l’avoir écouté, de l’avoir accepté et d’avoir tout fait pour le consoler. Ce n’était pas une blessure qui pourrait facilement se refermer, tout comme Jilian ne pouvait pas aller soudainement beaucoup mieux grâce aux mots de son ami, mais ils pouvaient être assurés qu’ils avaient fait tous les deux un pas vers du mieux.

Reniflant un peu et se frottant les yeux du mieux qu’il pouvait avec son épaule, James dut se rendre à l’évidence : toutes ces émotions avaient fini par creuser définitivement son appétit. Il était grand temps qu’ils aillent déguster ces fameux ramens !

« On va manger ? Je crois qu’on aura bien mérité ce déjeuner entre notre expédition et… toutes ces émotions. »

James garda son sourire et vint une nouvelle fois doucement appuyer sa tête contre celle de Jilian, avant de finalement tourner le dos à la mer. Il remonta la plage et reposa le bibliothécaire au sol une fois près de la voiture. Leur voyage avait commencé d’une drôle de façon, mais il était certain qu’il resterait dans leurs mémoires à tous les deux. Et le pire… C’était qu’il n’en était qu’au premier quart de leur séjour ! Le temps ne manquerait donc pas pour leur faire vivre tout plein d’autres aventures !