Le mois de septembre était arrivé et Jilian avait obtenu l'autorisation de reprendre le travail. Il avait fallu négocier ! Que ça soit avec les médecins ou avec James qui n'étaient pas complètement persuadés que c'était une bonne idée. Mais aussi casanier qu'il pouvait être, le bibliothécaire allait finir par devenir fou à rester coincé chez lui, enfin chez James, aussi sympathique que soit cette colocation improvisée... Il avait envie de sortir, de se rendre à nouveau utile, de faire quelque chose. Il avait finalement obtenu de reprendre le travail à mi-temps pour ce mois de septembre. On enlèverait son plâtre à la fin du mois, viendrait alors le temps de la rééducation. Pas dit qu'il reprenne à temps plein en octobre... sans doute qu'il faudrait être patient, on l'avait prévenu que sa jambe allait être pas mal affaiblie dans un premier temps. Il ronchonnait rien que d'y penser ! Enfin au moins il pourrait plus facilement trouver une position confortable pour dormir la nuit !

Jilian était donc de retour dans son royaume : la bibliothèque de l'académie ! Et il était de retour, en fauteuil roulant. Ils avaient pu constater avec James qu'il était beaucoup trop maladroit en béquille pour faire tout le chemin en bus jusqu'à l'académie et y travailler toute la journée sur ces engins de malheur ! En plus, c'était quand même particulièrement fatigant. La fauteuil roulant était donc la bonne solution pour lui éviter de trop se fatiguer en route, de se glisser comme une vieille chaussette dans les allées de la bibliothèque, et surtout, ça lui laissait les mains libres pour transporter les livres ! Certes, ce n'était pas la solution optimale, mais elle lui permettait une certaine liberté.

D'autant que ce n'était pas le travail qui manquait... comme on avait pas jugé nécessaire de le remplacer pendant l'été, les tâches qu'il faisait habituellement pendant les vacances, période de faible fréquentation, puis de fermeture, s'étaient accumulés. Il lui fallait maintenant rattraper le retard, effectuer les tâches liées à la rentrée tout en travaillant moitié moins qu'en temps normal. Ça ne faisait que deux jours qu'il était de retour, et il commençait à comprendre pourquoi James avait grincé des dents quand il avait insisté pour reprendre le travail. Mais quand même, il ne regrettait pas son choix... être actif, même un minimum, lui ferait du bien.

Depuis deux jours donc, on pouvait voir le bibliothécaire traverser les allées en fauteuil, son fidèle chapeau haut de forme fétiche vissé sur la tête. Il tâchait de récupérer les livres qui avaient été endommagés lors du typhon. La veille, il avait remonté le matériel nécessaire pour les réparer. Il s'était aménagé une sorte de bureau bis, plus facile d'accès que son habituel bureau. Pour le moment il fallait qu'il se débrouille tout seul, ce qui ralentissait ses capacités d'aménagement, mais il avait demandé à ce qu'on lui envoie de l'aide pour mieux disposer les choses et lui permettre de circuler plus facilement. Pour le moment, dès qu'il avait besoin de l'ordinateur, donc dès qu'un étudiant désirait emprunter un livre, il fallait qu'il se lève, et sautille à cloche-pied jusqu'au PC pour s'assoir sur sa chaise. Nul doute que ça ferait hurler son ami s'il savait que le bibliothécaire prenait le risque de tomber au moins trente fois dans sa demi-journée de travail !

En attendant, il était installé à son bureau bis, réparant les livres abimés et répondant aux questions des étudiants. Il commençait même à trouver drôle de les guider dans la bibliothèque. Il se retrouvait à rouler devant tandis que des petits groupes de nouveaux le suivaient pour découvrir les lieux. Dans le fond, il était vraiment content d'être de retour !

Quand il vit quelqu'un approcher, il releva donc la tête de son ouvrage, tout sourire.

"Bonjour, je peux faire quelque chose pour vous ?"

Catherine avait repris les cours depuis peu, cependant, son moral était assez bas. L'épisode du typhon l'avait complètement drainé de son énergie et d'avoir de nombreux croquis et esquisse anéantis par l'infiltration d'eau chez elle avait fini d'achever le moral de l'artiste. Elle n'osait demander de l'aide à sa famille, prétextant qu'elle allait bien. Cependant, l'argent se faisait rare et elle se résolut à devoir trouver un emploi temporaire. N'ayant aucune expérience de travail, ayant eu la chance de vivre dans une famille assez aisée et payant pour ses études, c'était donc une première expérience pour elle. Écartant les emplois qui demandaient de l'expérience, une grande force physique ou beaucoup d'interaction, elle n'avait pas beaucoup de possibilités restantes.

Elle entendit parler qu'il y avait des emplois internes à l'école et vit la bibliothèque dans les possibilités. Mettant donc à jour son CV, qui contenait principalement son cursus scolaire passé et actuel, ainsi que ses trois langues parlées, soit Français, Anglais et Japonais, elle se dirigea donc vers le lieu visé. Un peu plus propre qu'à l'habitude, Catherine portait un pantalon noir étroit et une blouse boutonnée bleue avec un léger volant au col et des manches bouffantes. Une paire de souliers en toiles grises complétait sa tenue du moment. On l'avait informé que le bibliothécaire était celui portant toujours un chapeau et il fallait avouer, à l'intérieur, peu en portaient.

Elle trouva donc facilement la personne à parler et plutôt nerveuse, elle s'approcha de son bureau. Cela semblait être un bureau un peu fait à la hâte et non pas le bureau d'accueil comme elle s'attendait, mais lorsqu'elle vit son fauteuil roulant, elle comprit mieux la raison. Elle s'approcha timidement, ne voulant pas d'une part effrayer la personne concentrée à son ouvrage, et d'autre part, elle était complètement nerveuse de porter son CV. Son coeur battait la chamade et elle dut essuyer ses mains sur son pantalon pour enlever l’humidité qui s'y créait.

L'artiste sursauta presque quand la voix interrompit ses pensées. Elle repassait dans sa tête comment elle se présenterait et remettrait son CV. L'homme avait cependant un beau sourire et rougissante, elle s'inclina profondément avant de se présenter.

— Bon... Bonjour, je suis Catherine Kissouri, en première année en dessin. J'ai vu qu'il y avait une offre d'emploi et je venais porter mon CV...

Elle sortit de sa pochette de plastique bleu une feuille avec ses coordonnées. La présentation était soignée et simple, mais on y remarquait assez vite de vide qu'il y avait.

— Je... n'ai pas vraiment d'expérience de travail, mais je suis minutieuse et prête à apprendre...

Catherine espérait avoir mis le plus de chance de son côté. Elle avait même maché une gomme à la rose un peu plus tôt. Elle avait entendu que cela rendait la peau plus douce et soyeuse et augmentait les chances de réussite dans les rencontres. Aucune idée si c'était vrai, mais ça ne pouvait pas nuire, pas vrai?

Jilian était donc concentré sur son ouvrage. Tel livre avait besoin d'une nouvelle couverture, telle autre qu'on recolle quelques pages. Il y avait fort à faire. Les livres passaient de la pile "à faire" sur sa gauche pour venir grossir la pile des "réparés" sur sa droite. Certes, il ne prenait qu'une dizaine de livres à la fois vu qu'il était limité dans ses déplacements et qu'il devait encore gérer les emprunts et les retours, avec toute la gymnastique de bureau que ça impliquait ! Comme il ne travaillait que par demie-journée, il lui fallait bien deux jours pour venir à bout d'une pile. Ce n'était donc pas un rythme excellent... mais bon, il fallait bien s'y mettre ! Les livres n'allaient pas se réparer tout seul !

Bien que concentré sur sa tâche, il sentit une présence près de son bureau, et releva donc le nez pour saluer la nouvelle venue. Ce qui apparemment fit sursauter la jeune femme. Ce qui était... surprenant ? Si elle venait lui parler, elle devait bien se douter qu'il allait parler à un moment ? Enfin il ne dit rien, après tout, il n'était clairement pas le mieux placé pour juger de ce genre d'attitude ! Il attendit donc simplement que la personne reprenne ses esprits pour lui expliquer sa demande.

Le visage du bibliothécaire s'illumina quand elle expliqua qu'elle venait postuler pour l'un des petits boulots que la bibliothèque proposait. Enfin il allait avoir un peu d'aide ! Il récupéra le CV qu'elle lui tendait et l'invita à s'assoir.

"Oui bien sûr ! Prenez une chaise, on va pouvoir discuter tranquillement de tout ça."

L'ennui du fauteuil c'était qu'il se retrouvait constamment à regarder les étudiants en contre-plongée et ce n'était définitivement pas une sensation agréable. Déjà qu'il n'était pas bien grand en temps normal, alors en plus maintenant qu'il parlait à tout le monde en étant assis, ça ne facilitait pas les choses. Et puis comme ça, le temps qu'elle récupère une chaise, il pouvait parcourir son CV de l'oeil. Ce fût rapide, le CV n'étant pas bien rempli. Rien de bien surprenant à son âge. Personnellement ça ne le gênait pas trop. Il pouvait toujours gérer les fonctions à responsabilité, mais il avait besoin de mains pour les autres tâches courantes. Et ça, ça s'apprenait avec un peu de bonne volonté. Il rangea le livre dont il s'occupait, histoire d'avoir un peu plus de place sur le bureau improvisé.

Quand Catherine revint s'installer, il commença déjà par se présenter.

"Et bien bonjour Catherine, je me présente Jilian Doe, bibliothécaire et responsable du lieu. Je ne sais pas ce qu'on vous a dit de l'emploi, mais dans le doute, je vous refais un petit topo. En fait il n'y a rien de très compliqué en soit. Pour le moment, je ne travaille qu'à mi-temps et ne suis donc présent qu'une demie-journée. Je continue d'assumer la gestion du lieu, les commandes et les diverses responsabilités d'organisation. Mais j'ai effectivement besoin de quelques personnes pour ce qui est du fonctionnement courant. En gros, il vous faudra gérer les emprunts et les retours, ce qui m'évitera d'escalader mon bureau non adapté à chaque fois."

Il fit un geste rapide vers le bureau d'accueil où il siégeait habituellement. Vraiment, tôt ou tard il allait finir par se manger une gamelle de plus et alors il pouvait être sûr que James lui ferait les gros yeux ! Ce qui l'amusait quand même un peu dans le fond... mais bon, il fallait admettre qu'il avait raison : ce ne serait guère raisonnable !

"Et puis après il s'agira majoritairement de ranger les livres qu'on aura ramenés ainsi que ceux que les étudiants éparpillent un peu partout. Vous verrez mine de rien on fait quelques kilomètres dans ce travail ! Vous connaissez déjà un peu l'organisation de la bibliothèque ?"

C'était finalement le plus gros morceau, celui qui prenait le plus de temps : apprendre le plan du lieu, histoire de pouvoir rapidement se rendre à l'endroit où on voulait sans avoir à tourner en rond éternellement. Sinon on perdait un temps fou.

"Vous êtes à l'aise avec les gens ou pas ?"

C'était quand même bien ironique que ce soit lui qui pose une question pareille ! Mais c'était un aspect du travail avec lequel il avait eu beaucoup de mal au début justement... donc autant prévenir d'office ! Bibliothécaire, c'était aussi répondre à toute sorte de questions improbables...

Catherine se présenta donc au bibliothécaire comme candidate pour le poste vacant d'aide. Elle lui remit son modeste CV alors que le visage de l'homme s'illuminait. Il semblait plutôt heureux qu'une personne applique, il n'y avait donc pas beaucoup de gens qui l'avaient fait et cela donnait donc des chances supplémentaires à la jeune femme. Il l'invita à s'asseoir, ce qu'elle fit pendant qu'il regardait sa feuille.

Elle regarda autour et vit une chaise non loin, allant donc la chercher pour la placer face au bureau de fortune du bibliothécaire. Comme beaucoup de chaises dans la bibliothèque, le siège était confortable et moelleux. Elle plaça son sac juste à côté d'elle et mit ses mains sur ses cuisses, attendant les questions.

Il se présenta donc comme Jillian Doe, responsable de la bibliothèque. Au moins, elle ne s'était pas trompée de personne. Il lui expliqua rapidement l'emploi et lorsqu'il montra le bureau de réception, elle tourna la tête, voyant qu'en effet, passer du fauteuil roulant au bureau d'accueil surélevé, ce ne devait pas être tâche facile. Il y avait une chaise un peu haute, mais on pouvait tout aussi bien y travailler debout.

— Oui, je comprends, ce ne doit déjà pas être facile de se déplacer dans votre fauteuil.

Surtout pour une période temporaire. Les personnes qui ne pouvaient vivre autrement s'y habituaient bien sûr, mais lorsque c'était soudain et peu fréquent, les habitudes étaient plus difficiles à prendre. Il continua sur les différentes tâches, lui demandant si elle connaissait la bibliothèque. Bien sûr, pour une étudiante, c'était un lieu primordial pour les recherches, même dans un domaine où la pratique est la clé.

— Je suis venue à l'occasion, mais je connais principalement la section art et la section références...

Il y avait de nombreux dictionnaires et encyclopédie dans la section référence dont des dictionnaires bilingues pour l'aider dans ses lectures. Elle hocha alors légèrement la tête.

— J'ai une assez bonne mémoire par contre, donc je risque de me retrouver rapidement dans les différentes sections à la longue.

En effet, la majorité des systèmes de classement suivait une certaine logique et ayant réussi à se retrouver dans deux des sections, nul doute qu'elle y arriverait sans problème dans les autres. Certes, elle chercherait beaucoup au début et probablement qu'elle poserait plusieurs questions, mais tout cela la mènerait à mieux connaître les lieux. Elle arrivait déjà à mieux se retrouver dans l'école sans avoir besoin de vérifier les numéros de locaux pour savoir si elle était dans la bonne aile ou non.

La dernière question laissa un moment à Catherine avant de répondre. Elle ne pouvait pas dire qu'elle était particulièrement à l'aise, mais elle n'évitait pas les gens non plus. Difficile à dire comme réponse dans son cas.

— Je suis encore parfois hésitante dans mon japonais qui n'est pas ma première langue, donc ça peut me faire passer pour plus distante. J'avoue ne pas avoir beaucoup d'expérience de travail avec le public, mais je me suis dit qu'une bibliothèque permettrait d'apprendre plus facilement que dans un milieu où le service à la clientèle est très rapidement et sous pression.

Elle pensait à des restaurants où les clients défilent les uns derrière les autres, parfois en criant. Ce n'était pas du tout son genre d'y travailler. Elle frotta délicatement sa main sur l'autre, se demandant quand même si au final, même à travailler dans une bibliothèque, elle y arriverait. Cependant, elle commençait vraiment à avoir besoin d'argent donc ça serait assez primordial d'avoir un emploi rapidement.

Le travail en lui-même ne nécessitait pas de compétence exceptionnelle, il gardait de toute façon à sa charge les tâches nécessitant plus d'expérience ou de responsabilité : le tri des livres, les commandes, leur étiquetage, l'organisation d'événement, et maintenant que quelques emplois étudiants rejoignaient l'équipe, la constitution de l'emploi du temps. Ce dont il avait besoin, c'était de gens fiables et qui prenaient le travail au sérieux. Ce n'était pas parce que ce n'était pas compliqué qu'il ne fallait pas faire d'efforts pour faire au mieux. D'autant que la simplicité des tâches n'empêchaient pas leur caractère fatigant. On marchait effectivement beaucoup, on portait des choses, et il fallait pouvoir être accessible et discuter avec les gens.

"De toute façon au début, je peux vous donner un plan sans soucis. Les allées se repèrent assez vite, mais c'est le détail de la classification qui peut parfois sembler plus obscur, surtout au début. Enfin si vous avez une bonne mémoire, ça viendra."

Et dans le pire des cas, tout était indiqué de toute façon. Simplement, ce n'était pas le plus efficace. Si elle avait fréquenté la bibliothèque suffisamment pour mémoriser l'organisation des rayons qui la concernait, il n'y avait pas de raison de s'inquiéter à ce sujet. Par contre, c'est vrai que ça pouvait être plus embêtant pour répondre aux gens. D'autant que Catherine elle-même reconnaissait avoir des difficultés à ce niveau.

"Quand vous dîtes que vous êtes encore hésitante avec la langue, c'est au niveau de la compréhension et de l'expression ? À vous entendre vous semblez plutôt bien parler et comprendre."

Pour le reste, qu'elle soit distante ou pas... on s'en fichait un peu. Le boulot ne consistait pas à devenir ami avec les gens. Après c'est sûr que c'était mieux si on était aimable et avenant. Ça quel que soit le taf, c'était toujours mieux. Sauf si on était tortionnaire professionnel, là peut-être qu'effectivement l'amabilité chaleureuse pouvait être une option.

"C'est sûr que c'est moins stressant qu'un SAV ou que de la grande distribution ! L'ambiance est plus posée. La question ce n'est pas "est-ce que vous êtes capable de vous lier d'amitié avec les gens pour leur vendre un 4X4 quand ils n'ont même pas le permis", mais est-ce que vous vous sentez capable de répondre aux questions quant à l'emplacement de telle ou telle chose dans la bibliothèque, à son fonctionnement, et éventuellement quelques renseignements plus précis."

Jilian savait que c'était sur cette partie que les choses pouvaient être plus compliquée pour les jeunes. Évidemment, ils n'en connaitraient pas autant que le bibliothécaire sur ses fonds. Il n'engageait pas des bibliothécaire, mais simplement un peu de main d'oeuvre. Même si dans le lot, il y en avait une qui voulait devenir bibliothécaire et à qui il pourrait sans doute confier des tâches plus précises, il ne pouvait attendre d'eux qu'ils connaissent parfaitement le fond. Il en avait bien conscience.

"La question c'est aussi : êtes-vous capable d'admettre que vous ne savez pas et que vous allez vous renseigner pour répondre plus tard ?"

Il avait déjà vu des gens qui refusaient d'admettre ça, et préféraient répondre au pif. Ce qui au final n'aidait pas grand monde. Ceci dit, il voyait peut-être une autre façon de confronter la jeune fille à la réalité qui l'attendait. Il se dégagea de son bureau improvisé, partit vers le bureau d'accueil, récupéra le chariot sur lequel attendait les livres rendus de la journée, y ajouta les quelques livres qu'il avait déjà eu le temps de réparer, et déposa un plan sur le tout.

"Voici un bon moyen de vous rendre compte de ce qui vous attend. Il y a là déjà une trentaine de livres qu'il faut ranger à leur place. Au passage, vous pouvez récupérer ceux que les étudiants laissent sur leur table en partant pour les ranger aussi. Il y a de fortes chances que certains vous abordent d'ailleurs sur votre chemin pour une question ou un autre. N'hésitez pas à revenir vers moi en cas de besoin !"

Au moins comme ça, les deux seraient assez vite fixés sur la possibilité ou non de travailler ensemble.

Catherine, bien que très nerveuse au départ, semblait être mise en confiance par le bibliothécaire. Certes, il avait une apparence peu banale par rapport aux autres membres du personnel ou les professeurs de l'école, mais l'artiste ne s'en formalisait pas. Il lui posait des questions simples sur le travail, ses expériences et ses connaissances et elle y répondait du mieux qu'elle le pouvait. Il lui offrit même de lui laisser un plan de la bibliothèque au début pour l'aider à se repérer, ce qui la rassura grandement. Certainement qu'à la longue, elle finirait par connaître au moins toutes les grandes sections des étagères et la suite ira déjà mieux. Il la questionna davantage sur sa compréhension du japonais.

— En fait, il m'arrive parfois d'avoir du trouble avec les homonymes ou certaines structures de phrases. Le japonais est ma troisième langue, après le français et l'anglais. Cela fait donc parfois des mélanges de phrases dans ma tête.

Certaines personnes arrivaient à apprendre plusieurs langues sans soucis et démêlait le tout habilement dans leur tête, mais Catherine prenait parfois un peu de temps avant de répondre, peu certaine de sa réponse. Comme telle, elle avait cependant fait beaucoup de progrès depuis son arrivée au Japon et c'était surtout la confiance en elle qui lui manquait.

Elle écoutait le bibliothécaire avec attention, hochant la tête aux moments opportuns. Autant elle avait besoin d'un travail, autant elle avait aussi envie de s’y plaire, ce qui n'était pas toujours évident lorsqu'on débutait. Certes, ce ne serait pas toujours facile, mais il y a un début à tout et elle devait prouver, à elle-même autant qu'à l'employeur, qu'elle pouvait arriver à faire le travail.

— Oui, je risque de chercher beaucoup au début pour répondre, mais j'imagine que les questions deviennent récurrentes dans un certain sens et qu'il me sera de plus en plus facile de répondre.

Tout est dans l'expérience, mais comment en avoir lorsqu'on débute? Il faut faire des erreurs et effectivement, demander de l'aide est la meilleure façon d'apprendre.

— Oh, oui, je pense que c'est important lorsqu'on aide une personne de le faire du meilleur de ses connaissances et donc d'aller chercher ce qui nous manques pour bien y arriver.

Cela lui était arrivé si souvent que des gens l'ignorent, lui répondent n'importe quoi, ou pire, lui mentent, pour se débarrasser de répondre et cela était inadmissible à son avis, encore plus dans le domaine de service à la clientèle.

Elle fut un peu surprise lorsqu'elle le vit se déplacer vers le chariot de livre et lui proposa de faire la tentative si elle voulait savoir si elle était prête pour cet emploi. Se levant, elle se sentait plus confiante que lorsqu'elle était entrée dans la bibliothèque, mais un petit quelque chose lui pinçait encore le ventre.

— Je peux vous laisser mon sac?

Elle déposa son sac à dos là où il lui indiqua, elle n'allait quand même pas se promener partout avec tout de même! Observant le plan, puis les livres sur le chariot, elle opta pour aller ranger ceux dans la section d'arts, puisqu'elle s'y retrouverait plus rapidement.

À l'aide du plan, elle finit par retrouver rapidement les différentes sections de sciences, sports, littératures, etc. Le classement était encore un peu obscur, mais elle comprenait la logique du code alphanumérique et trouvait le bon emplacement pour les livres. Elle trouva trois livres sur les différentes tables, abandonnés par des étudiants qui avaient fini avec et les rangea donc. Une seule personne l'interrompt, une très jeune élève, pour lui poser une question assez hors sujet, à savoir où étaient les toilettes les plus proches. Il ne restait plus qu'un seul livre sur son chariot, mais elle n'arrivait pas à trouver l'emplacement. En fait, si, elle avait trouvé l'endroit où le code correspondait, mais pour une raison obscure, les livres précédents et suivants le code n'avait pas du tout le même sujet que celui qu'elle avait en main. Embêtée, elle revint vers Jillian.

— J'ai un souci pour ce livre, le code ne fonctionne pas. C'est un livre sur la poésie, mais le code m'emmène dans la section de la physique...

Elle lui tendit le livre pour qu'il l'observe.

Ha ça, les problèmes de langue il connaissait bien ! Même si cela faisait un moment qu'il ne se battait plus avec ça... enfin, sauf lors de typhon et de chute de frigo, mais heureusement, ça restait encore assez exceptionnel.

"Dans le pire des cas demandez-moi. Je suis américain, donc si l'anglais est plus facile pour vous, ça ne sera pas un soucis pour moi. Après, pour les étudiants, il faudra par contre effectivement se débrouiller en japonais !"

Quant aux questions, c'est vrai que c'était toujours un peu les mêmes. Il arrivait que certaines sortent de l'ordinaire, mais la plupart du temps, on répondait quand même grosso modo aux mêmes choses. Enfin ça c'était les fois où les questions étaient faciles...

"Oui les questions sont souvent un peu toujours les mêmes. Souvent sur les conditions d'emprunt, ou l'endroit où l'on peut trouver un livre. Mais il arrive que quelqu'un vous demander où se trouve ce fameux livre, vous savez, celui qui a une couverture rouge. Et là ça devient un peu plus compliqué. You gotta like some challenge !"

Il était toujours surpris par ce que les gens pouvaient inventer... le pire, c'est que la plupart était convaincu que c'était une précision tout à fait suffisante pour trouver l'ouvrage qu'ils souhaitaient. Alors que souvent... et bien on finissait par constater que le livre qu'ils cherchaient était en fait vert. Comme quoi, la mémoire humaine n'était peut-être pas la choses la plus fiable que l'on puisse trouver ! Pour ne pas dire qu'elle était carrément aléatoire...

Finalement, le meilleur moyen de voir si elle pourrait s'en tirer avec le job, c'était encore de l'y confronter... Jilian lui proposa donc de s'occuper du chariot contenant les livres revenus depuis qu'il avait pris son service. Il lui indiqua où elle pouvait poser son sac et la laissa partir en expédition dans la bibliothèque, tandis que lui reprenait sa tâche. Il avait un peu l'impression qu'il ne verrait jamais la fin de la réparation des livres ! Mais bon, il fallait bien avancer, un livre à la fois !

La jeune fille revint finalement. Le délai était raisonnable pour quelqu'un qui découvrait seulement la bibliothèque de ce point de vue. En général, la plupart des étudiants connaissaient bien la section liée à leurs études, et ça s'arrêtait là. Donc il était normal qu'elle cherche un peu. Bien sûr, dans l'idéal, il aurait fallu qu'il aille vérifier que tous les livres étaient bien rangés, toutefois, le fait qu'elle revienne avec un livre qui ne trouvait pas sa place, plutôt que de le laisser dans la première étagère venue, lui indiquait plutôt que la jeune fille était honnête.

"Effectivement, si la physique peut sembler poétique à certains, ça semble quand même quelque peu hors sujet ! On va regarder ça tout de suite, ça arrive parfois. Venez avec moi, tant qu'à faire, vous allez apprendre ça aussi dans la foulée, ça sera fait !"

Jilian se leva, et clopin clopant, se dirigea vers le bureau d'accueil.

"Je vous laisse vous installer devant l'ordinateur, de mon côté je m'assaierai sur le bureau pour vous montrer."

C'était certes une position fort peu académique, mais bon, aux grands maux les grands remèdes ! Au moins comme ça il était tranquillement assis, la demoiselle aussi, et il pouvait plus facilement lui montrer sur l'écran. Jilian prit la souris pour aller directement sur le logiciel concerné.

"Je vous monterai après comment le système pour les emprunts et les retours fonctionne. Mais pour le moment, on va regarder ces histoires de cote. J'imagine que vous avez déjà pu observer tout ça un peu si vous avez l'habitude d'emprunter des livres, et en rangeant ces précédents."

Il laissa alors la souris à la jeune fille pour qu'elle puisse explorer d'elle-même les différentes catégories du système Dewey.

"On a ici toute la catégorisation. Ça permet d'avoir une bonne idée de comment c'est rangé. Ça permet aussi de s'entendre plus facilement avec les autres bibliothèques, même si bien sûr, il peut y avoir des détails qui changent d'un lieu à l'autre, chacun a ses préférences... Ceci dit, je connais peu de bibliothécaires qui iraient ranger de la poésie au rayon sciences physiques !"

C'était un coup à se retrouver avec tous les physiciens sur le dos et à relancer une polémique sciences dures contre sciences sociales ! Qui voulait ça...

"Je vous laisse explorer et voir un peu les choix qui ont été fait ici pour me dire où on devrait ranger ce livre-ci."

Certaines bibliothèques préféraient un rangement par genre, d'autres par époques, d'autres par nationalités, d'autres rangeaient en art, d'autres en littérature, d'autres en littérature étrangère. Etc. À elle de voir où elle pourrait ranger celui-là en fonction du système présent ici.

Catherine répondait aux différentes questions que lui posait le bibliothécaire en chef pour son entrevue. Jusqu'à présent, rien n'était tout à fait à côté de la plaque et Catherine répondait du mieux qu'elle pouvait. Elle devenait même plus confiante au fur et à mesure de la discussion. Elle aborda ses problématiques linguistiques. Il lui dit être Américain et elle eut un air un peu surpris. En effet, elle aurait plutôt cru à un Européen vu l'excentricité de l'habillement, mais comme quoi il ne faut jamais juger sur l'apparence à défaut d'être surpris. Au moins, cas de gros soucis où elle ne comprenait pas quelque chose, elle pourrait toujours lui parler en anglais et serait comprise. Ce n'était pas sur tous les lieux de travail au Japon que cela pourrait arriver.

Il lui confirma qu'effectivement, la majorité du temps, les questions se ressemblaient et revenait pas mal au même. Bien sûr, elle aurait droit à ces questions qui ne seraient jamais précises et dont même l'élève ne saurait pas ce qu'il cherche exactement.

Après toutes ces questions, il décida de mettre Catherine en test en lui laissant le chariot de livre, un plan et quelques instructions sur le rangement. Lire dans l'immense local de l'académie, Catherine prit son temps pour bien faire, sans nécessairement lambiner sur place.

Ramenant un livre à la case départ, Catherine informa Jillian qu'il devait y avoir un souci avec celui-ci. Il prit le livre et confirma qu'il devait également y avoir quelque chose qui ne fonctionnait pas, décidant alors de la former sur un autre point. Il se leva et boita jusqu'au bureau d'accueil, Catherine voulu l'aider, mais sans trop savoir quoi faire, ayant l'impression qu'elle le nuirait plus qu'autre chose. Ils étaient tous les deux environ du même format, ça n'avancerait pas beaucoup s'ils se retrouvaient tous les deux par terre. Elle le suivit donc et prit place devant l'ordinateur.


— Oui, les bibliothèques ont parfois des systèmes différents d'une place à l'autre, mais le principe reste le même. J'ai eu un cours d'histoire de l'art au high school, donc j'ai du passé beaucoup de temps à la bibliothèque.

Peu habituée encore au système scolaire japonais, surtout qu'elle y arrivait au niveau universitaire seulement, Catherine savait cependant que le système scolaire américain était similaire à celui du Canada.

Il lui laissa la souris et pendant qu'il lui expliquait les différentes sections dans le programme, elle pouvait l'explorer en même temps.


— En effet, ce n'est pas tout à fait le même rayon...

Et ce, dans tous les sens du terme. Catherine regardait attentivement le programme, les différentes manières de trier les résultats et finit par retrouver, par le titre et l'auteur, le code du livre. Observant bien la tranche, elle remarqua que l'étiquette avait un chiffre manquant dans le début du code, ce qui expliquait qu'il arrivait dans une section complètement différente que celle prévue pour lui à la base. Fronçant les sourcils, l'étudiante se demandait bien ce qui avait pu arriver pour que l'étiquette soit ainsi.

— L'étiquette n'est pas endommagée, mais si je me fie au système, il devrait y avoir un I au début, pourtant, il n'y est pas ici.

Elle lui tendit le livre, perplexe.

L'entretien prenait plutôt une bonne direction. Certes, c'était une jeune fille timide et qu'il fallait constamment aller chercher, mais on pouvait sentir beaucoup de bonne volonté et d'envie de s'y mettre. Qui plus est, elle semblait plutôt dégourdie. Pas que ce soit particulièrement difficile de retrouver son chemin dans une bibliothèque si on réfléchissait deux secondes ceci dit... mais il y avait bien plus de gens qui se laissaient impressionner qu'on le croyait !

D'ailleurs, après le blabla, la pratique. Il lui avait donc confié une pile de livres à ranger tranquillement, tâche dont elle s'était acquitté dans un temps plutôt raisonnable pour quelqu'un qui ne connaissait pas encore les lieux aussi bien que lui. Et surtout, elle était revenue avec une énigme ! Ce qui allait leur permettre d'affronter le terriiiiible logiciel de classement. Pour le coup, l'ordinateur vieillissant était sans doute plus compliqué que le classement papier à maîtriser... s'il était vrai que l'informatique vous simplifiait la vie, ça l'était surtout quand le matériel était régulièrement et correctement mis à jour ! Sinon... et bien on galérait un peu. Heureusement, l'ordinateur semblait plutôt dans un bon jour.

Catherine en tête, ils allaient pouvoir régler le mystère du livre de physique cantique qui avait atterri en poésie... c'était quand même bizarre ça. Enfin, rien d'insurmontable en théorie. D'ailleurs, l'étudiante trouva assez rapidement la solution. Simple erreur d'étiquetage.

"Ha, peut-être qu'un fantôme l'a mangé alors !"

Jilian sourit. En attendant, elle avait fini par trouver la solution. Et pour lui ça suffisait. Pas la peine de transformer cet entretien en un genre de douze travaux d'Hercule des bibliothèques ! Elle comprenait comment les choses fonctionnaient et elle avait suffisamment de jugeote pour trouver son chemin là-dedans, et donc les solutions qui allaient avec.

"Rien de bien grave alors, vous avez raison, il devrait y avoir un 1. On va simplement refaire une étiquette et tout sera résolu. Simple faute de frappe à l'impression."

La seule chose qui l'embêtait, c'était qu'il avait l'impression de passer à côté de quelque chose d'essentiel. Mais quoi ? Ils avaient fait le tour du pragmatique et des besoins du lieu. Alors quoi ? Il réfléchit quelques instants, les yeux dans le vague. C'est alors que l'évidence le frappa. Il se releva, retourna clopin clopant vers son fauteuil.

"Vous savez quoi ? On a oublié quelque chose d'important ! Suivez moi."

À peine installé, Jilian se lança donc, cahin cahat, dans les allées de la bibliothèque. C'était tellement évident qu'il avait complètement oublié. Comme quoi, ce frigo avait vraiment dû lui cogner fort sur la tête pour qu'il ne commence pas par là ! Ils arrivèrent dans l'aile de littérature anglophone dont le bibliothécaire était plutôt fier. Il prit un temps d'arrêt, cherchant rapidement de l'oeil où se trouvait le fameux livre. Une fois repéré, il se releva rapidement, s'appuya sur les étagères et attrapa un livre en particulier avant de se rassoir et de le tendre à la jeune femme.

"Le bizarre accident du chien pendant la nuit c'était mon livre préféré quand je suis arrivé au Japon."

Enfin sans doute un peu après quand même. Mais c'était pas tellement important. Ce qui était important c'est que ce livre l'avait beaucoup aidé à changer de vie et à ne pas trop broyer du mal quand il avait tant de mal à s'habituer à cette nouvelle vie et qu'encore une fois, il était le garçons bizarre.

"Je ne vous ai même pas demandé ce que vous aimiez lire. C'est bête non pour un boulot d'aide bibliothèque ? C'est quoi votre livre préféré du coup ?"

On pouvait sentir que la réponse l'intéressait vraiment. Que la réponse soit un classique de la littérature ou un livre de cuisine importait peu finalement. Ce qui comptait c'était juste de parler livre...

Après l'entrevue régulière de question, puis le test de distribution des livres, Catherine était revenue avec un livre dont le code ne semblait pas correspondre au sujet. Jillian lui montra alors le programme pour le classement de la bibliothèque, la laissant fouiller dedans, et elle put ainsi découvrir le problème du livre. Ainsi, le code avant un I manquant au début et cela avait causé le problème. Elle expliqua donc au bibliothécaire ce qui lui paraissait être la réponse à l'énigme.

Elle regarda intensément le bibliothécaire lorsqu'il lui dit qu'un fantôme avait peut-être mangé la lettre manquante. Elle n'était pas certaine d'avoir bien compris, mais lorsqu'elle vit le sourire, elle comprit alors que c'était une blague et sourit en retour, un peu timidement. Il lui expliqua qu'il serait facile de simplement refaire l'étiquette et elle lui remit le livre. Il sembla alors être un peu distrait, mais reprit rapidement sur lui-même et affirma qu'ils avaient oublié quelque chose d'important. Penchant la tête légèrement sur le côté, elle le suivit tout simplement sans poser plus de questions. Il se dirigea avec son fauteuil vers les allées de la bibliothèque comportant les romans. Elle se demandait bien ce qu'il voulait lui montrer et son attente ne fut pas longue. Il se leva péniblement pour attraper un livre et le lui remettre. C'était son livre préféré depuis qu'il était au Japon. Voulait-il qu'elle le lise?

Intriguée, elle allait lui demander ce qu'elle devait faire du livre lorsqu'il lui demanda ce qu'elle aimait lire. Elle ouvrit donc la bouche puis la referma. Elle lisait beaucoup de livres techniques sur le dessin, mais ce n'était pas nécessairement parce qu'elle aimait cette lecture plus que pour approfondir ses connaissances artistiques.

— J'ai lu beaucoup de bandes dessinées, étant jeune, c'est ce qui m'a donné le goût de dessiner. Autant des oeuvres très connus que des livres d'auteurs plus modestes.

Elle trouvait que c'était un peu pauvre comme suggestion et peut-être pas vraiment ce que recherchait le bibliothécaire comme réponse. Puis, son visage s'illumina alors qu'elle venait de repenser à une série qu'elle avait bien lue et aimée.

— Sans être un livre précis, j'ai beaucoup aimé les romans de Maurice Leblanc avec son personnage de gentleman-cambrioleur Arsène Lupin. Je trouvais ingénieux les stratagèmes utilisés dans les histoires pour les vols, mais surtout les descriptions des lieux. J'ai souvent tenté d'illustrer les décors du livre et les personnages.

Elle ne savait pas si cela répondait à la question du bibliothécaire ou non.

— J'ai fait ça souvent en fait, illustrer à ma façon les histoires que je lisais, à défaut d'en créer moi-même. Beaucoup de personnes dans mon cursus écrivaient des histoires avec leurs personnages, mais je préférais à l'inverse illustrer les histoires des autres, y mettre ma vision artistique.

Elle regarda les étagères remplies de livres.

— Chaque livre a une histoire qui mérite d'être illustrée, c'est pour cela qu'il y a souvent une image de couverture. Certains ont aussi de rares images à l’intérieur, ou une fioriture. C'est une façon différente d'attirer un lecteur qui a moins de concentration que d'autres, j'imagine. Ou de permettre de faire une pause dans la lecture. Oh! ça me rappelle une autre série qui avait des énigmes dessinées dans le livre, celles que les personnages découvraient, nous laissant la chance, en tant que lecteur, de tenter de les résoudre avec les personnages, de prendre part à l'aventure en quelque sorte...

Elle se tue en baissant la tête. Elle s'était peut-être un peu trop emportée dans ses explications, une manie qui la prenait de plus en plus décidément.

— Je ne sais pas si cela répond à votre question au final...

Jilian avait entraîné la jeune femme du côté des romans anglophones. Tout simplement parce que c'était plus chouette de parler de livre quand on les avait dans les mains. Comme ça on avait aussi l'odeur et puis la sensation du papier sous les doigts. Ça rendait les choses plus concrètes plus... plus en relief ! Voilà. Et puis c'était trop bête de se contenter de parler de livres dans le vague alors qu'on était en plein milieu d'une immense bibliothèque ! À ce compte-là c'était rater une opportunité en or. Et puis de toute façon, on arrêtait pas Jilian quand il était lancé à parler de bouquin...

Mais pour le coup, il avait plutôt envie de l'entendre elle sur la question. Après tout, elle aurait aussi bien pu aller chercher du travail ailleurs. Mais c'était ici qu'elle était venue en demander, alors il fallait bien supposer qu'elle aimait les livres, au moins un minimum. Après, peut-être que Jilian était trop naïf et qu'il sous-estimait le fait qu'on puisse prendre un travail par simple besoin sans y avoir aucun goût...

Il attendit tranquillement et sans rien dire qu'elle trouve ses mots. Elle semblait un peu perturbée par la question. Sa première réponse était chouette, effectivement si elle dessinait, ça semblait le medium parfait pour relier les deux univers ! Pourtant, elle-même ne semblait qu'à moitié contente de cette réponse. Et d'un coup, ce fut comme si elle avait trouvé LA solution à un problème épineux. Une autre énigme de résolue. D'autant plus que de fil en aiguille, elle lui en dit un peu plus sur son rapport aux livres, au dessin. Jilian écoutait toujours attentivement, la laissant suivre le fil de sa pensée. Quand elle eût fini, il sourit, encourageant.

"Si si, ça répond tout à fait. Ne vous inquiétez pas ! Il faudra me montrer vos dessins du coup. Vous avez déjà pensé à faire de la BD vous mêmes ? Ou à travailler avec un auteur sur un light novel ? Ça pourrait être un beau projet si vous aimez être à la croisée des deux mediums."

Ceci étant dit, il allait peut-être falloir qu'il retourne à son travail... c'était bien beau tout ça, mais le temps passait et même s'il aurait bien voulu continuer à papoter, il allait bien falloir retourner au turbin !

"Par contre, je crois que le temps qui nous était imparti touche à sa fin... J'en suis désolé, je serais bien resté à papoter avec vous. C'est intéressant en plus, je connais beaucoup moins tout l'univers de la bande dessinée, vous aurez des choses à m'apprendre j'imagine !"

Pour le coup, ça ne lui posait absolument aucun problème de ne pas tout connaître, c'est bien pour ça que même s'il n'était pas le meilleur en conversation, dès qu'on parlait livre, il était capable de se lâcher. Alors la perspective de mieux connaître tout un pan de la littérature qui lui échappait ne pouvait que l'enchanter.

"Enfin vous avez peut-être d'autres questions ? Je pense qu'on a fait le tour des tâches principales. Il faudra qu'on se cale un moment pour que je puisse vous montrer les alarmes et les sous-sols. Comme je vais continuer à travailler le matin, vous n'aurez pas à les mettre, et le soir quelqu'un de la sécurité pourra s'en charger. Mais c'est toujours utile à connaître si jamais il y a un bug ou quelque chose."

Ou un typhon qui vient dérégler tout votre système quand vous avez le dos tourné... les premiers jours, quand l'académie avait rouvert, l'alarme de la bibliothèque se déclenchait d'un rien, ça avait été pénible et il avait fallu une bonne semaine avant que tout ne soit réparé.

"Vous pourriez commencer quand ? Il me faudra aussi votre emploi du temps, que je puisse faire vos horaires en fonction de vos disponibilités et de celles de vos collègues. Pour le reste, je vous laisserai voir avec les RHs pour les papiers et votre contrat. Mais n'hésitez pas à me dire si jamais il y a un soucis de leur côté !"

L'administration, ça pouvait être un véritable enfer... et il aimait autant de ne pas laisser les étudiants qui allaient travailler avec lui se débrouiller tout seul face à ça. D'autant que pour Catherine, c'était un premier emploi, alors le droit du travail, la paperasse et toutes ces choses, c'était sans doute nouveau. Il lui fit un large sourire et lui tendit la main pour la saluer.

"On se retrouve très bientôt donc !"

Son futur nouveau patron sembla satisfait de sa réponse concernant son livre préféré. Elle lui fit alors un sourire, plutôt soulagée de s'en être bien sortie finalement. Il voulut même qu'elle lui montre ses dessins une prochaine fois, demandant même si elle n'avait pas envisagé de faire une bande dessinée ou un light novel. Elle secoua la tête négativement.

— L'idée m'a traversé, mais je n'ai pas assez d'inspiration pour le faire seule. Peut-être par contre que je trouverai ici quelqu'un qui voudra s'occuper de l'écriture et j'en ferai l'illustration. C'est effectivement un projet assez intéressant.

D'ailleurs, l'idée commençait déjà à germer dans sa tête. Cela lui permettrait aussi de socialiser avec quelqu'un qui aime les histoires et ainsi développer son côté social. En tout cas, une bibliothèque était un bon lieu de départ pour chercher une personne intéressée par la lecture et l'écriture, même si c'était une bibliothèque scolaire.

L'entrevue tirait à sa fin et Catherine avait une bonne opinion du bibliothécaire, se sentant à l'aise de lui parler ce qui déjà était un excellent signe. Au moins, elle n'aurait pas de difficulté à lui poser les questions sur l'emploi au fur et à mesure qu'elles viendraient.

— Ce sera avec plaisir.

Il lui demanda d'ailleurs si elle avait d'autres questions. Elle regarda un peu en l'air, cherchant, avant de secouer la tête à nouveau.

— Non, pas pour le moment. Probablement qu'il y en aura pendant l'ouvrage, mais rien ne me vient en tête.

Ce qui était fort normal lorsqu'on apprenait quelque chose de nouveau. Chaque chose en son temps, mais elle était déjà plus confiante qu'au départ et cela lui donnerait aussi une meilleure situation financière pour racheter les différents matériaux qui avaient été détruits pendant le bris de son appartement causé par le typhon.

— Je peux commencer dès lundi prochain, je peux vous remettre une copie de mon horaire de classe, j'en ai fait une avant de venir.

Alors qu'ils retournaient vers le bureau d'accueil, Catherine prit la copie dans son sac d'écolière et la lui remit. Elle lui sera ensuite la main, ce qui lui fit drôle de revenir aux traditions occidentales au lieu de s'incliner.

— Oui, merci beaucoup.

Elle quitta donc la bibliothèque, le coeur plus léger qu'à l'arrivée. Elle avait enfin son premier emploi.