Enfin ! On était samedi... quelle semaine... vraiment... après ce satané typhon qui avait détruit une partie de l'aile administrative, la rentrée avait été pour le moi compliquée ! Déjà, il devait pour le moment partager son bureau avec la maudite Beatrix ! Bien obligé... de base, elle venait en renfort sur ce type de période, et même comme ça, la file d'attente était longue longue ! Tout ça pour répondre aux mêmes questions en boucle à des étudiants infoutus de lire les informations correctement. Franchement, des fois, il se demandait si la présence de beatrix aidait tant que ça... cette femme était désorganisée au possible. Elle commençait toujours trois tâches en même temps sans les hiérarchiser, elle ne notait jamais correctement les dates ce qui mettait une pagaille folle dans l'emploi du temps, mais surtout... surtout... elle ne respectait pas le code couleur !! Comme pouvait-on ne serait-ce qu'envisager de travailler correctement sans respecter le code couleur ?? Le code était là pour solutionner les problèmes ! Vraiment...

Après, il voulait bien lui reconnaître qu'elle était toujours charmante et polie. Elle ne prenait jamais personne de haut, et savait garder son calme et rester patiente face aux étudiants quand lui il leur aurait bien retourné son comptoir dessus. Et puis elle supportait aussi ses sautes d'humeur et sa fatigue... il lui en savait gré.

Mais bon quand même, le code couleur quoi !

Cette semaine, le bureau de Dai avait à nouveau ouvert à ses horaires habituels plutôt qu'aux horaires étendues de la rentrée. Bientôt, ils allaient pouvoir consacrer les matinées au rapatriement des affaires de Beatrix vers son propre bureau, et au réarrangement du sien. Quelle horreur que le bureau de Beatrix, il ne comprenait pas comment elle faisait pour travailler dans un  bazar pareil ! Enfin pour le moment bien sûr, tout était clean, mais il savait déjà qu'il ne lui faudrait qu'un tout petit peu de temps pour répandre son apocalypse... De son côté, il avait hâte de pouvoir tout remettre correctement. Tout bien symétrique, des parallèles parfaites et des perpendiculaires harmonieuses. Enfin, il se sentait bien !

Ce samedi matin, il était donc content de pouvoir aller se défouler un peu ! D'autant que son épaule était enfin correctement remise... un mois qu'il n'avait pas eu le droit de faire le moindre sport, histoire d'être sûr que son épaule démise avait bien repris sa place et que tout fonctionnait pour le mieux. Il avait enfilé un jean, noir, un tshirt à manches longues, noir, ses vans, noires, et avait réenfilé ses bagues préférées à tête de mort. Il avait l'air d'un emo goth sur le retour, mais il s'en fichait complètement. L'avis des autres ne lui avait jamais trop importé, ce n'était pas maintenant que ça allait commencer !

Il était sorti de chez lui, plein d'enthousiasme, son skate à la main de façon à arriver au skate park vers 9h du matin. Il avait beau se moquer de l'avis des autres, il aimait parfois être tranquille, loin des regards indiscrets. Son style était encore fragile, alors il aimait s'entraîner tranquillement dans son coin. Le but n'était pas d'atteindre la figure parfaite, mais au moins de comprendre un minimum ce qu'il faisait avant de montrer à d'autres. Il était souvent ravi qu'on lui montre comment faire. Après tout, il restait encore un tout jeune débutant ! Et un débutant qui ne s'était pas entraîné pendant un mois qui plus est...

En arrivant, il sortit de son sac genouillères, coudières et casque. Dai était du genre aventureux, mais prudent ! Il y avait quelque chose dans le fait d'être au skate park au petit matin, seul. Un sentiment de liberté incroyable. Finalement, dans ces moments-là, c'est à peine s'il s'essayait à des figures. Il prenait juste plaisir à descendre la pente sur son skate. La sensation de vitesse était grisante, délicieuse. En tout cas jusqu'à la première gamelle ! Mais il commençait à s'habituer. Il avait eu le temps de faire 10 aller retours sur la rampe avant de se retrouver sur les fesses son skate parti en avant. Il en profita alors pour sortir son smartphone, et regarder la vidéo de ce qu'il voulait faire. Aujourd'hui, plutôt que de juste rouler monter descendre, il voulait tenter de réussir à sauter en retournant son skate pour retomber dessus. Il rangea l'engin dans son sac, et commença à tenter le coup... et à tomber une fois sur trois. heureusement qu'il était bien protégé !

Kyojiro avait été un peu anxieux à l’approche de cette rentrée, il devait bien l’avouer. Cette aventure typhonesque l’avait vraiment chamboulé et l’avait même poussé à commettre des crimes atroces mais… Il avait réussi à surmonter sa honte en revenant la veille de la rentrée pour retrouver sa chambre au pensionnat, après un mois passé chez son père pour les vacances d’été. Sa convalescence s’était faite sans heurts, même si monsieur Sakurai avait dû batailler pour faire comprendre à son fils qu’il n’avait plutôt pas intérêt à trop forcer sur son corps en s’essayant au kendo. Il avait donc passé un mois sans pratiquer son sport favori, alors même qu’il avait réussi à se hisser à la première place du classement national, ce qui avait sans doute été la pire des tortures, pire encore que ce passage à l’hôpital pour retirer ses points à sa tête. Son corps avait été douloureux et lourd pendant plusieurs jours, mais après deux bonnes semaines de repos (forcé), il avait pu doucement reprendre quelques exercices physiques.

Inutile de dire qu’à peine la rentrée terminée, Kyojiro avait passé la très grande majorité de son temps libre à s’entraîner ! Ça lui avait tellement manqué de sentir son shinai entre ses mains, de sentir de la corne se former sur ses mains à force d’enchaîner les mouvements… ça faisait un bien fou de se défouler, de transpirer et d’enfin pouvoir pratiquer ce sport qu’il affectionnait tant ! Et puis, au final, c’était presque comme si rien ne s’était passé… Le typhon avait fait pas mal de dégâts à l’Académie, mais le directeur (pourvu qu’il ne découvre jamais que c’était lui qui avait volé ses affaires dans son bureau, en plus de lui avoir détruit une étagère !) avait mis les bouchées doubles pour que tout soit rénové avant la rentrée de septembre. Tout Yokuboo semblait comme neuve, et ça rassura quand même grandement le kendoka qui retrouva sa chambre du pensionnat qu’il partageait avec Aki. Il retrouva aussi son train-train quotidien, entre les cours et les clubs de cuisine et de kendo, ainsi que… ses petits moments passés avec Zelda.

Mais aujourd’hui, pour ce premier week-end après la rentrée, Kyojiro avait décidé de faire la fouine. Il n’avait pas eu l’occasion de voir à quel point le reste de la ville avait pu souffrir du typhon, étant aussitôt rentré chez lui avec son père au sortir de l’hôpital, père qui l’avait également déposé pour son retour à l’Académie alors qu’habituellement le kendoka prenait le train… Du coup, il n’avait pas pu voir grand-chose et il voulait savoir si ses petits spots préférés avaient souffert.

Même si on était samedi, Kyojiro s’était levé tôt pour se doucher et prendre un petit-déjeuner, s’empressant de sortir pour ne croiser personne. Mine de rien, l’étudiant portait toujours sur ses épaules le poids de ses actes et de ses décisions lors de ce typhon. Ce n’était sans doute rien, mais quand il avait appris que des incendies s’étaient déclenchés dans certaines salles, il n’avait pas pu s’empêcher de faire le rapprochement avec le fait que lui et Dai avaient coupé l’eau dans toute l’Académie. Bon, il fallait se dire que personne n’avait été grièvement blessé lors de cette journée de juillet, mais Kyojiro ne pouvait quand même pas s’empêcher de se sentir un peu coupable.

Repensant à tout ça alors qu’il marchait distraitement dans les rues de Nara, son regard sombre se posant un peu partout autour de lui, Kyojiro s’entendit soupirer. On voyait encore quelques séquelles de ce typhon, mais tout semblait presque revenu à la normale. Sans s’en rendre compte, ses pas le menèrent jusqu’au centre sportif du quartier historique. Il n’y avait pas beaucoup de monde dehors en raison de l’heure matinale, alors l’attention du kendoka avait été aussitôt captée par ces bruits de roues non loin. Quand il releva la tête vers la source de ce bruit, il fut grandement surpris de reconnaître son compagnon d’infortune du typhon : Dai, le gestionnaire de la scolarité !

Surpris et content de le revoir après tout ce temps, le kendoka oublia sa timidité pourtant maladive pour se rapprocher des rampes où l’homme s’entraînait et… tombait. Beaucoup.

« M-Murakami-san ! Qu-Quel plaisir de vous voir ici ! V-Vous avez l’air d’aller bien mieux. »

Enfin… avec de telles chutes, même s’il était protégé, il allait finir par se casser un truc !

Le kendoka s’approcha encore un peu, s’inclinant poliment devant son aîné pour le saluer convenablement. Ils n’étaient pas vraiment censés sympathiser vu leurs différences de statuts à l’Académie mais… avec ces quatre heures affreuses et toutes les aventures épiques qu’ils avaient vécues, Kyojiro avait l’impression qu’un lien s’était tout de même créé entre eux.

« J-Je… E-Est-ce que la rentrée se passe b-bien ? V-Vous savez… J-J’ai beaucoup pensé à vous p-pendant les vacances et… Je… Je voudrais vraiment p-pouvoir vous aider avec v-vos dossiers si vous avez b-besoin d’aide. C-C’est… C’est quand même un peu à cause de moi que t-tout a été saccagé… »

Le kendoka baissa un peu la tête en y repensant. Tout ce boulot que le pauvre Dai devait gérer… Est-ce qu’il s’en sortait ? Mais plus important…

« Ah ! C-Comment e-est-ce que vous allez alors ? »

Dai était concentré sur ce qu'il faisait. Les chutes étaient nombreuses, il faut dire qu'avec un mois sans pratique, il avait forcément perdu la main, et la cheville et le pied et tout ce qu'il fallait pour maintenir son équilibre. Déjà que même avant ça, il n'était qu'un débutant... Pourtant, tomber ne l'embêtait pas outre mesure, c'était comme si ça faisait parti du jeu. Et puis avant le typhon il avait bien réussi à limiter les chutes ! Nul doute, l'équilibre reviendrait bientôt ! C'était aussi pour ça qu'il avait préféré venir si tôt, au moins comme ça il était sûr d'être tranquille.

Si bien qu'il fût surpris d'entendre une voix l'appeler. Et quand on disait l'appeler, l'appeler vraiment, avec son nom et tout. Il releva la tête de la vidéo qu'il regardait pour voir qui l'appelait. Il écarquilla de grands yeux en découvrant Kyojiro. Kyojiro, son compagnon d'infortune durant le typhon d'il y a un mois. L'étudiant qu'il avait emmené avec lui dans des décisions toutes plus sombres les unes que les autres. Il avait des frissons rien qu'en repensant à ce qu'ils avaient osé faire tous les deux... Ça avait d'ailleurs été extrêmement stressant de retourner travailler en sachant ce qu'ils avaient fait tous les deux... combien de temps avant qu'on ne se rende compte que c'était lui ?

"Sakurai-san !"

Il offrit malgré tout un immense sourire à l'étudiant, s'inclinant lui aussi respectueusement. Après tout, le respect allait dans les deux sens, et puis après ce qu'ils avaient vécu ensemble, il n'était plus complètement sûr que la différence de statuts entre eux ait le moindre sens. Qui plus est, il était vraiment content de le voir. Il n'était pas sensé se lier d'amitié avec les étudiants, et d'ordinaire il n'avait aucun mal à s'y tenir. Cette règle lui paraissait logique, voire nécessaire, notamment pour le bien même des étudiants. Mais il ne pouvait pas se mentir non plus, un lien s'était créé entre eux... Il se sentait du coup un peu partagé. D'un côté, ça ne se faisait pas, de l'autre, il n'allait quand même pas nier l'affection qu'il avait pour son compagnon d'arme ! Quel hypocrite il serait si maintenant il lui tournait le dos sous prétexte que maintenant les choses allaient bien ?

Pour autant, la question de l'étudiant était plus compliquée qu'il n'y paraissait. Il y avait des choses que les étudiants n'avaient pas besoin de savoir quant à ce qui se passait en coulisses. Et en même temps, il avait bien vu les dites coulisses tomber en miettes. D'autant plus près qu'elles lui étaient littéralement tomber sur la tête ! Et il refusait de laisser Kyojiro porter la responsabilité de l'inconsidération de l'académie !

"Ce n'était pas votre faute... du tout. Je peux vous dire quelque chose qu'il faudrait éviter de répéter ?"

Dai avait tapé du poing pendant le mois d'août. Il était un peu sorti de ses fonctions, refusant qu'on refasse la même erreur. Quitte à faire des travaux et reconstruire l'aile administrative, cette fois-ci, il faudrait le faire correctement ! Et pas à la va vite avec des matériaux qui ne tiendraient pas le premier coup de vent ! Dans un pays comme le Japon et ses multiples tremblements de terre, c'était une honte...

"Oui c'est un peu compliqué en ce moment au bureau... de base, la rentrée c'est toujours compliqué et la plupart d'entre nous à la scolarité faisons beaucoup d'heures supplémentaires. Mais là, beaucoup de dossiers ont été perdus, que ce soit dans mon bureau ou celui de collègues. Les dossiers papiers sont noyés, et beaucoup d'ordinateurs ont cramé. Nous devons relancer les procédures pour la quasi totalité des étudiants de l'académie. Nous avons demandé s'il était possible d'engager des étudiants pour nous aider, ou nous y serons encore à Noël !"

Et ce n'était pas avec l'aide de Beatrix qu'il allait en venir à bout plus vite ! Enfin... s'il était honnête, heureusement qu'elle était là ! C'était déjà suffisamment compliqué... mais il fallait admettre qu'à eux deux, ils ne s'en sortiraient pas !

"Enfin pardon, ce n'est pas très intéressant à entendre j'imagine. Vous avez passé un bel été ? Oh et votre blessure alors ? Il n'y a pas eu de complication ?"

Il se souvenait d'avoir désinfecté comme il avait pu avec le whisky du directeur... il en rougissait rien que d'y penser ! D'autant que ce n'était clairement pas du whisky bas de gamme... mais après tout c'était lui qui avait signé l'accord pour ces travaux avec des matériaux pourris ! Alors il devait bien à un étudiant qui en avait souffert une lampée de whisky ! même si c'était pour désinfecter sa tête...

Ceci dit, Dai fût surpris d'entendre que Kyojiro se souciait de comment il allait. En dehors de sa famille, ça n'intéressait pas grand monde. Certainement pas les gens qui le connaissaient par le travail ! On le trouvait toujours trop sérieux, trop boulot boulot, trop... fixé sur le code couleur (alors que c'était quand même important le code couleur !).

"Moi ? Euh moi je... euh... je vais bien. Mon épaule s'est bien remise, du coup je peux reprendre l'entraînement ! Même si c'est un peu catastrophique pour le moment..."

Le gestionnaire fit un grand geste du bras pour montrer qu'il avait bien retrouvé toutes ses fonctions. Bon, il y avait encore des petits moments où ça coinçait, mais en faisant attention, pas de soucis ! En parlant d'entraînement, il se rappela soudainement la raison pour laquelle Kyojiro était présent dans son bureau ce jour-là.

"Et vous ? J'imagine que vous avez dû prendre une pause forcée aussi... ça n'a pas posé trop de soucis dans votre planning de compétition ? Vous avez passé un bon été quand même ?"

Il s'emmêlait dans l'ordre des questions... il faut dire que socialiser, c'était aussi un truc dans lequel il débutait !

Kyojiro avait vraiment été surpris de retrouver Dai, son compagnon d’infortune pendant le typhon, à côté du complexe sportif de la ville. Et cette surprise était agréable ! Il savait qu’ils avaient tous deux un statut et des âges bien différents qui faisaient qu’ils n’étaient pas censés créer un lien quelconque à l’Académie mais… C’était un peu différent dans leur cas : ils s’étaient retrouvés, par la force des choses (et de la Nature), à devoir partager 4 heures d’aventures épiques. Alors, forcément, dans ce genre de moments, le statut et l’âge, c’étaient bien deux choses dont on se moquait éperdument. Résultat, même si Kyojiro savait qu’il ne pourrait pas considérer l’adulte comme un ami quand il était à Yokuboo, il avait quand même ardemment espéré pouvoir le revoir afin de reparler de tout ça et, surtout, prendre de ses nouvelles. Leur lien était inexplicable et unique, mais le kendoka connaissait leurs positions à tous les deux et ne risquerait jamais de mettre le gestionnaire dans une situation inconfortable en se montrant trop familier avec lui alors qu’il travaillait. Et puis, de toute façon, ils avaient une couverture à préserver ! Personne ne devait savoir que c’étaient eux qui avaient « saccagé » le bureau du directeur, JAMAIS !

Le kendoka rendit donc un petit sourire à Dai en réponse au sien, s’approchant de son interlocuteur qui était visiblement en train de regarder une vidéo avant que l’étudiant ne l’interrompe. Quand le gestionnaire lui demanda alors s’il pouvait lui confier quelque chose qui resterait entre eux, Kyojiro prit un air beaucoup trop solennel avant d’hocher la tête, les sourcils légèrement froncés. C’était limite s’il n’avait pas mis son poing fermé sur son cœur pour jurer qu’il garderait le silence, envers et contre tout. Le kendoka était profondément désolé d’entendre que son camarade croulait sous le boulot, mais une lueur vint ensuite briller dans ses yeux alors qu’il gardait cet air toujours aussi sérieux.

« A-Alors… V-Vous pensez que je p-pourrais venir v-vous aider ? Ça… Ç-Ça me ferait vraiment plaisir de pouvoir v-vous aider, même r-rien qu’un peu. »

Dai ne pourrait certainement pas lui dire non, pas avec ce regard déterminé qu’il plantait dans le sien ! Sauf que Kyojiro fut ensuite pas mal pris au dépourvu quand le gestionnaire demanda de ses nouvelles. Instinctivement, sa main vint se poser sur le petit trou qu’il avait dans ses cheveux à cause de sa cicatrice qui disparaissait lentement, mais sûrement.

« Oh euh… Ç-Ça… Ça allait pour la blessure, je… T-Tout le monde m’a dit que la plaie était très b-bien nettoyée alors je… J’ai dit à tout le monde que c’était g-grâce à vous. Je… J’ai juste dû me reposer pendant t-tout le mois d’août, m-mais j’ai pu reprendre le kendo d-depuis que je suis revenu à Nara. »

Et ça, c’était quand même le plus important !

Quoi qu’il en soit, Kyojiro n’avait jamais été vraiment à l’aise dans cet exercice qui consistait à parler de lui alors, l’air de rien, il détourna la conversation en demandant à Dai comment lui se portait. C’était une parfaite diversion en plus de lui permettre de prendre des nouvelles du gestionnaire. D’une pierre, deux coups ! Le kendoka fut donc soulagé d’apprendre que l’épaule de l’adulte était désormais réparée et que tout allait pour le mieux, esquissant un faible sourire quand Dai lui parla de ses prouesses au skate depuis ces événements. Il se sentit d’ailleurs rougir un peu à la question du gestionnaire, fronçant les sourcils et détournant les yeux alors qu’il se frottait la nuque un peu nerveusement.

« Oh euh… Hum… Ça… Ça a été oui, m-merci de v-vous en inquiéter… Je… Je n’avais pas vraiment besoin de m’entraîner pendant les vacances c-comme le dernier t-tournoi s’est déroulé en juin, m-mais… Ça m’a vraiment manqué. »

Le kendoka continua à fixer un point invisible au loin, avant de finalement reporter son attention sur Dai. Bon eh bien… Et maintenant ? Il avait pris de ses nouvelles, il était heureux de savoir que tout allait pour le mieux pour son compagnon mais… Qu’est-ce qu’il pouvait bien lui dire maintenant ? Est-ce qu’il ne valait pas mieux qu’il passe son chemin ? Le kendoka sentit son corps faire un mouvement pour quitter les lieux, mais il se ravisa au dernier moment, un peu gêné. C’était bizarre de vouloir rester encore un peu ici avec le gestionnaire ?

« D-Dites… V-Vous… Vous ne vous êtes jamais blessé en faisant d-du skate ? »

Non parce que, mine de rien, ça semblait quand même pas mal dangereux comme pratique ! Kyojiro aurait bien voulu essayer, mais il était quasiment sûr qu’il finirait par se ramasser et se blesser. Et il avait déjà passé un mois sans faire de kendo, c’était largement suffisant !

Faire la conversation n'était pas facile. D'autant qu'il avait l'impression de jouer avec le feu, comme si rien de tout ceci n'était censé arriver. D'ailleurs, si on les voyait ensemble à l'extérieur de l'académie, que dirait-on ? Qui plus est, si on les voyait comme ça ensemble à l'extérieur, est-ce qu'on ne risquait pas de comprendre tôt ou tard ce qu'ils avaient fait ? Tôt out tard, la vérité percerait au grand jour et alors tout le monde saurait qu'ils étaient coupables... c'est sûr, ce n'était qu'une question de temps ! En plus, il y avait eu des témoins ! Définitivement, on finirait par savoir ce qui s'était vraiment passé de leur côté... vu le nombre de rumeurs qui avaient circulé après l'événement, il était surpris que ça ne soit pas déjà connu du reste du monde...

Il valait mieux ne pas y penser... avec un peu de chance, les preuves avaient disparu pendant les travaux de rénovations et on ne saurait jamais jamais jamais ce qu'ils avaient fait. Dai s'en voulait de penser ainsi, lui qui était si droit et si enclin à suivre les règles, voilà qu'il espérait carrément que des preuves aient disparu ! Vraiment, ça ne lui ressemblait pas !

D'un autre côté... il aimerait vraiment que l'académie assume les dégâts causés...

"L'aile administrative avait été construite à la va vite quand l'académie a été agrandie. Ce devait être temporaire, et finalement... c'est resté comme tel. Par fainéantise ou oubli. Sans aller jusqu'à dire qu'ils n'ont pas respecter les normes, on ne peut clairement pas dire que les matériaux utilisés étaient de première qualité. D'où la chute du mur que nous avons pu constater... il y a eu d'autres incidents de cette sorte dans l'aile administrative. Heureusement pas de blessés graves, mais ça aurait pu être assez terrible."

Dai était vraiment en colère pour tout ça. Ce n'était pas sérieux, et c'était dangereux. En plus, c'était une façon assez symbolique d'indiquer l'ordre de priorité des investissements : le personnel administratif restait le personnel qu'on cachait et qu'on pouvait se permettre de traiter mal alors qu'ils faisaient littéralement tourner toute l'école...

Enfin, ce n'était sans doute pas le lieu d'exprimer la colère latente qui le bouffait depuis quelques mois, même si le typhon l'avait méchamment fait ressortir. Et puis ce n'était sans doute pas convenable d'informer ainsi un étudiant de ce qui se passait en coulisses. Mais après tout, c'était aussi leurs frais d'inscription qui payaient pour ce genre de choses, il pouvait être normal qu'ils aient des comptes à rendre sur ce genre de choses. D'autant que Kyojiro aurait pu être grièvement blessé ! Dans le fond, il pourrait presque porter plainte contre l'académie... Dai avait passé tout le mois d'août à se demander s'il ne devait pas justement informer l'étudiant de ce genre de choses, surtout si cela avait eu un impact sur ses capacités, et donc sur son avenir...

Ceci dit, il fût extrêmement touché de voir l'étudiant vouloir à ce point l'aider. Dans le fond, rien ne l'y obligeait, surtout pas alors qu'il avait été blessé !

"Et bien, si on arrive à créer ces emplois étudiants, je vous ferai signe oui ! Hors de question que l'académie exploite des étudiants pour réparer ses bêtises. Ça ne sera sans doute pas un travail très passionnant, mais ça vous fera un peu de sous comme ça !"

En plus, ce serait un juste retour des choses de permettre aux étudiants de se faire un peu de sous... et puis comme ça certains comprendraient peut-être la masse de travail qu'impliquait la gestion de la scolarité et seraient un peu moins insupportables et un peu plus consciencieux de la création de leur dossier.

"Ha, pas de soucis pour la blessure. Content qu'elle ne se soit pas infectée ! Le whisky y a sans doute beaucoup plus fait que moi."

Est-ce que c'était une blague... ? Même Dai n'en était pas bien sûr, ça sonnait mieux dans sa tête... mais maintenant qu'il l'avait dit à haute voix... il se sentait juste un peu crétin avec son sourire béta...

Dai reprit son sérieux, tâchant de se refaire une contenance et reprit donc la parole.

"Tant mieux alors si vous avez pu reprendre l'entraînement sans soucis. Ça m'a inquiété tout l'été !"

C'était là aussi sans doute inapproprié à dire, mais après tout c'était vrai... et puis c'était normal de s'inquiéter alors qu'il l'avait vu en si mauvais état qu'il avait du mal à marcher ! Alors s'entraîner... lui qui était devenu numéro 1 ! Ça aurait vraiment pu être catastrophique...

Un long silence s'en suivit. Ils avaient l'impression d'avoir fait le tour du sujet. Qu'avaient-ils d'autre à se dire ? Qu'est-ce qu'ils pouvaient se raconter ? Il vaudrait sans doute mieux s'arrêter là. En même temps... en même temps il se sentait bien avec Kyojiro à cet instant, alors ça serait dommage. Il avait même tenté une blague ! Ce n'était pas comme s'il faisait des blagues à haute voix tous les jours ! Ce fût finalement Kyojiro qui trouva une façon de relancer la conversation.

"Oh, blessé... non. Il faut dire que je ne prends pas forcément beaucoup de risques, je fais des lignes droites. C'est bien les lignes droites ! Donc je tombe beaucoup, mais je ne me fais pas trop mal. Enfin, mes fesses ne seraient sans doute pas d'accord avec ça si elles pouvaient parler, mais je crois qu'on est tranquille de ce côté-là !"

Quoi ? une deuxième blague ? Mais c'était un vrai spectacle de stand-up à ce stade ! À nouveau Dai afficha son sourire mi-béta mi-gêné devant ses propres tentatives d'humour maladroites. Il tripota sa frange un peu nerveusement, et décida finalement de continuer.

"En fait, j'aimerais bien faire des figures un jour. Mais en attendant j'aime bien juste la sensation du mouvement. Ça donne l'impression que tout bouge autour de vous, qu'on glisse sans effort à travers le monde, vous voyez ?"

Oui bon ce n'était pas très clair... il était gestionnaire, pas poète...

"Vous... vous voulez essayer ?"

Kyojiro comprenait parfaitement la colère de Dai quand il lui expliqua les problèmes de l’aile administrative et les répartitions d’argent de l’Académie. Décidément, quand on était un petit étudiant comme lui, on était bien loin de se douter de tout ce qui se tramait dans l’ombre ! Mais bon, ce typhon avait peut-être été un mal pour un bien : comme il y avait eu beaucoup de dégâts dans cette aile administrative qui avait été construite à la va-vite, ils avaient dû tout rénover ! Il n’y avait plus qu’à espérer que cette fois, le travail aurait été bien fait !

Le kendoka était content que Dai se livre à lui, et même s’il était de nature curieuse, il ne pouvait pas s’empêcher de se dire, au fond de lui, que ce n’étaient pas des choses qu’il était censé connaître… ça le mettait presque mal à l’aise ! Alors il préféra détourner un peu la conversation pour insister sur le fait qu’il voulait vraiment aider le gestionnaire à vaincre toute cette paperasse qui s’était accumulée à cause du typhon et de la rentrée des vacances scolaires. Par contre, il resta un peu interdit quand Dai lui parla d’argent. Bah ça… Il n’avait jamais eu comme idée derrière la tête de se faire rémunérer pour un coup de main donné de bon cœur !

« Oh, mais… M-Même si ce n’est pas payé, ç-ça ne me dérange pas vous savez… Je ne me p-proposais pas en pensant à l’argent… »

Quel brave petit… Ceci dit, ça ne pourrait pas être un mal de commencer à mettre de l’argent de côté non ? Son père lui en donnait de temps en temps pour couvrir ses dépenses à l’académie, mais aussi pour qu’il puisse se faire plaisir, mais Kyojiro n’était pas du genre dépensier. Enfin… Il l’était sans doute un peu plus maintenant, parce que ça ne le dérangeait pas d’utiliser son argent pour faire plaisir à Zelda. Oui, ça lui faisait bien plus plaisir d’offrir des cadeaux à la demoiselle que de se payer des choses pour lui-même ! Il n’avait besoin de rien de toute façon, il était déjà très heureux comme ça !

Quoi qu’il en soit, au semblant de blague de Dai, Kyojiro ne put s’empêcher de sourire. Un sourire que le gestionnaire n’avait certainement jamais vu aussi développé, alors que pour le commun des mortels, il s’agissait d’un petit sourire on ne peut plus banal. Sourire qui laissa bien vite place à de la gêne quand Dai avoua à l’étudiant s’être inquiété de son état tout l’été. Bah ça… C’était aussi gênant que réjouissant ! Les joues de Kyojiro commencèrent à chauffer alors qu’il détournait les yeux et frottait un de ses pieds sur le sol.

« O-Oh euh… Je… Je suis désolé que ça vous a-ait autant inquiété… I-Il ne fallait pas vous en f-faire pour si peu… Hum… Et… Je… Peut-être que nous devrions r-remercier le directeur d’avoir a-acheter un a-aussi bon w-whisky alors… »

WOW ! C’était quoi ce miracle qui venait de se produire ? Dai avait tenté de faire de l’humour, et Kyojiro avait renchéri ?! C’était tout bonnement improbable ! D’ailleurs, il n’était même pas sûr que c’était si drôle que ça, surtout qu’il n’avait pas parlé bien fort, les joues toujours rouges alors que son regard restait rivé sur son pied qui semblait bien décidé à user toute la semelle de sa chaussure.

Et comme si ce n’était pas déjà assez étrange, un long silence gênant s’en suivit. Maintenant qu’ils avaient pris des nouvelles l’un de l’autre… Qu’étaient-ils censés se dire ? Ils avaient partagé des moments forts lors de ce typhon, mais est-ce que ça voulait dire qu’ils pouvaient tenter de se lancer dans un lien se rapprochant possiblement de l’amitié ? Kyojiro ne savait pas du tout où il était censé se situer dans tout ça, et avant qu’il ne puisse réfléchir davantage à tout ça ou prendre la fuite, sa langue fut la plus rapide, relançant la conversation sur un autre sujet : le skate.

Le kendoka écouta attentivement tout ce que Dai lui expliquait, avant de rester complètement interdit en l’entendant parler de ses fesses. Un petit silence s’installa avant que Kyojiro ne se mette soudainement à rire. Il ne savait pas bien pourquoi il riait comme ça, d’un coup, mais l’image des fesses de Dai en train de râler lui avait semblé particulièrement hilarante. Résultat, il riait tellement qu’il en avait presque les larmes aux yeux ! Et ce genre de spectacle était bien rare ! Le kendoka arrivait à sourire de plus en plus souvent, mais rire aussi franchement… C’était toujours aussi peu fréquent !

Il mit quelques secondes à se remettre de ses émotions, passant le dos de sa main sur ses yeux avant de soudainement se redresser et se figer, son regard planté dans celui de Dai.

« A-Ah ! D-Désolé ! J-Je ne m-me moquais pas du t-tout ! J-Je… C’est juste que c-c’était… C’était drôle… »

Ah… Les joues de Kyojiro virèrent de nouveau au rouge vif alors qu’il avait soudainement envie de se ratatiner sur place pour fondre et disparaître dans le sol. Mais Dai ne semblait pas l’avoir mal pris et il venait même de lui proposer de s’essayer au skate. Le kendoka ne savait pas trop quoi en penser : il avait terriblement envie d’essayer, mais il avait aussi peur de se blesser… Fronçant les sourcils, il tenta d’évaluer le potentiel de dangerosité de cet engin du démon.

« J-Je… Je veux bien m-mais… Est-ce que vous croyez que vous p-pouvez… m’aider ? »

Parce que oui, Kyojiro n’était même pas sûr de réussir à poser ne serait-ce qu’un pied sur la planche sans réussir à finir sur les fesses…

Avait-il bien fait de divulguer de telles informations ? Il n'en était pas sûr. En même temps, s'il pouvait se permettre de le dire à quelqu'un de l'académie, c'était sans doute à Kyojiro. De toute façon, tout le personnel administratif était déjà au courant et en râlait à longueur de journée. Il faut dire que ça ne faisait jamais plaisir de voir à quel point on pouvait rogner sur votre sécurité pour économiser quelques sous !

"Oh mais vous ne pouvez pas travailler pour l'académie sans être payé ! Ce n'est pas correct ! Ce n'est pas comme si ça n'allais prendre que quelques minutes... enfin je veux dire... c'est très généreux de votre part... et je suis touché que vous vouliez aider... mais... euh... c'est un vrai travail et il faut payer les gens qui travaillent... il ne faudrait pas qu'ils profitent de vous..."

Dai était parti tout feu tout flamme et avait soudain eu peur que l'étudiant croit qu'il était en colère contre lui. Alors que bien au contraire ! Il était vraiment touché qu'il souhaite à ce point se joindre à eux pour résoudre tout le bazar qu'avait laissé le typhon derrière lui... d'habitude tout le monde s'en fichait du travail qu'ils faisaient et depuis la rentrée, les étudiants comme les professeurs n'avaient cessé de leur reprocher leur lenteur, alors que de leur côté, ils ne pouvaient pas faire plus. De panique, il finit donc par s'incliner avec respect devant l'étudiant.

"En tout cas je vous remercie grandement de votre sollicitude !"

Finalement, ça n'avait presque plus d'important qu'il ait trempé ses dossiers ce jour-là... d'autant que les dossiers en question avaient fini noyés de toute façon.

Apparemment, la conversation allait passer de remerciements en remerciements, un peu comme un match de ping pong où chaque joueur s'excuserait de renvoyer la balle à l'autre... C'était sans doute leur façon de mener une conversation. Aller savoir lequel allait arrêter de s'excuser et de remercier l'autre en premier ! Dai avait pourtant fini par se risquer à faire une blague, action qu'il avait presque aussitôt regretté. Qu'est-ce qui lui avait pris ? Et pourtant, il lui sembla bien entendre Kyojiro renchérir à travers la gêne ! Il avait souri, aurait même pouffé s'il n'avait constaté la gène de l'autre. Il s'était ravisé, se disant qu'il ne pouvait pas prendre le risque de le vexer !

Un long silence gêné et gênant s'en était suivi... Il fallait maintenant soit se résoudre à passer son chemin, soit trouver un nouveau sujet de conversation. On était là en complet terrain inconnu ! Heureusement, l'étudiant trouva comment remédier à la situation, il lança la conversation sur le skate. Était-ce parce qu'il s'agissait de la nouvelle passion du gestionnaire, qui était plus que ravi de pouvoir s'y remettre malgré son piètre niveau, ou bien parce qu'il était grisé d'avoir fait une blague à laquelle l'autre avait répondu ? Toujours est-il qu'il avait réitéré sa tentative et fait une autre blague... digne d'un enfant de huit ans, mais bon, il apprenait ! Il fallait bien commencer quelque part. Et quelle ne fût pas sa surprise quand il vit Kyojiro rire aux éclats ! C'était bien la première fois qu'il atteignait un tel succès ! Il en avait des étoiles dans les yeux ! Voir qu'il avait été capable de faire rire quelqu'un comme ça... c'est sûr, personne chez lui ne le croirait !

"Vous voulez dire que j'ai réussi une blague ??? Pour de vrai ???"

Même lui il n'y croyait pas complètement. Décidément, depuis ce typhon, il était sur une drôle de pente. Voilà qu'après être passé du côté obscur, il devenait drôle ! Peut-être qu'il aurait dû choisir l'obscurité depuis longtemps si on obtenait des résultats pareils...

Maintenant, il fallait qu'il joigne le geste à la parole et qu'il montre à Kyojiro comment faire.

"Je vous montre avant si vous voulez. En fait tout est une question de balance du poids pour bien garder l'équilibre. Et il faut pouvoir basculer son poids entre les moments où on a un pied au sol, les deux pieds sur le skate ou quand on veut tourner."

Joignant le geste à la parole, Dai enfourcha son plat destrier à roulettes, s'élança et fit un rapide tour pour revenir sur son point de départ. Tout se passa bien jusqu'au freinage. En voulant basculer son poids en arrière pour stopper la planche, il fût entraîné dans son propre élan et trébucha en arrière. Si bien qu'il faillit tomber, battit des bras mais réussit à retrouver son équilibre et à se stabiliser... presque un mètre derrière l'engin !

"Bon il faut encore que je travaille le freinage. Mais sinon dans l'idée c'est à peu près ! Je vous prête mon casque si vous voulez. ... Et puis si vous voulez vous pouvez vous tenir à moi au début, ça peut aider pour trouver l'équilibre. Comme quand on apprend à faire du vélo sans roulettes."

Il hésita un peu. Ça non plus ça ne se faisait sans doute pas... mais en même temps il n'allait quand même pas laisse Kyojiro prendre le risque de tomber et de se faire mal ! Ça ça serait encore pire...

Ça gênait quand même terriblement Kyojiro d’imaginer qu’il pourrait être payé pour le coup de main qu’il s’était toujours promis de donner à Dai une fois le typhon passé. Après tout, quand des catastrophes de ce genre arrivaient, les bénévoles étaient nombreux à vouloir aider ! Le kendoka s’était donc toujours imaginé qu’il pourrait faire pareil, en donnant de son temps avec plaisir sans avoir quoi que ce soit d’autre en retour que la satisfaction d’avoir aidé des gens qui en avaient besoin. Mais comme Dai semblait vraiment convaincu qu’il ne pouvait pas en être autrement, Kyojiro baissa un peu les yeux et fixa ses pieds avec une légère moue.

« S-Si je n-n’ai pas le choix a-alors… D-D’accord, j’accepte d’être p-payé pour vous aider. E-Et ne me remerciez pas, c’est n-normal d’aider dans des situations c-comme ça. »

C’était n’importe quoi… Kyojiro venait vraiment de dire qu’il acceptait d’aider même si on le payait. Sérieusement, combien de personnes sur Terre pouvaient réussir à sortir une phrase comme ça en étant aussi sincère ? Le kendoka était vraiment trop généreux pour son propre bien…

Et là, comme sortie de nulle part, Dai balança une blague. C’était tellement inattendu qu’elle laissa Kyojiro interdit quelques secondes avant qu’il ne se mette à rire aux éclats. C’était une blague assez nulle en vrai, digne d’un gosse, mais la surprise avait été telle que le kendoka n’avait pas pu résister. Le gestionnaire avait trouvé le moment et les mots parfaits pour que sa blague ait son petit effet. Et si Kyojiro riait à en avoir les larmes aux yeux, Dai n’était pas en reste à avoir l’air aussi heureux et fier de sa réussite ! Le kendoka prit quelques instants pour calmer son fou rire, passant le dos de sa main sur ses yeux pour essuyer ses larmes naissantes, avant de fixer le gestionnaire avec un sourire non dissimulé sur les lèvres. Kyojiro hocha vivement la tête.

« Oui, c’était vraiment très drôle, je ne m’y attendais pas du tout, vous m’avez surpris. »

Et sans bégayer s’il-vous-plaît ! Comme quoi, le rire avait vraiment de grandes vertus !

Après ce moment qui semblait avoir détendu définitivement les deux hommes beaucoup trop sérieux, vint la séance d’apprentissage au skate ! Dai donna des explications détaillées à Kyojiro qui l’écouta presque religieusement avant de le suivre de son regard sombre alors qu’il lui faisait une petite démonstration. Ah… Le freinage n’était pas encore quelque chose qu’il semblait maîtriser on dirait…

« S-S’il-vous-plaît… J-Je veux bien que vous m’aidiez au moins le temps de m-monter dessus. E-Et pour le casque, je… Je n’ai pas de poux ! Et mes cheveux sont propres alors v-vous n’aurez pas de problèmes si v-vous acceptez de me le p-prêter. »

Sérieusement… ça ne semblait pas encore plus suspect de se justifier de la sorte ? Mais Kyojiro tenait vraiment à montrer à Dai qu’il ne lui causerait aucun souci s’il acceptait de lui prêter ses affaires.

Le kendoka se rapprocha donc du gestionnaire et enfila le casque qu’il lui prêta. Bon, ils avaient l’air d’avoir plus ou moins la même taille de tête, il n’y avait donc aucun réglage à faire. Restait maintenant à dompter cet engin du démon… Kyojiro resta un instant immobile à le jauger, levant finalement un de ses pieds pour le poser sur la planche et tester son mouvement. Et rien que comme ça, avec un pied au sol, il manqua de faire un sublime grand écart quand le skate glissa un peu plus vite que prévu vers l’avant. Le kendoka se rattrapa de justesse en titubant, son pied étant comme resté collé quelques secondes à la planche.

« Wow… Ça a l’air bien compliqué q-quand même… Il n’y a v-vraiment aucun frein ? »

Ça serait quand même vachement plus pratique pour réussir à monter correctement dessus ! Kyojiro s’empressa d’aller chercher le skate pour le rapprocher de Dai, avant de le regarder avec une légère moue presque implorante.

« E-Est-ce que v-vous… pouvez m’aider à monter d-dessus ? »

Dai fût ravi de voir que la situation allait pouvoir se régler ! De leur côté, ils auraient un peu d'aide supplémentaire, ce qui ne serait vraiment pas de trop, et cela ferait un peu d'argent à Kyojiro, ce qui ne pourrait qu'aider aussi ! Les choses avaient enfin l'air de s'améliorer.

D'autant que de fil en aiguille, leur conversation avait pris un tour des plus surprenant, en tout cas pour le gestionnaire. Le ton entre eux s'était relâché, tellement relâché que Dai s'était complètement pris au jeu et avait fait... des blagues. Nulle, mais des blagues quand même. Et puis il fallait bien commencer quelque part. Et en plus Kyojiro avait ri aux éclats alors si ça ce n'était pas la preuve que ses blagues étaient quand même un petit peu drôle, on ne sait pas ce qu'il vous faut ! N'empêche que le gestionnaire fût le premier surpris de son succès et leva les bras en signe de victoire quand l'étudiant lui confirma l'avoir bien eu.

"Yatta !"

Vraiment, le gestionnaire tenait plus de l'enfant à ce moment que de l'adulte raisonnable... mais bon on était samedi matin, alors il avait bien le droit à un peu de légèreté. Et pour se sentir léger, rien de tel qu'un tour en skate ! Ceci dit, si Dai semblait plutôt en phase avec l'idée de tomber, Kyojiro semblait bien plus inquiet face à cette perspective. Il lui proposa donc de lui prêter une partie de son équipement personnel. Avec ça, c'était sûr que tout se passerait bien ! Enfin tant qu'il tombait sur la tête...

"Oui bien sûr. C'est important de porter un casque de toute façon, il faut toujours bien se protéger !"

Lui-même en faisait d'ailleurs sans doute beaucoup trop... mais c'était dans sa nature. Il arrivait que certains se moquent un peu. Après tout, il était arnaché pour mener les cascades les plus incroyables, et pour le moment il manquait de tomber à chaque fois qu'il freinait... les championnats, ça ne serait donc pas tout de suite ! Il décrocha rapidement son casque et le tendit à Kyojiro pour qu'il puisse le mettre. Par chance, la taille semblait correspondre parfaitement ! Au moins, l'étudiant serait protégé au mieux et Dai n'aurait pas à se sentir coupable d'une fracture ouverte de la tête.

Et ce ne serait sans doute pas une précaution inutile ! À peine l'étudiant avait-il mis un pied sur le skate que celui-ci partit faire un tour vers d'autres horizons, sans avoir embarqué le moindre passager. Voilà qui n'était pas très poli ! Dai ne put pas s'empêcher de rire gentiment.

"Ne vous inquiétez pas, ça m'arrivait tout le temps au début !"

En vrai, ça lui arrivait encore des fois, même si plus rarement. Ceci dit, il n'allait quand même pas l'admettre tout de suite ! Après tout, il pouvait bien faire semblant de s'y connaître un petit peu. Même s'il n'était pas le mieux placé pour donner des cours... finalement c'était presque dommage que personne ne soit là, ses camarades de skate park auraient sans doute été bien plus doués pour lui montrer comment faire... Il allait falloir qu'il fasse au mieux s'il ne voulait pas traumatiser Kyojiro et surtout s'il voulait que celui-ci puisse maîtriser au moins le minimum syndical !

"Non il n'y a pas de frein. Enfin si... le frein c'est vous. C'est ce que j'essayais de faire tout à l'heure. Vous voyez à l'arrière il y a une petite zone plate un peu relevée. Il faut faire basculer votre poids dessus. Du coup la planche frotte le sol et les roues se retrouvent en l'air, loin du sol où elles peuvent tourner. Et là on s'arrête."

Dai regarda soudain autour de lui et prit des airs de conspirateurs.

"Mais une autre technique consiste aussi à tout simplement sauter en marche et laisser la planche aller s'arrêter toute seule contre un mur. Je le faisais beaucoup au début... j'avais trop peur de tomber."

Ça sonnait presque comme un secret inavouable ! En même temps c'est vrai qu'il ne valait mieux pas que les autres skateurs l'apprennent ! Quand même, freiner, c'était la base ! Et puis il fallait voir ce qu'eux savaient faire... mais Dai refusait de laisser tomber, il finirait bien par y arriver ! Après tout il avait déjà progressé : il pouvait maintenant freiner !

"Bien sûr que je peux vous aider ! Si vous voulez, on peut essayer quelque chose. L'un des gens avec qui je m'entraîne l'avait fait pour moi aussi au début... Vous montez et vous vous tenez à mes épaules, et je vais marcher tout doucement pour que vous rouliez. Ça vous permet d'apprendre à tenir en équilibre et si jamais vous tombez je peux vous rattraper."

Bon ce n'était peut-être qu'à moitié une bonne idée, après tout ils n'avaient pas tout à fait le même gabarit... en même temps, ce n'est pas comme s'ils roulaient à 100km/heure ! Dai était donc plutôt confiant. En tout cas, c'est ce qu'il tentait d'afficher en souriant. Il était presque sûr que tout allait bien se passer !

Le petit sourire de Kyojiro se fit bien plus tendre en voyant à quel point Dai semblait ravi que sa tentative de blague ait été un tel succès avec l’étudiant. C’était drôle de voir à quel point ils pouvaient se ressembler tous les deux, malgré leur différence d’âge et de statut. C’était sans doute pour ça qu’ils avaient été un duo aussi efficace lors de ce typhon de juillet !

Le kendoka accepta donc avec la plus grande politesse du monde ce casque que Dai lui tendait, l’enfilant aussitôt en vérifiant à plusieurs reprises que tout était bien attaché. Ça serait quand même dommage de faire un beau vol plané et de voir que le casque en faisait de même mais en allant beaucoup plus loin ! Kyojiro était curieux et voulait essayer, mais la sécurité était de mise ! Le numéro un national de kendo ne pouvait décemment pas se blesser !

Et autant dire que malgré sa très grande détermination, le premier essai de l’étudiant ne fut pas des plus probants, le skate s’étant fait la malle à peine avait-il posé le pied sur sa surface. Kyojiro fut un peu déçu à cause de ce grand échec, mais le petit rire de Dai ainsi que ses mots rassurants finirent par avoir leur petit effet. Le kendoka était du genre persévérant, mais nul doute qu’avec quelqu’un de bien moins agréable que le gestionnaire, il se serait braqué et aurait tourné les talons en se disant que ce n’était pas fait pour lui. D’ailleurs, quand Dai lui expliqua comment freiner, Kyojiro le fixa avec des yeux grands ouverts.

« V-Vraiment ? M-Mais… C’est impossible à faire sans t-tomber… »

Le kendoka s’accroupit à côté du skate et le détailla encore plus attentivement, en particulier cette fameuse partie qui servait à freiner. Agenouillé sur le bitume, Kyojiro posa ses deux mains sur le skate, luttant déjà un peu pour le maintenir en place, avant d’essayer d’exercer un peu plus de force sur la main qui était proche de cette partie courbée. Quand le skate bascula et sembla effectivement opposer une certaine résistance à la glisse, l’étudiant ouvrit la bouche, comme s’il venait d’avoir une révélation.

« Oh, d’accord… J-Je crois que j’ai compris… M-Mais… Je pense que je vais opter pour votre d-deuxième méthode pour m’arrêter p-pour le moment… Je n’arrive déjà pas à monter dessus alors faire basculer la planche c-comme ça… »

Kyojiro offrit un nouveau petit sourire à Dai, amusé qu’il lui confie cette autre technique comme s’il s’agissait d’un secret de grande importance qu’ils ne devraient dévoiler à personne. Un de plus ! Décidément, il ne fallait vraiment pas grand-chose pour que les deux hommes se rapprochent : un typhon (bon, ça, c’était quand même pas mal énorme) et un skate ! Et le sourire de Kyojiro se fit un peu plus grand quand Dai lui proposa un plan pour l’aider à rester en équilibre sur la planche. L’étudiant hocha doucement la tête.

« D’accord, f-faisons comme ça. E-Et… A-Après, je… Je pourrai peut-être vous rendre la pareille en vous aidant à f-freiner ? Hum… P-Peut-être qu’on pourra faire pareil a-avec vous qui prenez appui sur moi pour essayer de b-basculer en arrière, j-juste p-pour… savoir comment placer votre corps ? »

Kyojiro n’y connaissait rien, mais il avait vraiment envie de pouvoir lui aussi aider Dai à progresser ! Ça lui semblait être plutôt une bonne idée de faire comme ça, mais avant qu’ils n’inversent les rôles, c’était à lui de grimper sur le skate. Fronçant les sourcils, comme pour se donner un peu plus de courage, Kyojiro inspira profondément et se plaça face à Dai, la planche pile entre eux deux. Il tendit ses bras devant lui, avant de se raviser, s’inclinant aussitôt poliment devant le gestionnaire.

« M-Merci beaucoup pour votre aide. J-Je… Je m’en remets à vous. »

Kyojiro était décidément beaucoup trop poli… Mais maintenant, il se sentait prêt. Il posa donc ses mains sur les épaules de Dai, exerçant une pression aussi faible que possible pour ne pas trop lui faire mal, se rappelant que son épaule s’était quand même démise quelques semaines auparavant. Mais dès qu’il posa un pied sur la planche et qu’il sentit que les roues faisaient leur job, ses doigts se resserrèrent sur les épaules de Dai. Et avant que tout ne se répète et qu’il ne puisse pas mettre son deuxième pied, Kyojiro se lança et s’empressa de grimper complètement sur le skate. Sauf que voilà, à vouloir se dépêcher, la planche avait à nouveau glissé beaucoup trop vite et sans aucun contrôle de la part du kendoka, qui couina légèrement sous la surprise et s’empressa de faire un gros câlin à Dai pour se rattraper et ne pas finir par tomber. Il avait l’air fin comme ça, avec le haut du corps collé au gestionnaire, et les jambes parties sur le côté, ses pieds toujours sur le skate.

« D-Désolé ! »

Kyojiro essayait de faire de son mieux pour remettre son corps en position bien droite, mais il avait l’impression d’être complètement coincé et que le moindre mouvement pourrait provoquer un drame… Le skate, c’était vraiment un sport dangereux !

L'étudiant avait vraiment l'air de ne pas le croire quant à cette histoire de freinage. En même temps, ce n'est pas comme si les possibilités étaient illimitées. Il s'agissait quand même simplement et uniquement d'une planche collée sur des roulettes. Il n'y avait pas de bouton magique qui aurait permis de régler la situation tout seul. Pas non plus de levier secret qu'on pouvait faire apparaître. Non. C'était bien pour ça que ça l'avait attiré, malgré tout le danger qui relevait de ce sport. L'engin était d'une simplicité qui le rendait magnifique, et en plus de ça, il était parfaitement symétrique ! Rien ne venait le défigurer dans sa forme. Ce qui à ses yeux conférait à l'objet une poésie bien plus grande qu'on ne saurait l'imaginer.

"Impossible non. Enfin si, pour vous et moi à l'heure actuelle oui. Mais en vrai c'est complètement possible. En fait c'est un vrai petit bijou d'ingéniosité. Simplement nous ne sommes pas encore capable de nous en servir comme il se doit."

Ce qui était un peu bête quand même. Ça ne servait à rien d'avoir le meilleur équipement du monde si on était pas capable de s'en servir un minimum... il n'y avait plus qu'à espérer qu'à force d'entraînement il pourrait rectifier le tir !

Il s'agenouilla aux côtés de Kyojiro, le laissant tester à une hauteur moins dangereuse le fonctionnement de l'engin. Dai avait des étoiles dans les yeux. Vraiment, il ne se lassait pas de voir la planche en mouvement ! Un jour, il arriverait à en faire quelque chose ! Il fallait juste s'accrocher ! En attendant, ça lui faisait vraiment plaisir de voir que Kyojiro tentait lui aussi de comprendre la chose, même si sans doute qu'il ne deviendrait pas un adepte du skate. Au moins, on ne pouvait pas lui reprocher de ne pas sortir de sa zone de confort. Et ça, même si ça ne devait mener à rien, ça impressionnait beaucoup Dai à qui ce genre de choses demandait beaucoup d'efforts. Au final, il avait fallu moins de temps pour convaincre l'étudiant de s'y risquer que ça n'en avait pris à Dai de se lancer.

Finalement, les deux se redressèrent, et Dai put proposer un plan à l'étudiant pour lui permettre de faire ses premiers pas en toute sécurité. Un nouveau plan ! À croire que c'était comme ça que les choses devaient finir entre eux. Comme s'ils ne pouvaient rien faire sans s'être au préalable mis d'accord sur les différentes étapes de leur action. D'ailleurs, ils étaient toujours aussi solennel que pendant le typhon. Ça non plus, ça n'avait pas changé. Sans doute que le reste du monde les trouvait trop carrés. C'était d'ailleurs une certitude, Dai avait régulièrement le droit à cette réflexion. Mais pour eux deux, cela fonctionnait naturellement, et pour une fois, cela donnait l'impression que la conversation glissait toute seule au lieu de devoir la forcer à apparaître. Il s'inclina donc à son tour.

"Je tâcherai de me montrer digne de votre confiance !"

Kyojiro mit donc un premier pied sur le skate et posa ses mains sur les épaules de Dai, qui en réponse tandis les bras pour saisir les siennes. De cette façon, il pourrait l'aider à rester stable quand les choses se mettraient en mouvement. Sauf que... une fois encore, le plan ne se passa pas tout à fait comme prévu. L'étudiant avait sans doute bougé trop brusquement, vraissemblablement stressé par la mise en branle du skate, même si ce n'était rien. En voulant positionner sa seconde jambe, il s'était déséquilibré, ce qui avait donné encore plus d'élan à la planche. Le résultat était quelque peu improbable puisque l'étudiant se retrouvait presque à enlacer le corps du gestionnaire, le tout avec les jambes tendues de l'autre côté.

"Alors la bonne nouvelle, c'est que vos jambes sont toujours sur la planche. La mauvaise nouvelle, c'est qu'il faudrait que le reste y soit aussi... j'imagine qu'on peut dire que c'est un progrès."

Ceci dit, il allait bien falloir trouver une solution ! D'autant que Kyojiro était quand même pas mal plus grand que lui, la position devait donc lui être affreusement inconfortable. Il fallait agir au plus vite.

"Vous allez rester appuyé sur mes épaules, et je vais avancer vers vous. À chaque pas, essayez de vous redresser un peu plus. De cette façon, tout doucement, nous devrions arriver à vous remettre droit !"

Avec trois petits pas, normalement, ça devrait être bon. Il fallait juste prendre son temps. Au moins de cette façon, l'étudiant allait bien devoir apprendre à avoir un minimum d'équilibre ! Même si pour le coup, ça revenait sans doute à jeter quelqu'un ne sachant pas nager dans le grand bain en lui criant "nage maintenant !" Mais bon, il fallait bien faire contre mauvaise fortune bon coeur !

"Dîtes moi quand vous êtes prêt. J'attends votre signal !"

Kyojiro ne put qu’acquiescer quand Dai lui confia que freiner n’était pas impossible, simplement qu’ils n’avaient tous les deux absolument pas le niveau à l’heure actuelle pour y parvenir sans qu’un drame ne survienne. Le kendoka entreprit quand même de s’accroupir pour mieux appréhender l’objet sur lequel il allait essayer de grimper. Il posa ses mains sur la planche à roulettes, comme pour mieux ressentir ses mouvements et son fonctionnement, puis une fois redressé, il s’inclina poliment devant le gestionnaire pour lui dire qu’il s’en remettait à lui. Après avoir établi un tel plan, nul doute que tout se passerait pour le mieux !

Les deux hommes échangèrent alors leurs habituelles politesses protocolaires, et Kyojiro posa son premier pied sur la planche avant de se saisir des épaules de Dai. Il essaya de ne pas trop forcer dessus, se rappelant qu’il n’avait pas été épargné lui non plus pendant le typhon de juillet, mais avant qu’il n’ait le temps de mettre son deuxième pied bien en position, il sentit le skate partir presque sans lui. Son réflexe fut de se jeter en avant, et comme c’était Dai qui était devant lui… Kyojiro se rattrapa à lui comme il put en lui faisant un gros câlin, le reste de son corps étant parti sur le côté à cause de la planche. Le pire, c’était que le kendoka n’osait plus du tout bouger, de peur de vraiment finir soit par tomber sur le gestionnaire, soit par se ramasser en beauté sur le sol. Dai resta on ne peut plus calme face à la situation, comme lors de ce typhon. Il complimenta même Kyojiro en lui disant qu’il y avait un net progrès puisque, même si la position n’était pas la meilleure, le kendoka avait réussi à garder ses deux pieds sur la planche ! L’étudiant aurait pu esquisser un sourire s’il n’était pas aussi crispé, comme s’il avait peur que détendre le moindre petit muscle ferait à nouveau bouger la planche.

Dai proposa alors un nouveau plan pour remédier à la situation, et Kyojiro ne put que s’en remettre à lui, ne sachant pas du tout comment réussir à se dépatouiller de sa mauvaise position qui commençait à tirer un peu sur tout son corps. Il finit par hocher doucement la tête, resserrant sa prise autour du corps du gestionnaire.

« D-D’accord, je… Je crois que je suis prêt. »

Kyojiro essaya de se détendre un peu, respirant profondément alors que Dai faisait quelques pas sur le côté pour lui permettre de se redresser. Le premier pas fut compliqué, mais à mesure que le gestionnaire avançait, le kendoka sentait que son corps se repositionnait correctement. Cela leur pris de longues secondes, mais ils parvinrent à atteindre leur objectif, permettant à Kyojiro de se détendre et de moins imposer sa force et son poids à son professeur de skate. Les yeux grands ouverts, même s’il les aurait bien fermés le temps de soupirer profondément de soulagement, le kendoka finit par sourire doucement, se remettant correctement sur la planche en ne laissant que ses mains sur les épaules de Dai.

« O-On a réussi ! M-Merci beaucoup Murakami-san, vous savez vraiment c-comment trouver les meilleurs plans p-pour faire face à toutes les situations. »

Et il le pensait vraiment ! S’il n’avait pas été présent avec lui, nul doute que Kyojiro n’aurait pas pu avoir d’aussi bons résultats lors de ce typhon ! Enfin, peut-être qu’il n’aurait pas été autant blessé non plus… Mais le kendoka croyait vraiment que leur binôme avait été efficace pour affronter cette catastrophe, et il se révélait tout aussi productif pour cette première leçon de skate !

Les deux hommes avancèrent alors doucement, Kyojiro se surprenant à apprécier sentir cette sensation de vitesse, même si elle était bien moindre comparé à celle qu’on pouvait certainement ressentir en étant lancé à vive allure sur cette planche. Un sourire aux lèvres, le kendoka commençait à trouver son petit équilibre, même s’il avait toujours besoin de Dai pour avancer sans tomber. Il vacillait parfois, mais il parvint à rester bien en place jusqu’à traverser toute la zone bétonnée. Et comme il se sentait un peu plus en confiance, il décida même de tenter une petite folie.

« J-Je… Je vais essayer de faire le mouvement p-pour freiner, a-attendez. »

Restant quelques secondes immobile, Kyojiro fixa ses pieds et essaya de faire comme il avait fait juste avant avec ses mains pour faire basculer la planche en arrière. Il mit tout son poids sur un seul pied, sentant le skate bouger et les deux roues avant se soulever. Il parvint là aussi à atteindre son objectif, levant suffisamment la planche pour que la partie recourbée touche le sol, même s’il n’y avait absolument aucune vitesse à réduire puisqu’il se trouvait déjà à l’arrêt. Fier de lui, Kyojiro ne put malheureusement pas tenir la position plus d’une ou deux secondes, finissant par perdre l’équilibre. Il s’emmêla un peu les pinceaux, mais il put quand même se rattraper en titubant, sans tomber, après quelques pas pour se stabiliser. Il avait préféré lâcher les épaules du pauvre Dai afin de ne pas risquer de l’entraîner avec lui dans sa perte d’équilibre. Une fois stabilisé, Kyojiro revint vers le gestionnaire, l’air fier de lui.

« J-Je crois que j’ai c-compris le truc. Vous… Vous voulez qu’on échange les rôles ? »

Non parce que bon… Si Dai était venu ici à la base, c’était pour pouvoir s’entraîner, pas pour donner des cours au premier venu ! Kyojiro retira donc son casque pour le rendre à son propriétaire, gardant toujours ce léger sourire sur ses lèvres. Il avait hâte de voir comment le gestionnaire allait s’en sortir à son tour !

Ils avaient frôlé la catastrophe ! Alors oui, ils se retrouvaient dans une position des plus inconfortable, et qui pourrait très certainement poser des questions à plus d'un si jamais quelqu'un venait à passer par là ! Heureusement qu'il était encore tôt... Pourtant, le gestionnaire pensait assez peu au quand dira-t-on, pour une fois ! Il était plus préoccupé par le fait de trouver un moyen d'empêcher Kyojiro de faire une chute dangereuse, en plus ce serait sa faute puisque c'était lui qui l'avait incité à essayer ! Il fallait donc le tirer de cette mauvaise posture. D'autant plus que par la force des choses, il était coincé avec lui !

Il exposa donc son plan le plus calmement possible à l'étudiant. Il n'y avait pas de raison de paniquer ! C'était des choses qui arrivaient et ils allaient s'en sortir ! Après tout, ils avaient bien survécu à un typhon ensemble, ils avaient empêcher l'inondation de l'académie, le tout avec une épaule démise et une tête abîmée ! Alors ils n'allaient quand même pas se laisser impressionner par une planche à roulettes !

Une fois le signal de Kyojiro donné, le plan put donc être mis à exécution. Cela prit un moment. Enfin sans doute pas si longtemps que ça vu de l'extérieur, mais de l'intérieur, le temps s'était comme ralenti. Il était devenu lourd et pesant. Il faut dire que la tension était à sa comble ! Pourtant, Dai ne la ressentit pas de façon stressante comme ça avait pu être le cas lors du typhon. Non, c'était plutôt la sensation qu'on avait quand on se retrouvait dans une situation bizarre avec un ami. Du moins, c'était ça qu'il imaginait quand ses frères lui racontaient leurs aventures avec leurs propres potes. De son côté, il avait rarement eu l'impression de vivre ça. À part peut-être maintenant justement.

Toujours est-il qu'ils réussirent à redresser Kyojiro ! Il était debout il était droit et toujours en équilibre sur le skate ! Dai en aurait bien sauté de joie, mais après tout, il servait encore de béquille, alors ça n'aurait sans doute pas été la meilleure idée du monde... Après, est-ce qu'il pourrait faire face à toutes les situations du monde ? Pas sûr... mais il fallait bien admettre qu'il avait un pragmatisme qui pouvait être assez redoutable. Il prenait toujours le temps de s'arrêter, réfléchir et peser le pour et le contre de chaque action avant d'agir ou de parler. C'est ce qui souvent le faisait passer pour quelqu'un de froid, mais c'était aussi ce qui lui permettrait de venir à bout de nombreuses difficultés...

"C'est l'expérience qui fait ça ! Et puis vous êtes un très bon partenaire. Je savais que vous y arriveriez. Aller, on ne va pas s'arrêter en si bon chemin, maintenant que vous avez retrouvé votre équilibre, on va pouvoir faire quelques pas !"

Et quelques pas ils firent ! Cette fois, pas de faux mouvement, pas de glissade non contrôlée. Non ! Ils avançaient tranquillement. Dai s'écarta même un peu plus, histoire de laisser un peu plus d'espace à Kyojiro, ce qui était mieux pour pouvoir apprécier le mouvement ! L'étudiant devait commencer à se sentir plus en confiance. En fait, ce n'était pas une supposition, mais une certitude ! Puisqu'il annonça carrément qu'il allait essayer de freiner ! Les yeux du gestionnaire brillèrent d'excitation et d'admiration. Il était tellement content de voir Kyojiro gagner en assurance à ce point !

"D'accord ! Quand vous voulez !"

Dai recula encore un peu, tout en se tenant prêt à intervenir en cas de chute inopinée ! Mais pour le coup, tout se passa au mieux. Enfin, comme lui-même tout à l'heure, l'étudiant bascula en arrière, et entraîné par son propre poids, fit quelques pas en arrière. Mais toujours est-il qu'il avait réussi, il avait freiné ! Il sauta de joie.

"Vous avez réussi ! Pas mal pour une première fois ! Vous apprenez vite en fait !"

Échanger les rôles ? Après tout pourquoi pas. Lui aussi il avait besoin d'entraînement. Et puis c'était amusant de s'entraîner avec quelqu'un d'à peu près aussi doué que lui.

"Je veux bien oui, il faut juste que j'arrive à stabiliser mon poids pour ne pas partir en arrière..."

Il récupéra donc son casque, et c'était parti ! Reproduisant la scène précédente, mais à l'inverse, Dai posa une main sur l'épaule de Kyojiro, avança simplement de quelques mètres, il maîtrisait déjà plutôt bien cette partie des opérations en solo, et tenta la manoeuvre pour freine. La première fois, il dût encore faire quelques pas en arrière... l'opération fût répétée ainsi plusieurs fois, jusqu'à ce qu'enfin, Dai parvienne à freiner ET à rester en place ! Ses yeux s'illuminèrent de joie.

"Vous avez vu ! J'ai réussi ! C'est la première fois que j'y arrive !"

Dai pouvait vraiment avoir des allures enfantines quand il s'enthousiasmait pour quelque chose... ça tranchait sérieusement avec le froid pragmatisme qu'on lui connaissait habituellement ! D'ailleurs, pris dans la joie vibrante du moment, il oublia complètement la frontière personnel - étudiant pour poser des questions plus personnelles...

"Ça vous a fait ça aussi au début, quand vous appreniez le kendo ? Maintenant vous êtes un champion, mais comment c'était au début ? Qu'est-ce qui vous a donné envie d'apprendre ce sport ? Ça vous plaît toujours autant après tout ce temps ? Et la pression, ça ne vous empêche pas de profiter j'espère ?"

Apparemment, en vrai, le gestionnaire pouvait s'avérer bavard et plutôt curieux quand il se sentait bien avec quelqu'un...

Wow… Inutile de dire que les joues de Kyojiro étaient rapidement passées au rouge cramoisi avec un tel compliment de la part du gestionnaire ! C’était la première fois qu’on lui disait qu’il était « un très bon partenaire » (enfin, en dehors du kendo quand même), et l’étudiant eut immédiatement l’impression que tout son corps se réchauffait. Il était vraiment heureux que le courant passe aussi bien avec Dai, même s’ils faisaient tous les deux preuve d’une immense retenue. On était bien loin de ces gens trop expansifs qui se sautaient dans les bras et se faisaient des câlins pour se témoigner leur affection ! Cette relation entre eux était un peu étrange, mais elle plaisait beaucoup à Kyojiro, il devait bien l’avouer. Ils ne deviendraient sans doute pas les meilleurs amis du monde, peut-être à cause de leur différence de statut au sein de l’Académie, pourtant le kendoka se plaisait à croire qu’ils pourraient au moins devenir de bons amis qui se confieraient tout un tas de choses et passeraient de bons moments ensemble.

À l’image de celui-ci, où Dai faisait de son mieux pour apprendre à Kyojiro à tenir sur le skate. Ils parvinrent à éviter une situation dangereuse grâce à un nouveau plan, et l’étudiant, gonflé à bloc par tant d’adrénaline et de bonheur, s’était comme senti pousser des ailes, tant et si bien qu’il voulut s’essayer à la posture utilisée pour le freinage.

Porté par tous ces sentiments et les encouragements de Dai, Kyojiro se lança. Le mouvement se fit au ralenti, jusqu’à ce que le kendoka soit parfaitement en position. Il parvint à rester immobile seulement quelques secondes, avant de sentir le poids de son corps le faire basculer vers l’arrière. Fort heureusement, il put se rattraper sans chuter au sol, un immense sourire sur les lèvres.

« M-Merci beaucoup ! C-C’est grâce à vous que j’ai pu apprendre aussi vite, v-vous êtes vraiment un très bon partenaire vous aussi ! »

Kyojiro était on ne peut plus sincère et enthousiaste en voyant à quel point il avait progressé grâce au gestionnaire. Non, vraiment, s’il n’était pas aussi réservé, il lui aurait sans doute sauté au cou pour lui faire un câlin de remerciement !

Mais l’heure n’était pas aux festivités puisque, le plus important, c’était quand même que ce soit Dai qui arrive à maîtriser ce mouvement ! Kyojiro lui rendit donc son casque et ils échangèrent les rôles. C’était dingue de voir à quel point le simple fait de voir le gestionnaire essayer avec tellement de détermination parvenait à captiver autant le kendoka ! C’était presque comme s’il était lui-même en train d’essayer de freiner tellement il se sentait impliqué ! Alors, forcément, quand Dai parvint à tenir lui aussi en position, le sourire de Kyojiro illumina tout son visage alors qu’il trépignait presque sur place tant il était content pour son camarade.

« Oui ! Bravo Murakami-san ! C’est vraiment génial ! »

Et sans bégayer s’il-vous-plaît ! Par contre, si l’euphorie du moment était totale, l’avalanche de questions qui suivit laissa Kyojiro interdit quelques secondes. Clignant des yeux à plusieurs reprises, il finit par sortir de sa torpeur en secouant doucement la tête. Il détourna un peu le regard, gêné de parler de lui. Ce n’était pas un problème inhérent à Dai, mais bien un problème général. L’étudiant était bien plus doué pour écouter les gens parler que pour parler de lui !

« H-Hum… J-J’ai commencé dès tout petit, c-c’est mon père qui m’avait proposé d’essayer e-et… J’ai tout de suite beaucoup aimé. V-Vous savez, j-j’aime beaucoup les samouraïs, le J-Japon féodal et tout l’esprit q-qui entoure ce sport. J-Je… Je ne me suis jamais senti autant à l’aise dans un d-domaine a-alors… Je… Je suis vraiment content d’avoir réussi à a-atteindre cette première place au dernier c-championnat. M-Mais oui, comme vous, c-c’était un peu compliqué au début. Je… J’avais souvent mal aux mains à cause du shinai et comme je suis quelqu’un de m-maladroit… Mais il ne faut surtout pas abandonner, quelque soient les obstacles qui se dressent devant vous. »

Kyojiro afficha un air super sérieux alors qu’il daignait enfin regarder Dai dans les yeux. Ça faisait un peu réplique de shonen, mais le kendoka était vraiment doté d’une détermination à toute épreuve. L’abandon, ça ne faisait pas partie de son vocabulaire. Il ne pouvait pas perdre sans s’être donné à fond.

Puis, un petit soupir passa finalement les lèvres de Kyojiro.

« P-Pour être honnête, je… Je ne m’attendais vraiment pas à ce que cette nouvelle position entraîne autant de c-conséquences… Je… J’ai toujours voulu me surpasser et réussir à devenir le premier, m-mais… Je ne pensais pas que ça voudrait dire que je deviendrais hum… c-célèbre. C-C’est… C’est assez difficile à gérer parfois, surtout les i-interviews… Je… Je voulais juste poursuivre tranquillement ma petite vie moi… »

Kyojiro n’aimait vraiment pas ce statut de célébrité, et il comprenait mieux ce qu’avait pu vivre Okita quand il pratiquait encore le kendo. Mais les deux jeunes hommes étaient diamétralement opposés ! Pour quelqu’un d’aussi réservé que Kyojiro, se retrouver sur le devant de la scène, c’était vraiment malaisant. Quoi qu’il en soit, après avoir autant parlé et fait d’efforts, le kendoka commençait à avoir un peu soif, et il savait qu’il y avait un distributeur non loin alors…

« J-Je… Est-ce que je peux vous offrir à boire ? P-Pour célébrer votre réussite… »

C'est fou ce que Kyojiro avait progressé vite ! Il était passé de terrifié à capable de freiner, même maladroitement ! Dai trouvait ça franchement impressionnant. D'autant que pour lui, c'était la toute première fois qu'il y arrivait vraiment, et pourtant, il n'avait pas commencé l'entraînement le matin même. C'était peut-être parce que l'étudiant était un sportif de haut niveau ? Certes, pas du tout dans le même domaine, mais quand même, il devait sans doute avoir une bien meilleure maîtrise de son corps, plus de discipline aussi. Enfin toutes ces petites choses qui manquaient à Dai.

Pour autant, il n'y avait pas d'envie ou de jalousie de la part du gestionnaire. Bien sûr, il aurait aimé pouvoir progresser plus vite, mais bon, ce n'était qu'un hobby, il avait tout le temps qu'il voulait ! Si bien que cette différence de progression n'entama pas son enthousiasme quant à leurs progrès respectifs. En plus, il était vraiment content d'avoir pu partager ce moment avec lui. Les gens avec qui il s'entraînait d'habitude étaient sympas, mais beaucoup étaient très axés sur la compétition et la performance, alors ce n'était pas toujours évident... mais là, avec Kyojiro, ils étaient à égalité. Ils avaient pu faire ensemble, et ça, c'était vraiment agréable, faire quelque chose ensemble, juste parce que c'était chouette de faire quelque chose ensemble...

Peut-être que c'était pour ces raisons qu'il avait posé toutes ces questions. Parce que peut-être qu'effectivement, être un sportif de haut niveau donnait des facilités en entraînement, une meilleure maîtrise de soi. Ou peut-être juste parce que l'espace d'un instant, il avait eu l'impression qu'une barrière entre eux était tombée. Il était simplement curieux de savoir comment les choses se passaient pour le jeune kendoka...

"C'est vrai, c'est beaucoup d'entraînement, vous avez raison... c'est bien de s'en rappeler."

Pour ce qui était des interviews, il ne pouvait que compatir... il imaginait tout à fait pourquoi l'étudiant aurait simplement voulu continuer sa vie comme avant. Dans le fond, ça ne changeait rien pour lui. Ça faisait un peu vautour, tous ces gens qui d'un coup s'intéressaient à lui, sortant de nulle part... Dai était vraiment désolé pour lui. Ce devait être sacrément agaçant.

"J'imagine que vous ne pouvez pas les refuser les interviews ? Ça vous donnerait peut-être un petit côté samouraï mystérieux."

Dai n'avait pas forcément beaucoup de culture générale, mais il savait que certains artistes surfaient sur le fait de refuser les interviews pour faire, paradoxalement, parler d'eux. Ou bien ils conservaient un anonymat extrême. On ne voyait jamais leur visage, il n'y avait pas de photo d'eux, pas de nom non plus. Après, sans doute qu'on ne pouvait pas appliquer ça tel quel dans le milieu du sport... mais il y avait peut-être une voie intermédiaire avec laquelle le jeune homme serait plus à l'aise ?

"Enfin après, tous les métiers ont leur côté désagréable... mais c'est vrai qu'on aurait pas pensé à ça en premier lieu !"

Pas de métier parfait... mais au moins dans la plupart des métiers, on vous y préparait, on vous prévenait. On ne vous mettait pas devant le fait accompli.

La proposition de Kyojiro le prit complètement au dépourvu. Le gestionnaire en perdit soudainement les mots et se mit à triturer nerveusement sa mèche. D'un côté, ça lui faisait plaisir. C'était une chose de tomber sur lui et de rester faire la conversation par politesse, mais l'inviter à prendre un verre, c'était montrer qu'il voulait passer du temps avec lui, genre vraiment, pour de vrai, pas par hasard. Mais de l'autre, c'était tellement inattendu, et puis ça ne se faisait pas, peut-être que c'était un piège. Mais non, ce n'était pas vraiment le genre de l'étudiant ! En même temps c'est vrai que ça ne se faisait pas, selon le règlement. Sauf qu'ils avaient fait bien pire à l'encontre du règlement. Ils étaient entrés par effraction dans le bureau du directeur, lui avaient piqué des écharpes, et même du whisky, avant d'aller finalement couper l'eau dans toute l'académie. Alors ils n'étaient plus à ça ! Ils pouvaient bien aller boire un verre ensemble, et achever le règlement au passage ! Mince à la fin.

Après un silence un peu gênant, pendant lequel les pensées du gestionnaire avaient tourné tellement vite qu'elles avaient failli lui brûler la tête de l'intérieur, le gestionnaire répondit vivement

"Ce serait avec plaisir que j'irai prendre un verre avec vous ! Et si vous voulez, on pourra vous entraîner pour les interviews. Je suis sûr que je peux être le pire interviewer de toute la Terre. Comme ça quand vous en aurez des vraies, ça vous paraîtra plus facile."

Après tout, lui aussi il passait ses journées à poser pas mal de questions pourries dans le cadre de son travail... peut-être que ça pourrait aider le jeune homme si l'exercice ne devenait plus qu'une chose parmi d'autres pour lesquelles il pouvait s'entraîner ? Il récupéra son sac à dos et rangea toutes ses protections dedans. Il était d'un coup plus léger ! Le skate sous le bras, il était prêt à partir.

"Il y a un petit bar qui fait des jus de fruits très sympas en face du parc, vous connaissez ?"

Aller boire un verre avec un étudiant d'accord, mais il allait quand même pas lui faire boire de l'alcool, et certainement pas dès 10h du matin ! Il y avait encore quelques limites quand même...

Après leurs prouesses respectives sur cette planche en bois, les deux jeunes gens se lancèrent dans une conversation beaucoup plus personnelle. C’était un peu comme si la barrière du statut et de l’âge n’avait plus lieu d’être maintenant qu’ils avaient partagés de tels moments ensemble… Il fallait dire que c’était assez difficile de ne pas se montrer un peu plus familier qu’à l’accoutumée avec une personne avec qui on avait survécu à un typhon et avec qui on avait réussi à faire ses premiers pas dans un domaine qu’on ne connaissait pas ! Ce fut donc sans vraiment de gêne que Kyojiro se confia, même si on pouvait clairement sentir son mal-être à l’évocation de toutes ces mises en avant et de toutes ces personnes qui tenaient absolument à lui poser des questions. Pour quelqu’un d’aussi réservé que le kendoka, c’était une nouveauté assez difficile à vivre… Et il remercia Dai avec un regard doux quand il lui proposa une solution. Haussant une épaule, il détourna ensuite légèrement les yeux.

« Hum… C-C’est vrai que je pourrais r-refuser mais… J-Je… Je me dis qu’ils ne font que leur travail. Ça… Ça ne serait pas vraiment correct de leur mettre des bâtons dans les roues, v-vous ne croyez pas ? »

Ah… Kyojiro avait toujours eu cette tendance à penser aux autres avant de penser à lui, et c’était même le cas avec de parfaits inconnus. Peut-être que ces gens étaient au moins aussi enchantés que lui à l’idée de faire ces interviews ! Il ne pouvait décemment pas les empêcher de mener leurs missions à bien, ça ne serait vraiment pas correct…

« V-Vous pensez vraiment que tous les métiers o-ont un côté d-désagréable ? Quel est celui de votre métier a-alors ? »

Parce que, tant qu’à faire, c’était bien aussi si les confessions se faisaient dans les deux sens, surtout s’ils voulaient conserver cette espèce de pied d’égalité qui s’était instauré entre eux malgré leurs statuts plus que différents lorsqu’ils étaient à Yokuboo.

Et histoire de renforcer tout ça, Kyojiro lâcha une invitation qui le surprit un peu lui-même quand il se réentendit la prononcer. Dai semblait encore plus surpris, puisque s’en suivit un silence vraiment gênant ou les deux jeunes hommes n’osaient même plus se regarder dans les yeux. Puis, finalement, le gestionnaire rompit le silence pour accepter l’invitation de l’étudiant, qui releva un visage presque rayonnant vers lui en entendant sa proposition de l’aider à mieux appréhender ses futures interviews. Non, décidément, les gens pouvaient dire tout ce qu’ils voulaient sur Dai, Kyojiro savait que c’était quelqu’un de profondément gentil malgré les apparences. Un peu comme lui en fait…

« J-Je suis déjà passé devant, m-mais… Je n’y suis encore jamais allé. »

Il fallait dire qu’y aller tout seul, c’était quand même bien moins marrant ! Il aurait pu proposer à ses amis de l’accompagner, mais il avait encore un peu de mal à prendre ce genre d’initiatives. C’était un peu une première avec Dai !

« E-En tout cas, je… Si ça ne vous dérange pas, j-j’aimerais beaucoup m’entraîner avec vous pour les interviews. Est-ce que je peux vous aider à p-porter quelque chose ? »

Parce que le pauvre Dai semblait mille fois plus chargé que lui, et que ça gênait un peu le kendoka de le regarder faire alors que lui avait les mains dans les poches. Et ce fut au moment où son regard croisa le skate que le gestionnaire tenait sous son bras que Kyojiro réalisa quelque chose…

« Ah, mais… Vous n’aviez rien de p-prévu j’espère… Je ne veux pas que vous vous s-sentiez obligé d’a-accepter ma proposition si vous aviez m-mieux à faire… »

Parce que Kyojiro pensait vraiment que quand on était adulte et lancé dans la vie active, le temps libre n’était plus qu’un mythe ! Dai avait sans doute quelqu’un dans sa vie, des amis, des rendez-vous importants… L’étudiant se sentait un peu bête de lui prendre de son précieux temps, alors que lui n’avait vraiment rien d’autre à faire de sa journée que se balader !

Est-ce que refuser une interview à un journaliste c'était compliquer son travail ? Parce qu'après tout, il pourrait toujours aller interviewer quelqu'un d'autre non ? Après peut-être que c'était assigné, qu'on leur disait d'aller interroger untel ou untel et que quoi qu'il arrive, il fallait à tout prix réaliser cette interview et pas une autre. Là effectivement ça pouvait poser un soucis... rah ! il n'y connaissait rien du tout à ce milieu !

"C'est vrai que peut-être ça peut être compliqué pour eux... peut-être qu'il y a un moyen de négocier pour que ça se passe bien pour tout le monde alors ? Négocier des lieux où vous seriez plus à l'aise ? ou d'être accompagné de quelqu'un ?"

Pour ce qui était des côtés désagréables des métiers... il en était à peu près sûr oui. Et ce n'était pas une question d'être pessimiste ou quoi. Simplement d'être réaliste. Il y avait forcément des bouts du métier qu'on avait pas prévus, ou à côté desquels on espérait pouvoir passer. Il fallut quand même qu'il réfléchisse un peu, c'était quoi qui ne lui plaisait pas dans son métier à lui ?

"Je crois oui. C'est comme les gens, tout le monde a des défauts, c'est normal. Les emplois aussi. Si vous avez de la chance, il y en a peu, et c'est juste que certaines journées se passent moins bien. Mais souvent, il y a quand même des tâches qu'on apprécie peu, ou qui nous coûte plus... Dans mon travail je dirais... sans doute le fait qu'on a beau multiplié les fiches explicatives, donner les informations encore et encore, les étudiants comme les profs ne suivent toujours pas les protocoles, et ça nous fait perdre un temps et une énergie précieuse, alors qu'on a mis toutes les informations à disposition... ça va aussi avec le fait que le personnel administratif a peu de considération. L'académie compte plusieurs milliers de lycéens et d'étudiants, plusieurs centaines de profs, mais les gens ne se rendent pas compte du travail que ça implique en coulisses. Ils croient que c'est facile et que ça tourne en claquant des doigts. Peut-être que c'est pour ça qu'on a beau donné les informations, les gens les ratent, parce que ça ne leur semble pas important. Mais après quand les délais sont rallongés ou qu'il y a un soucis, c'est nous qu'on engueule..."

Il avait parlé beaucoup d'un coup ! Par contre il se rendit soudain compte qu'il devait avoir l'air de cracher dans la soupe et il paniqua un instant.

"Mais j'adore mon travail hein ! C'est vraiment enrichissant de participer au fonctionnement d'un endroit pareil !"

C'est juste que rares étaient ceux qui étaient capables d'avoir un foutu dossier complet. C'était quand même pas si compliqué non ?

L'ambiance changea soudain avec la proposition de Kyojiro. Après avoir hésité, il avait finalement accepté. Après tout, ça pouvait être un bon moment non ? Et puis bon mince... advienne que pourra ! On était samedi, sans doute que les règles n'étaient pas tout à fait les mêmes le samedi.

"Oh ne vous inquiétez pas, c'est léger. C'est fait pour. J'ai juste mon sac à dos et la planche, c'est pas bien lourd. On pourra vous entraîner quand on sera installés alors !"

Il n'avait plus qu'à réfléchir à des questions à lui poser le temps qu'ils arrivent là-bas. Il ne s'était jamais vraiment intéressé au sport, et encore moins aux interviews de sportifs... Mais il pourrait demander à son frère, lui il était passionné, alors il saurait sans doute quels types de questions on pouvait poser dans ce genre d'interviews... en attendant il pourrait toujours improviser. Tout en marchant, il put déjà répondre aux inquiétudes de Kyojiro.

"Ha non, ne vous inquiétez pas, je n'avais pas grand chose de prévu aujourd'hui. Je voulais juste m'entraîner un peu avant qu'il n'y ait trop de monde."

Après il y avait bien les habituelles petites corvées du weekend, celles qu'on avait pas le temps de faire en semaine. D'autant que le lendemain, il y avait le repas familial, il n'aurait donc pas le temps non plus. Mais bon, au pire, il trouverait bien un moyen.

Le bar était en fait une petite goguette à la sortie du parc, une terrasse était installé devant. En hiver, elle était couverte et chauffée pour permettre aux personnes de s'abriter. Comme il faisait encore bon, on pouvait simplement profiter d'être en extérieur. L'endroit était simple et sans chichi, prévu pour accueillir les familles et les promeneurs du dimanche le temps d'une petite pause entre amis. Les prix étaient du coup tout ce qu'il y a de plus abordables, on pouvait boire un verre sans se ruiner. L'un des succès de l'endroit, c'était qu'on avait une liste de fruits, on en choisissait trois et on vous faisait le jus de fruit correspondant. Les fruits disponibles changeaient en fonction des saisons. À côté, on trouvait les classiques thés et cafés, avec quelques petites trouvailles plus originales. Dai prenait plus ou moins toujours la même composition, mais c'était bien la première fois qu'il n'allait pas passer sa commande à emporter ! Une grande première ! Ils s'installèrent donc tranquillement à une table.

"J'espère que ça vous plaira, il y a pas mal de choix, vous devriez pouvoir trouver votre bonheur !"

Il réfléchit un instant.

"Du coup, qu'est-ce qui est dur pour vous dans les interviews ?"

Tant qu'à l'entraîner, autant entraîner ce qui posait problème...

Kyojiro avait baissé les yeux et s’était contenté d’hocher doucement la tête aux mots de Dai. C’étaient de très bonnes idées qu’il venait de lui donner, mais encore fallait-il que le kendoka arrive à trouver le courage de faire entendre sa voix ! Ne pas se laisser marcher sur les pieds était quelque chose d’un peu compliqué pour l’étudiant, surtout quand son côté super-héros n’était pas réveillé. Parce que quand il s’agissait de protéger quelqu’un, là, Kyojiro pourrait même réussir à surprendre son père tant il campait sur ses positions, qu’importe la personne en face de lui ou la situation dans laquelle il se trouvait. Mais à qui est-ce qu’il pourrait bien demander de l’accompagner ? Est-ce que Zelda, qui n’aimait pas spécialement être au centre de toute l’attention, accepterait ? Ou Aki ? Kyojiro fronça un peu les sourcils en se disant qu’au final, les personnes sur qui il pouvait compter étaient vraiment très peu nombreuses… Il avait encore du chemin à parcourir pour réussir à s’ouvrir un peu plus aux autres !

En tout cas, Kyojiro n’avait absolument aucun mal à comprendre où Dai voulait en venir en parlant des inconvénients de son travail.

« Oui, j-je comprends… J’imagine que ça doit être difficile pour vous de toujours vous prendre de méchantes remarques, ou bien de vous faire crier dessus par les gens qui sont justement en tort… V-Vous… Vous croyez qu’on pourrait organiser comme u-une… une sorte de conférence pour sensibiliser les gens au travail des membres du personnel de l’Académie ? »

C’était sans doute une idée idiote qui ne servirait à rien, mais depuis la conversation qu’il avait eue avec Kenji Onizuka, le professeur d’histoire-géographie, lors de cette colle, Kyojiro continuait à réfléchir à des façons d’améliorer les choses. Et il devait avouer que cette conversation venait de lui ouvrir les yeux : il n’y avait pas que les étudiants qui avaient besoin de changement pour que tout se passe pour le mieux, les adultes aussi ! Alors si le kendoka pouvait aider le gestionnaire, même avec une petite action comme ça, il sauterait sur l’occasion sans hésiter.

Un petit sourire naquit sur les lèvres de Kyojiro qui hocha doucement la tête quand Dai s’empressa d’ajouter que malgré tout ce qu’il venait de dire, il aimait sincèrement son travail. Et, finalement, l’ambiance changea radicalement quand le kendoka proposa à son professeur de skate d’aller prendre un verre ensemble. Dai avait accepté et ils avaient donc pris la direction d’un bar à jus que le gestionnaire semblait bien connaître. Ils s’installèrent à une table en terrasse, Kyojiro prenant alors quelques secondes pour laisser son regard sombre se promener sur le reste de la terrasse, puis sur la goguette en elle-même, attrapant finalement la carte posée devant lui pour découvrir ce qui était proposé.

Aux mots de Dai, Kyojiro leva le nez de sa carte et lui offrit un petit sourire.

« C’est très mignon, et je pense que je vais réussir à t-t-trouver mon bonheur oui. J-Je… Je cuisine beaucoup vous savez a-alors je… Je devrais ne pas trop me tromper en e-e-essayant une combinaison de fruits. J-Je… Je vais essayer avec des carottes, des oranges, de la pomme et je demanderai s’il est p-p-possible de r-r-rajouter un peu de gingembre. »

On sentait le passionné de cuisine qui parlait ! Une passion qui tranchait beaucoup avec son allure flippante et son côté baraqué à cause de sa grande pratique du kendo. Il attendit que Dai ait fait son choix et passa finalement commande au serveur qui était venu près de leur table. Le temps que leurs boissons soient prêtes, Dai mit les pieds dans le plat en parlant de ces choses qui embêtaient Kyojiro pendant les interviews.

« J-Je… Je n’ai jamais été vraiment à l’aise p-p-pour parler avec des inconnus, e-e-et… Je… Je n’aime pas trop parler de moi. J-Je… Je comprends qu’ils doivent me poser des questions, mais certaines sont v-v-vraiment très… personnelles… »

Kyojiro fronça les sourcils en repensant à cette journaliste qui l’avait limite agressé en commençant son interview par une question concernant la mort de sa mère quand il était plus jeune.

« P-Pourquoi on ne peut pas juste se contenter de me demander des choses l-l-liées au kendo ? C-ça ne me dérangerait pas de parler de mes e-e-entraînements par exemple. »

Kyojiro s’entendit soupirer, alors qu’il se laissait retomber contre le dossier de sa chaise. Non, vraiment, la célébrité, c’était tout pourri.

Dai réfléchit un instant à la proposition. Il imaginait mal une conférence pour expliquer qu'il fallait traiter le personnel administratif comme des mal propres... à son goût, c'était l'extrême inverse, à savoir se mettre un peu trop en avant soi-même. Il aurait l'impression de jouer les victimes... ceci dit, ils n'étaient sans doute pas les seuls à avoir ce genre de plaintes.

"Je pense qu'il serait peut-être plus simple de ne pas centrer ça sur le personnel administratif... je veux dire, nous ne sommes sans doute pas les seuls à souffrir d'un manque de reconnaissance et de respect. Je pense que le personne en charge de l'entretien, ou de la nourriture doit avoir des sentiments très similaires. Et sans doute aussi le personne enseignant dans une certaine mesure. Mais peut-être qu'on peut garder votre idée en la modifiant. On peut peut-être imaginer quelque chose où on pourrait se mettre dans la peau les uns des autres pour mieux comprendre le travail de chacun ?"

Ça sonnait sans doute trop utopiste, trop gentillet... mais après tout peut-être que ça ne pouvait pas faire de mal ? et puis sait-on jamais, si ça pouvait améliorer les relations entre les différents membres de l'académie, ne serait-ce qu'un peu, ce serait toujours ça de pris...

Ils firent finalement route vers le petit bar à jus en bordure du parc. À cette heure, on était loin d'être submergé par la foule encore, même s'il faisait beau, et c'était tant mieux ! C'était un peu bizarre de se retrouver là.. d'habitude il ne faisait que passer... et en plus en compagnie de quelqu'un, et d'un étudiant... S'il était content d'être là, Dai n'arrêtait pas de triturer régulièrement sa mèche, comme s'il s'attendait à ce que le monde lui tombe dessus. En plus, il se retenait à grand peine de ne pas rouvrir son sac pour vérifier qu'il avait bien rangé les différents éléments correctement et dans le bon sens !

"Oh, vous avez appris à cuisiner par vous-même ? C'est bien ça, c'est une compétence vraiment utile ! C'est embêtant sinon quand on se retrouve à vivre tout seul..."

Comme c'était d'autres membres de la fratrie qui prenaient ça en charge à la maison, il n'avait jamais vraiment appris, mais ne s'était rendu compte de ce manquement à son éducation qu'une fois qu'il avait emménagé de son côté. Il avait eu l'air malin à appeler sa mère tous les jours pour demander comment faire les choses les plus évidentes ! Au bout d'une semaine, elle lui avait envoyé un de ces livres de cuisine "pour les nuls". Il avait été un peu vexé par l'intitulé, mais il fallait bien avouer que le livre prenait vraiment bien le temps de détailler chaque étape, ce qui était parfait pour un grand débutant ! Tous les jours, il choisissait donc une recette qu'il suivait méthodiquement. Et pour le moment... et bien il avait certes de nouveaux livres de cuisine pour les un peu moins nuls, mais quand même, il préférait ne pas trop s'éloigner des livres ! On n'était jamais trop prudent. Après tout la cuisine c'était de la chimie !

Kyojiro expliqua ensuite ce qui l'embêtait avec les interviews... Et Dai fut plus que surpris d'apprendre qu'on lui posait des questions personnelles... Ça ne lui aurait jamais traversé l'esprit ! Mais il comprenait bien que ça puisse mettre l'étudiant mal à l'aise. Pour le coup, ça l'aurait presque mis en colère pour lui.. c'était vraiment n'importe quoi ! Il réfléchit un instant à ce qu'il était possible de faire...

"Moi je pense que vous avez le droit de leur dire que vous ne voulez pas répondre. Après tout vous avez raison, si c'était pour parler de kendo, c'est logique de vous posez ces questions, puisque c'est pour ça qu'on suit votre carrière... en plus, je suis sûr que ça intéresserait aussi beaucoup les débutants de voir comment quelqu'un comme vous a pu se hisser à la première place... mais au final, votre vie... elle ne concerne que vous et vos proches... si vous n'avez pas envie de la divulguer, vous pouvez parfaitement refuser..."

Il réfléchit encore. Il se doutait bien que Kyojiro aurait du mal à simplement dire non, si déjà le fait de parler à des gens le gênait, alors leur refuser quelque chose aussi franchement... mais peut-être qu'il y avait moyen d'apprendre quelques bonnes réparties qu'il pourrait ressortir au bon moment ?

"Peut-être leur dire que si vous répondez à la question vous serez obligé de les tuer après, comme ils disent dans les films d'espion. En plus, ça peut aider à entretenir votre image de samouraï mystérieux. Ou alors, vous pouvez leur faire des réponses complètement farfelues s'ils insistent. Oh ! Ou alors vous pouvez faire comme les hommes politiques à la télé. Quand on leur pose une question qui ne leur plait pas, ils font comme s'ils allaient répondre, mais en fait ils parlent de complètement autre chose, un autre chose qui leur fait plaisir à eux. Peut-être que ça vous irait bien comme solution ? Si on vous pose une question trop personnelle, vous pouvez juste leur parler de vos entraînements. On ne pourra pas vous reprocher de parler de ça quand même, et puis ça recentre les choses sur le kendo..."

C'était à peu près tout ce qui lui venait à l'esprit... mais il serait sans doute très embêté s'il devait jamais se retrouver dans une situation similaire ! Non vraiment, gestionnaire c'était bien... personne n'avait envie de poser des questions à un membre de l'administration !

Kyojiro écouta attentivement les commentaires de Dai suite à son idée de conférence, hochant la tête alors qu’il fronçait les sourcils, signe qu’il était vraiment très concentré. Ce ne fut qu’à la fin des mots du gestionnaire que le kendoka ouvrit la bouche, comme s’il avait été soudainement frappé par un éclair de génie.

« O-Oui ! Ç-Ça serait une très bonne idée ! P-Par exemple, p-plutôt que de faire une conférence, o-on pourrait organiser c-comme hum… Un stage de d-découverte ? Ç-Ça permettrait à tous de découvrir le qu-quotidien de tous les membres d-du personnel de l’académie. »

Kyojiro sentait son cerveau qui tournait à vive allure. Ça serait vraiment une super idée, encore meilleure qu’une simple conférence ! Les gens se sentiraient bien plus concernés s’ils étaient directement confrontés à la réalité du quotidien plutôt qu’en écoutant simplement un discours soporifique auquel ils ne s’identifieraient pas !

Une fois installés en terrasse, le kendoka se retrouva à parler de lui alors qu’il faisait son choix pour son jus de fruits maison. Dai avait d’ailleurs rebondi sur le fait que Kyojiro ait parlé de cuisine, faisant légèrement rougir les joues de ce dernier. C’était bien rare quand on ne se moquait pas de lui quand il parlait de cuisine ! En général, les gens voyaient ça comme un passe-temps 100 % féminin, et il était vrai que c’était toujours un peu rigolo de voir un grand gaillard comme lui, avec l’air aussi renfrogné, en train de porter un tablier et un foulard dans ses cheveux pour ne pas risquer d’en faire tomber dans sa préparation. Ça tranchait terriblement avec ce côté austère qu’il affichait au quotidien !

« E-Euh, je… E-En fait, comme je suis fils u-unique et que mon p-père travaillait beaucoup qu-quand j’étais jeune, je… J’ai voulu l’aider d-du mieux que je pouvais a-alors j’ai… j’ai appris à cuisiner pour le s-soulager. »

Quel brave petit il était quand même ! Mais l’absence de sa mère s’était vraiment beaucoup fait ressentir et, avec un père policier qui faisait déjà tout son possible pour être présent pour son fils, Kyojiro n’avait pas eu d’autre choix que d’apprendre à faire les choses par lui-même. Il ne se souvenait pas trop de sa mère, il était encore jeune quand elle avait eu son accident, mais il n’avait jamais voulu attendre les bras croisés que tout lui tombe dans les mains alors que son paternel travaillait aussi dur. C’était aussi comme ça que son père l’avait éduqué après tout !

Quoi qu’il en soit, une fois leurs commandes passées, Kyojiro commença à expliquer à son vis-à-vis ce qui le gênait dans ces interviews qu’on faisait avec lui, à savoir le fait de devoir parler de sa vie privée. Le kendoka hocha doucement la tête aux mots du gestionnaire, complètement d’accord avec ce qu’il lui disait. Il avait tout à fait le droit de refuser, ça ne regardait personne de savoir ce qui se passait dans sa vie personnelle en dehors du kendo mais… C’était plus facile à dire qu’à faire ! Kyojiro avait toujours été beaucoup trop gentil, et il avait énormément de mal à dire non aux gens, sans doute parce qu’il avait peur de les décevoir.

Et alors que leurs boissons leur étaient finalement servies, le kendoka remerciant le serveur par une courbette sans doute beaucoup trop prononcée, Dai se lança dans l’énumération de toutes sortes de solutions pour permettre à Kyojiro de s’en sortir lors de ses prochaines interviews. Et autant dire que la première proposition le laissa complètement interdit. Tellement qu’il en avait ouvert grands les yeux et la bouche et qu’il s’était stoppé net dans son mouvement de poignet pour faire tourner sa paille dans son jus de fruits. L’étudiant resta ainsi figé, jusqu’à ce que Dai ait finalement fini ses propositions. Le silence qui s’installa soudainement entre eux fut alors comme un déclic, Kyojiro se mettant à pouffer assez bruyamment parce qu’il se retenait de rire aux éclats.

« M-Merci beaucoup pour toutes vos proposition M-Murakami-san ! J-Je… Je dois avouer que la première solution me fait un peu peur, je risquerais de m-m’attirer encore plus d’attention s-si je menaçais des gens o-ou si je les tuais vraiment e-et… Je ne pourrais aussi s-sans doute plus entrer dans la p-police à la fin de mes études. M-Mais… J’aime beaucoup votre dernière idée, c-celle de dévier m-ma réponse pour r-recentrer la discussion s-sur le kendo. E-Est-ce que vous croyez que v-vous… pourriez me tester ? P-Pour voir si je p-peux y arriver ? »

Puisque Dai semblait assez bien connaître ce genre de tactiques de détournement de conversation, il serait certainement le meilleur professeur pour Kyojiro ! D’ailleurs, en attendant la réponse du gestionnaire, le kendoka attrapa sa paille pour goûter à ce fameux jus qu’il avait commandé et… Il ne put réprimer un petit bruit de satisfaction à la première gorgée.

« C’est délicieux ! M-Merci beaucoup de m’avoir amené i-ici ! Je… Si jamais v-vous voulez goûter… »

C’était un peu gênant, mais Kyojiro avait, lui aussi, très envie de goûter à la boisson de Dai alors… C’était le meilleur moyen d’y parvenir ! Sans quoi, il serait obligé de revenir dans ce petit bar à jus jusqu’à avoir essayé toutes les combinaisons d’ingrédients possibles et imaginables !

Des stages de découverte ? Pourquoi pas. Là comment ça tout de suite, il avait du mal à imaginer ce à quoi ça pourrait ressembler... en plus, l'idée d'avoir quelqu'un qui lui traîne dans les pattes pendant qu'il fait son travail ne lui plaît qu'à moitié, encore quelqu'un qui allait tout déplacer tout le temps ! Ceci dit, le gestionnaire perçoit quand même l'intérêt de la chose. Après tout, sans doute que lui aussi aurait besoin de mieux comprendre les réalités d'autres membres du personnel.

"Il faudra y réfléchir, mais je pense que vous tenez une bonne idée !"

Il fallait encore maturer tout ça, mais dans le fond, il y avait quelque chose à exploiter ! Quelque chose qui ne pourrait que permettre à l'académie de fonctionner encore mieux. En plus, si ça permettait à chacun de se sentir plus à sa place ici, c'était vraiment parfait.

Leur rencontre se poursuivit ensuite tranquillement vers le petit bar. Dai commençait à se détendre et à ne plus trop penser à leur différence de statut. C'était juste agréable d'être là et de bavarder ensemble de tout et de rien. La conversation se faisait d'ailleurs un peu plus personnelle à mesure qu'elle avançait, à leur rythme. Finalement, même lui se laissa prendre au jeu. Qui plus est, Kyojiro était vraiment quelqu'un de sympathique dont il se sentait proche. Sans doute parce qu'ils partageaient le même sens du devoir poussé à l'extrême ainsi que la même volonté de respecter l'espace privé de chacun. Ainsi donc, il n'allait pas demander où était sa mère dans ce paysage.

"C'est tout à votre honneur ! Ça devait lui faire plaisir. Chez moi, nous étions cinq frères et soeurs, du coup tout le monde devait mettre la main à la pâte. Chacun avait sa mission. Mais comme la mienne n'était pas la cuisine, je n'ai appris qu'une fois parti !"

Vint alors le moment de réfléchir à comment l'étudiant pouvait parvenir à détourner les questions intrusives pendant les interviews. Dai avait réfléchi un peu avant de proposer plusieurs solutions plus ou moins absurdes. Comme il ne connaissait pas cet univers il ne savait pas ce qui était vraiment faisable ou non. Et puis c'était sans doute mieux de donner plusieurs options à l'étudiant, comme ça il pourrait lui même choisir celle qui lui convenait le mieux. Ou alors il pourrait les combiner, ou en trouver d'autres. En tout cas, elles ne laissèrent pas le jeune kendoka indifférent puisque celui-ci éclata d'un rire franc. Si dans un premier temps cela surprit Dai, qui lui était très sérieux, il finit par comprendre l'absurdité de certaines de ses propositions et sourit franchement aussi de son côté. C'est vrai que la réplique d'agent secret c'était un peu extrême quand même ! Même si ça aurait été drôle...

"On peut essayer oui ! Il faut juste que je réfléchisse un peu à quelle question je pourrais vous poser..."

Tout en sirotant son propre smoothie, Dai réfléchit à quelques questions... ça l'embêtait parce que de son côté il ne voulait pas mettre Kyojiro mal à l'aise en posant une question qui aurait été trop intrusive, mais en même temps, s'il fallait vraiment l'entraîner, il ne pouvait pas se contenter de lui poser des questions anecdotiques. Il fallait donc qu'il trouve le bon équilibre... il avait l'impression de pouvoir sentir tous les rouages dans sa tête forcer pour trouver une solution ! Alors qu'il triturait sa mère par réflexe, la proposition de Kyojiro le sortit de ses pensées.

"Ha oui bien sûr, je pense que j'ai fait beaucoup plus banal que vous ceci dit !"

En tendant son verre à l'étudiant, il eût soudain une idée de question. Il se redressa tout fier.

"Je sais ! Vous êtes prêt pour l'entraînement des questions ?"

Dai ferma alors son poing pour faire comme un micro imaginaire dans lequel il se mit à parler, avant de finalement le tendre vers Kyojiro pour attendre la réponse.

"Sakurai-san, de récentes rumeurs racontent que quelqu'un aurait profiter du tsunami pour voler du whisky dans le bureau du directeur de votre école. Quelle est votre opinion là-dessus ? Avez-vous une idée de l'identité des coupables ?"

Au moins, ça c'était un secret honteux qu'ils partageaient tous les deux ! De cette façon, Dai était sûr de ne pas mettre l'étudiant en porte à faux... et puis peut-être que ça aussi ils finiraient par en rire. Après tout, personne n'avait deviné que c'était eux !

Kyojiro fut tout content d’entendre Dai lui dire qu’il avait trouvé une bonne idée. Il ne restait plus qu’à réfléchir plus posément à tout ça, avant de peut-être établir un plan d’action qu’il pourrait soumettre à la direction ! Comme quoi, quand le kendoka était motivé et que ça impliquait d’améliorer les choses pour tout le monde, il était capable de grandes choses ! Peut-être qu’il finirait par changer d’avis pour son futur et qu’il poserait sa candidature pour devenir maire de Nara !

Mais pour l’heure, il y avait bien plus important à gérer : son incapacité à faire face à toutes ces interviews qui lui tombaient dessus depuis qu’il était devenu le champion national de kendo. Avant de trouver une solution, les deux compères se mirent à parler de sujets bien plus personnels, à commencer par la famille. Kyojiro était vraiment très étonné d’entendre que Dai avait 4 frères et sœurs, ça c’était une grande famille !

« Ça devait ê-être très animé chez vous a-alors. V-Vous êtes le plus vieux ? »

Kyojiro espérait qu’il ne se montrait pas trop intrusif avec cette question, mais pour lui qui était fils unique, s’imaginer avec des frères et sœurs le faisait vraiment rêver. Ça devait tellement être une ambiance opposée à celle qui régnait habituellement chez lui ! Le kendoka en était presque un peu jaloux…

Ils revinrent ensuite au sujet qui les intéressait, après que les deux compères eurent échangé leurs verres. Kyojiro avait des petites étoiles dans les yeux, pressé de pouvoir goûter à la boisson composée par Dai, mais alors qu’il attrapait presque trop précautionneusement le verre avec ses deux mains et qu’il ouvrait la bouche pour l’approcher de ses lèvres, il fut coupé dans son élan par le gestionnaire qui lui demandait s’il était prêt pour son nouvel entraînement. Surpris, Kyojiro resta quelques secondes à le fixer, immobile et la bouche toujours ouverte, avant de finalement retourner à la case départ en reposant le verre sur la table. Fronçant les sourcils d’un air franchement déterminé, le kendoka hocha alors vivement la tête.

« J-Je suis prêt, a-allez-y. N-Ne vous retenez pas surtout. »

Kyojiro était-il au courant qu’il s’agissait toujours d’un entraînement pour affronter les interviews ? Parce qu’il donnait presque l’impression de se concentrer comme pour un entraînement de kendo là !

Le kendoka regarda d’un air curieux ce faux micro que Dai tenait devant sa bouche, finissant par ouvrir de grands yeux alors que ses joues passaient soudainement au rouge cramoisi. Kyojiro se sentait complètement démuni et honteux face à cette question, fixant le faux micro avec un semblant de panique. Frottant nerveusement ses cuisses, sentant que ses mains se faisaient un peu moites, le Japonais regarda autour de lui de manière pas du tout discrète, semblant vouloir s’assurer que personne n’avait entendu Dai. Déglutissant difficilement et le regard toujours un peu fuyant, Kyojiro reprit finalement la parole.

« D-Dites… V-Vous c-croyez vraiment qu-qu’on p-pourrait me demander ç-ça ? »

Le kendoka était toujours très mal à l’aise en repensant à toutes les règles qu’ils avaient bafouées lors de ce typhon. Ça avait été pour la bonne cause, certes, mais Kyojiro se sentait toujours très honteux…

Il lui fallut quelques secondes de silence pour se rappeler, soudainement, que tout ça n’était qu’un entraînement. Bon, il n’était pas vraiment rassuré à l’idée qu’on puisse vraiment lui poser cette question un jour mais… Dai et lui-même étaient sans doute les seuls à être au courant de toute cette histoire alors… C’était presque impossible, non ?

« P-Pardon, je… »

Toussotant un peu pour essayer de reprendre contenance, Kyojiro laissa son regard se poser sur le faux micro pendant que son esprit essayait de rembobiner les dernières secondes dans sa tête afin de réentendre la question de Dai et commencer à y réfléchir.

« H-Hum, v-voyons voir… Je… Je pourrais répondre c-comme ça : l-le vol est un acte r-répréhensible e-et ç-ça ne fait pas du t-tout partie des v-valeurs qu’on n-nous transmet au kendo. C-Ce sport p-peut d’ailleurs b-beaucoup effrayer les n-nouveaux à c-cause de t-toutes les règles, m-mais au final, j-je trouve que ç-ça nous apprend b-beaucoup de choses qu-qui sont utiles au qu-quotidien. »

Kyojiro fronça les sourcils et soupira profondément.

« C-C’était nul… J-Je… Comment e-est-ce que vous a-auriez répondu v-vous ? »

Le kendoka prit enfin le temps de goûter la boisson de Dai avant de la lui rendre, non sans esquisser un petit sourire en sentant les arômes venir chatouiller ses papilles, des arômes assez différents de ceux qu’il avait choisis pour sa propre boisson. Comme quoi, même s’ils se ressemblaient sur pas mal de points, ils avaient quand même des goûts assez différents ! Et c’était un plaisir de découvrir ces différences ! Parce que « qui se ressemble, s’assemble », certes, mais les différences permettent de découvrir plein de nouvelles choses ! Et pour quelqu’un d’aussi curieux que le kendoka, c’était très important !

Animé... Dai ne sait pas trop si c'est le mot qu'il aurait choisi.

"En fait j'étais le dernier. Du coup je ne sais pas si la maison était particulièrement animée vu que je suis celui qui ai vu tout le monde partir au fur et à mesure. Enfin tout le monde, disons que j'ai pu voir les allers et venues au fil du temps."

Et c'est vrai qu'avec quatre personnes avant lui, il avait pu observer tout le va et vient des ainés ! D'autant plus qu'il avait fait une bonne partie de ces études sur Nara et n'avait donc pas nécessairement eu besoin d'un logement à lui, ça économisait quelques frais...

En attendant, il fallait préparer Kyojiro à ses fameuses interviews ! Alors dès qu'il lui donna le feu vert, Dai lança sa première question et finalement, peut-être que l'étudiant n'était pas aussi prêt qu'il le pensait vue la tête qu'il tira. Peut-être que finalement, malgré ses précautions, le gestionnaire était bien allé trop loin ?? Il allait pour s'excuser quand l'étudiant formula ses interrogations à haute voix. Le gestionnaire pouffa gentiment. S'il se sentait aussi coupable que son partenaire de crime, il ne se faisait plus trop d'illusion sur ce qui intéressait les gens dans l'académie.

"Il y a assez peu de chance ! Croyez moi, ce n'est pas le genre de choses qui intéressent les journalistes. Ils seraient beaucoup plus intéressés par le fait que le directeur soit alcoolique ou organise des beuveries dans son bureau que par quelques étudiants piquant trois gorgées de whisky..."

Autant pour eux cette transgression faisait office de tabou ultime tout simplement parce qu'ils n'avaient pas vraiment l'habitude d'enfreindre les règles, autant pour les journalistes, ça ne pouvait même pas occuper trois lignes de la dernière page de leur feuille de chou... c'est à peine s'ils bougeraient une oreille pour écouter l'histoire !

"Disons que j'ai pensé qu'il fallait une question suffisamment personnelle pour que ça vous embête mais dans le fond je ne connais pas votre vie alors j'avais peur de vraiment vous mettre mal. Je me suis dis qu'avec cette histoire on serait embêté tous les deux. Comme ça on est à égalité... comme ça c'est peut-être un peu moins violent pour vous... sinon c'est pas très juste..."

Kyojiro finit par reprendre ses esprits, non sans s'être excusé une fois de plus. Il réfléchit un peu, et se lança dans sa réponse. Alors certes, avec le stress, il avait retrouvé son bégaiement, et ça manquait de spontanéité, mais sur le principe la réponse était plutôt bonne. Elle parvenait à ne pas être complètement hors sujet tout en rendant plus difficile pour le journaliste en face de repartir sur un terrain trop glissant.

"Non sur le principe c'est très bien ! C'est exactement ça qu'il faut faire. Ça manque peut-être juste encore un peu de fluidité et de spontanéité mais avec de l'entraînement ça va venir !"

De toute façon, quasiment tout dans la vie était une question d'entraînement... le kendo aussi bien que la comptabilité que les interviews avec les journalistes. Dai reprit une gorgée de sa boisson une foit que Kyojiro lui eut rendu, et recommença à réfléchit à une nouvelle question.

"Du coup, il faut continuer encore un peu pour que ça puisse vous venir plus facilement..."

Qu'est-ce qu'il allait pouvoir inventer cette fois ? Il se creusa un peu la tête, essayant de se souvenir de ce qui se racontait parmi les étudiants dans les couloirs de l'académie. Faut dire que dernièrement, à part raconter les histoires de coeur de trucs ou de bidules, il ne semblait pas se raconter grand chose... en même temps, c'était peut-être aussi sur ce genre de choses qu'on venait l'asticoter ? Auquel cas peut-être qu'il faudrait qu'il se prépare un peu là dessus aussi... Il reprit donc son micro imaginaire pour poser sa question.

"J'ai entendu dire que dans votre école, certains jeunes hommes s'étaient battus pour gagner le coeur de la fille qu'ils aimaient et ainsi éliminer les rivaux. Est-ce que c'est quelque chose que vous avez fait vous mêmes ?"

Oui les étudiants racontaient vraiment des choses bizarres des fois... à se demander s'ils se rendaient eux-même compte de l'absurdité de la chose. Ou alors ils faisaient exprès de raconter des histoires plus grosses qu'eux pour le plaisir. Drôle d'occupation...

« J-Je vois… F-Finalement, ça devait être u-un peu triste de voir tout le monde p-partir au fur et à mesure… »

Kyojiro afficha une petite moue en essayant de se mettre à la place du gestionnaire. S’il avait eu des frères et sœurs, lui qui était très porté sur la famille, il aurait sans doute été très triste de les voir tous partir un par un. D’ailleurs, il l’avait profondément été quand il avait été décidé qu’il partirait étudier à Nara, à Yokuboo, loin de son père. Alors certes, ils s’appelaient au minimum une fois par semaine, mais le kendoka devait avouer que ça lui manquait de ne pas pouvoir rentrer chez lui dès la fin de ses cours, comme il l’avait fait jusqu’à la fin du collège.

Mais la discussion n’était plus à la famille, mais plutôt à la préparation de Kyojiro pour affronter ses futures interviews en utilisant la méthode que Dai lui avait exposée un peu plus tôt. Sauf que voilà, pour cette première question, le gestionnaire avait sans doute fait un peu trop fort, faisant ressurgir toute la culpabilité et la honte que le kendoka ressentait vis-à-vis de leurs gestes lors de ce typhon. Alors certes, ils avaient sans doute évité de gros drames en allant couper l’eau mais… Est-ce que toutes ces infractions avaient vraiment été nécessaires ?

Dai s’empressa de rassurer Kyojiro qui finit par tenter une réponse totalement évasive qui permettrait de se recentrer sur le kendo, mais il ne semblait pas vraiment satisfait. Le gestionnaire lui avoua que son premier effort était louable, mais qu’il manquait de fluidité. En tout cas, le Japonais était entièrement d’accord : l’entraînement, y’avait que ça de vrai ! Kyojiro lâcha quand même un petit sourire en fixant son verre.

« J-Je… J’ai toujours un peu b-bégayé, j-je… Je ne suis pas du tout à l’aise qu-quand il faut parler… J-Je… Je crois qu’il n’y a vraiment qu-qu’avec les personnes vraiment p-proches de moi que j’arrive à ne pas b-buter sur les mots… J-Je… Est-ce que vous croyez que je p-pourrais essayer de fermer les yeux f-face aux journalistes ? J-Je ne sais pas si ça pourrait marcher, m-mais… peut-être que je pourrais imaginer qu-que je suis par exemple face à quelqu’un de proche pour o-oublier que je ne suis pas à l’aise ? »

Il disait ça, mais il avait quand même grandement évolué depuis son arrivée à Yokuboo ! Il s’ouvrait plus aux autres, même si son bégaiement était toujours présent.

« E-En tout cas… J-je… Je vous remercie vraiment du fond du c-cœur de bien vouloir m’aider a-avec tout ça e-et… Merci pour votre question. »

Dai était vraiment super attentionné, ça faisait chaud au cœur de Kyojiro qui lui offrit même un sourire avant de sentir ses joues virer de nouveau au rouge cramoisi. Le gestionnaire n’avait certainement pas voulu gêner le kendoka avec cette nouvelle question, mais, malgré lui, il n’arrêtait pas de toucher des sujets qui étaient sensibles pour l’étudiant. Plaquant aussitôt ses mains sur son visage pour cacher sa gêne, Kyojiro dut prendre quelques secondes pour finalement secouer doucement la tête pour toute réponse. L’amour était une chose qu’il ressentait pour la première fois de sa vie et… Bah en fait, il ne savait pas trop où il en était…

« J-Je… E-En fait, je… Je ne sais pas trop… »

Son cerveau tournait à nouveau à cent à l’heure, et il ne sortit de son tourbillon de pensées qu’à cause d’une bestiole qui vint s’emmêler les pinceaux dans ses cheveux. Grognant et s’empressant de chasser l’intrus, Kyojiro afficha une moue terriblement désolée à Dai avant de soupirer à nouveau doucement.

« D-Désolé… Je sais que c’est p-pour l’entraînement m-mais… Vous avez vraiment tendance à trouver les bons sujets… »

Kyojiro afficha alors un petit sourire, histoire de montrer à Dai qu’il se contentait de le taquiner un peu. Ça, c’était plutôt nouveau pour le kendoka ! Mais ce n’était pas tellement juste qu’il soit le seul à sentir toutes ses émotions déclencher un tsunami en lui ! Le kendoka pouvait bien se venger un peu comme ça, non ?

« H-Hum… Je ne me bats au kendo que p-pour le plaisir de d-donner le meilleur de m-moi-même, j-je… Je ne me préoccupe pas vraiment des rumeurs qui circulent e-et… Jamais je ne me battrai pour m-m’attirer les sentiments de quelqu’un. »

Bon bah, pour la partie esquive… On n’y était pas vraiment pour le coup ! Mais bon, Kyojiro devait bien avouer que toute cette histoire lui tournait beaucoup trop dans la tête ces derniers temps… Gardant sa petite moue, il releva les yeux vers Dai.

« D-Dites… V-Vous… Vous avez quelqu’un dans v-votre vie ? »

WOW ! C’était quoi cette question soudainement HYPER perso ? Kyojiro ne s’en était pas rendu compte, souhaitant simplement pouvoir parler de ses problèmes avec Dai, pour savoir s’il pourrait l’aider aussi à ce niveau-là. Il était plus âgé et plus expérimenté alors… Il pourrait sans doute lui donner quelques conseils, non ?

Triste ce n'était peut-être pas le mot. Mais Dai avait du mal à décrire ce que c'était. De la nostalgie ? De l'envie ? De la peur aussi. C'était compliqué. Mais finalement, ils avaient réussi à rester proche les uns des autres, à maintenir un lien et un certain équilibre. La famille n'était plus la machine bien huilée qu'elle avait été, les éléments étaient plus éloignés, mais ils se retrouvaient toujours une fois par mois tous les sept, et Dai les voyait régulièrement individuellement... Alors finalement... ça allait.

"En, c'est plutôt que la transition était étrange je crois.... plus étrange que triste."

Ils en vinrent finalement à l'entraînement spécial interview ! La première question posée amena sa première réponse et vint le temps des retours. Dai se sentit gêné, ce n'était pas vraiment du bégaiement de son compagnon qu'il visait... il avait été maladroit dans sa façon de formuler les choses et il avait peur d'avoir remis le doigt sur quelque chose de douloureux, sans doute qu'on lui faisait déjà bien assez souvent la remarque...

"Ha non pardon, je voulais dire... c'est plus qu'on vous voit chercher vos idées, c'est pour ça que je parlais de manque de fluidité... Pour le reste je ne sais pas, je connais pas du tout et je ne voudrais pas vous dire de bêtises qui pourraient vous gêner plus qu'autre chose... Mais peut-être que vous pouvez essayer si vous pensez que ça peut marcher. Peut-être en imaginant la personne dans le public ?"

Pour le coup, il ne se sentait vraiment pas compétent là dessus... il n'aimait pas spécialement parler en public, mais compenser en surpréparant avait toujours suffi. Et puis pour lui, plus il était clair en présentant, plus les gens allaient comprendre et faire les choses bien. Inutile de dire que ça ne passait jamais comme ça dans la vraie vie. Mais au moins on ne pourrait pas lui reprocher de ne pas avoir fait tout ce qu'il pouvait.

"Ça me fait plaisir !"

Et c'était vrai. Déjà parce qu'en vrai, Dai aimait bien aider les gens, dans la mesure du possible. Même s'il avait l'air austère au premier abord, il espérait profondément que tout se passe pour le mieux pour chacun. Comme la mécanique bien huilée de son enfance. Sans être nostalgique, c'est ce sentiment qu'il voulait faire partager aux autres : ce moment où on peut mettre en commun les dons de chacun... Et puis, il était vraiment bien en compagnie de Kyojiro. Sans aucun doute : il passait un bon moment.

Dai relança donc une nouvelle question. Il avait espéré qu'elle était suffisamment absurde et vague pour ne pas être trop intrusif dans la vie de l'étudiant. Mais apparemment, encore une fois, il s'était raté ! Décidément... il n'était peut-être pas la bonne personne pour l'aider... ou alors si on considérait que c'était ce que faisaient les journalistes, il était justement la bonne personne, mais ça l'embêtait de le mettre ainsi mal à l'aise. Le gestionnaire rougit violemment et baissa les yeux, presqu'aussi gêné que l'étudiant.

"Pardon... je suis vraiment désolé... ce n'était vraiment pas intentionnel...je.... peut-être que c'est mieux euh... si vous vous entraînez avec quelqu'un d'autre..."

En même temps, son travail c'était de repérer les problèmes que les gens n'arrivaient en général pas à nommer, il n'était donc pas complètement impossible que sans s'en rendre compte, il se soit dit qu'il y avait là quelque chose à creuser... mais quand même... L'étudiant proposa quand même une réponse. On pouvait sentir que la question l'avait beaucoup plus touché et qu'il y avait sans doute quelque chose là. Mais quoi ? En plus, il avait déjà fait suffisamment de dégâts comme ça, il n'avait pas envie d'en remettre une couche... Pour se donner une contenance, il attrapa son smoothie et but un peu tout en machonnant la paille nerveusement. C'est évidemment pile à ce moment-là que Kyojiro posa sa question. Résultat, Dai faillit s'étouffer tellement il fût surpris. Il toussa un moment avant de finalement essayer de prendre une contenance, les larmes aux yeux.

"Euh... je... et bien... hum... c'est à dire que... euh... non"

Il n'était d'ailleurs pas bien sûr d'avoir jamais "eu quelqu'un". Il n'était pas spécialement intéressant, et jusqu'à récemment, sortait peu... alors ça n'aidait pas beaucoup. Même s'il essayait de créer des liens, c'était toujours maladroit et pas très bien vu. Du coup... ça n'était tout simplement pas au programme et s'il était honnête il ne savait pas très bien s'il le vivait bien ou pas. Parfois, quand il comparait sa vie à celle des gens de son âge, il se faisait plutôt l'impression d'un type louche qui avait fait de drôle de choix et passait à côté de la vie.

"Pour... pourquoi cette question d'un coup ?"