Ma vue est floue. Je ne comprends pas où je suis. Je tâtonne de mes mains et découvre que le sol est en bois et humide. Et cette sensation nauséeuse qui m’étreint les tripes. C’est affreux ! Je sais que je n’ai rien manger, fort heureusement sinon je vomirais tout sur ce plancher indéterminé.
Mon esprit sort peu à peu du brouillard. La vue se dégage et j’hallucine de la scène qui se présente à moi.
Pas étonnant que j’ai des vertiges. Je suis sur un radeau. Sur un putain de radeau ! Au milieu d’un putain d’océan aussi grand que l’univers.
Bordel ! Mais qu’est-ce que je fous là ?

Panique ?
Non ! Non ! Jamais ! Enfin bon… un chouya quand même…
Mais mon esprit rationnalise. C’est irréel ! En aucun cas je peux me retrouver dans une telle situation, cela n’est pas la réalité. Hein ? Ce n’est pas réel ? On est d’accord ?
Ne répondez pas surtout ! C’est trop vous demander ! Pfff ! OK ! Restez bien au chaud assis devant votre ordi, moi je vais prendre les rênes de cette situation de merde.

Analysons déjà que j’ai à ma disposition.
Un océan à perte de vue… Inutile et dangereux ! Clairement pas engageant pour une issue favorable.
Un plancher qui semble tenir à la houle. Un bon point !
Un mat avec une voile de fortune. Mieux que rien !
Une grosse boite, genre coffre au trésor de pirates. Pourvu d’un énorme cadenas, comme dans les films ! Sauf que dans les films, le héro a une clé ou au moins un pied de biche à disposition pour ouvrir ce foutu coffre ! Au moins il est arrimé au mat, il ne devrait pas se faire la belle et surtout assure la stabilité du radeau.
Un abri de fortune où j’imagine je suis censé dormir.

A quatre pattes, je m’avance tant bien que mal vers cet abri. Deux planches libres en dépassent. Ça peut servir de rame au besoin ! Un autre bon point !

Bordel ! La houle devient plus violente. J’ai vraiment peur que mon bateau de fortune chavire et me foute à l’eau. Remarquez ! Je ne crains pas de me mouiller. Je le suis déjà et je porte… Ah bah c’est réduit. Je porte juste un boxer. Merveilleux ! Heureusement qu’aucune goupie traine dans le coin. En y réfléchissant, pour une fois, j’aurais préféré. La situation craint vraiment !
Arrivé enfin à l’ouverture de cet abri de fortune, je suis stupéfait. Ouais ! Je ne suis pas seul dans la galère. Il y a un mec qui dort en boule, comme un chien. Remarquez qu’il est dans la même tenue que moi ! Au moins le ridicule ne nous tuera pas !
Le mec me tue par contre. Il ronfle comme un bienheureux ! J’hallucine ! Comment il arrive à dormir et aussi profondément ? Sa tronche, à moitié cachée par son bras, me dit quelque chose. Mais mon esprit a du mal à connecter tous mes neurones pour me rappeler qui il est. C’est surréaliste !

Du doigt, j’appuie sur sa joue.

- Hey, mec !

Quand je vous dis qu’il dort profondément, ce n’est pas une blague. Je pose donc ma main sur son épaule et le secoue vraiment cette fois.

- Oh ! Oh ! Vendredi tu te réveilles ?

Bah quoi ? Tant qu’à choisir je préfère être Robinson que son serviteur. Il n’y a plus qu’à espérer qu’on va trouver une île. Parce que la faim et la folie risquent d’avoir raison de nous ! A moins que ce ne soit les requins ?
Dites voir ! Il y a des trucs à craindre dans le coin ?

Dae-Hyun se sentit violemment frissonner. Il avait froid et sentait que tous ses poils se dressaient sur ses bras à cause de la chair de poule. Grognant dans son sommeil, il prit l’initiative de se rouler un peu en boule, ramenant ses jambes contre son torse en les enserrant d’un bras, l’autre à moitié posé sur son visage pour cacher toute lueur intempestive qui pourrait déranger son sommeil. Il avait froid, mais il était tellement épuisé qu’il s’en moquait bien. Il voulait juste faire un bon gros dodo, jusqu’à ce que son chat ne vienne le harceler pour avoir son petit-déjeuner. D’ailleurs, il ne tarda pas puisqu’un contact se fit soudainement sentir sur la joue du Coréen qui se mit à gigoter et à grogner, entendant à peine cette voix masculine qui lui chatouillait les oreilles. Il agita sa main en direction du bruit.

« Geurimbut… Encore cinq minutes… »

Oui, oui, Dae-Hyun pensait vraiment être en train de parler à son chat ! Mais alors qu’il allait se laisser de nouveau sombrer dans le sommeil, bercé par ce roulis un peu étrange quand on y repensait, le cri d’une mouette juste au-dessus de son abri finit par tirer soudainement le Coréen de son sommeil. Il se redressa même tellement brusquement que son front heurta assez violemment celui de…

« Putain de merde ! T’es qui ? On a couché ensemble ? Merde, j’ai mal au crâne… Et… bah… on est où ? »

Dae-Hyun passa par tout un tas d’émotions en seulement quelques secondes. D’abord la douleur à cause de ce choc, puis la surprise de découvrir que ce n’était pas son chat qui avait essayé de le réveiller, mais une autre personne, et enfin une surprise encore bien plus grande en sentant que ce n’étaient pas des draps sous la paume de ses mains. C’était quoi ce délire ? Il s’était passé quoi ? Et c’était qui ce…

« Mathi ? Putain, tu m’as drogué ou quoi ? On est où ? C’est quoi cette embrouille ? Et pourquoi on est à moitié à poil tous les deux ? »

Dae-Hyun commençait à se confronter un peu trop brutalement à la réalité, ses doigts se crispant sur le bois de ce radeau de fortune. Et comme son camarade ne lui répondait pas, le Coréen se mit à genoux et le poussa sans ménagement pour sortir de l’abri et se mettre debout une fois à l’extérieur. Il manqua de tomber sous la précipitation, l’embarcation s’étant mise à tanguer dangereusement, et il porta aussitôt une main à ses yeux pour les protéger de cet assaut soudain du soleil. Le danseur frissonna de nouveau en sentant une brise caresser sa peau et, après avoir réussi à mettre sa vue bien au point, ses lunettes sur le nez, Dae-Hyun fit face à un spectacle qui le laissa sans voix. La mer… La mer… LA MER ?! Y’avait pas la mer à Nara ! Ils étaient où ? Qu’est-ce que Mathi lui avait fait hein ? Il lui en voulait pour l’histoire avec Mandy ? Mais merde, il avait rien fait lui ! Commençant « légèrement » à paniquer, Dae-Hyun préféra se remettre à quatre pattes pour éviter de faire un faux mouvement qui menacerait de le faire tomber à la flotte. Il savait nager, il était très doué en natation, mais une piscine, c’était quand même clairement différent de la mer ! Y’avait rien autour d’eux en plus !

« Sérieux, il se passe quoi ? Va falloir que tu m’expliques, parce que je trouve pas ça drôle du tout ! Je sais que tu m’aimes pas et je pense que c’est réciproque, mais… Tu pouvais pas juste trouver un autre moyen de faire ton caca nerveux ? »

Dae-Hyun était quelqu’un de très calme et de posé qui ne s’énervait jamais. Pourtant, là, la panique lui faisait clairement hausser le ton et il était aussi clairement en train de rejeter toute la faute sur Mathi. Bah quoi ? C’était pas lui qui avait décidé de se retrouver presque à poil sur un radeau, en plein milieu de l’océan, avec un type qu’il appréciait même pas ! Pourvu qu’ils n’aient pas couché ensemble… Ça serait vraiment le pompon si c’était le cas !

C'est une histoire de fou. Comment est-ce que je peux me réveiller sur un radeau au milieu d'une mer immense - oui c'est un océan plutôt - sans la moindre terre en vue à l'horizon ! Il ne fait pas froid, c'est déjà ça, aux vues de ma tenue. Mais si le soleil continue à grimper dans ce ciel azur, il est possible que je crame, et ça ne m'enchante guère plus, surtout vu le peu de vivres qu'il semble y avoir sur ce radeau. Et le pire c'est de penser que je vais devoir les partager… Non le pire c'est les partager avec ce foutu mec populaire !
Quand je découvre l'intru, j'espère des réponses.
Je ne m'attendais pas à ça !

« Geurimbut… Encore cinq minutes… »

C'est quoi ce mot ? Un nom ? Une blague plutôt ?
Le mec il ne sent pas qu'il y a un malaise là. Si son lit est aussi confortable qu'une planche de bois qui roule sur les vagues, je ne mettrais jamais les pieds chez ce mec !
Il finit par ouvrir les yeux et se redresser.
J'avais tort ! Terriblement tort ! La situation est pire que tout ! J'aurai encore préféré être seul entouré de requins !
Pourquoi ce mec ? Pourquoi lui ? ça ne pouvait pas être un petit gars sympa comme Kyojiro ? Non, en plus de la situation surréaliste, il faut que je me tape LE POPULAIRE !

« Putain de merde ! T’es qui ? On a couché ensemble ? Merde, j’ai mal au crâne… Et… bah… on est où ? »

Mes yeux le dévisagent, pas loin de sortir de leur orbite. Il est sérieux, là ? Je ne me tape pas des mecs ! Il y croit vraiment ?
J’ai une soudaine envie de lui carrer mon poing sur la gueule.

« Mathi ? Putain, tu m’as drogué ou quoi ? On est où ? C’est quoi cette embrouille ? Et pourquoi on est à moitié à poil tous les deux ? »

Je vais le défoncer ! Mon angoisse fait doucement – mais surement- place à la colère. Mon visage doit devenir rouge. Et si de la fumée pouvait se voir, elle sortirait de ma tignasse en pagaille ! Ce mec m’insupporte déjà en temps normal, mais là soit je le jette à l’eau, soit je lui refais le portrait !
Répondre ? Je ne m’abaisserais pas à cela. De un, je n’ai aucune justification à donner à ce coréen de pacotille. De deux, je n’ai absolument aucune réponse. De trois, je n’ai pas plus envie d’être là que lui !
… et de quatre, je me passerai de son avis moisi !
Indifférence ! Voilà ! C’est le mieux que j’ai à faire. Prendre le temps de jauger la situation un peu plus posément !
Monsieur Populaire se lève et sort, manquant de finir à l’eau sans mon intervention, ce qui ne manque pas de me tirer un petit sourire narquois de satisfaction. Bien fait pour son pied ! Est-ce que je l’ai accusé de quelque-chose, moi ? Non, contrairement à lui.

Mais bien sûr, il n’en reste pas là et me re-assome de questions ! Va falloir qu’il se calme pépère ! sinon je ne réponds plus de mes actes ! Peut-être qu’un bain lui rafraichirait les idées, après tout ! Et ça répondrait à la question qui m’inquiète le plus dans cette histoire : y-a-t-il des prédateurs à craindre dans cette eau salée ?

Je m’assois, affichant un air tranquille et pas conciliant à répondre à tous les désidératas de mon acolyte de fortune, En tailleur, mains posées à plat sur mes cuisses, essayant d’intérioriser la cocotte-minute qui menace d’exploser à tout instant.
Et dire que Monsieur passe pour un gentil calme à l’université. La vaste blague…
Je le fixe d’un regard intense sans concession. Mon ton est sec et froid, mais sans intensité sonore.

- Qui fait son caca nerveux là ?

Un sourire narquois revient sur mon visage.

- Je ne t’empêche pas de partir ! Tu peux rejoindre ton pays à la nage, on doit bien être à mi-chemin entre ton pays et le mien !

Quoi ? Oui, pour une fois le Japon est mon pays. Et alors ?

Dae-Hyun avait énormément de mal à y croire et il hésitait presque à sauter à l’eau, espérant que ce geste allait définitivement le réveiller de ce mauvais rêve. Ouais, à choisir, il aurait quand même préféré se retrouver avec une jolie fille sur ce radeau perdu au milieu de l’océan ! Mais alors que la panique et l’incompréhension commençaient à le gagner, le silence que lui offrit Mathi pour toute réponse finit d’achever le peu de patience qu’avait encore le Coréen. Lui qui était toujours d’agréable compagnie, souriant et avenant, le voilà en train de vociférer sur son compagnon d’infortune. La raison était simple : il ne le portait pas vraiment dans son cœur ET il flippait sa race. Pour quelqu’un d’aussi lâche que Dae-Hyun, la situation avait tout d’un drame planétaire duquel il ne pourrait pas s’en sortir. C’était la fin des temps, il n’y avait pas d’autre explication !

Mathi garda le silence alors que le Coréen sortait de leur petit abri de fortune pour scruter les environs. Le soleil était chaud, le ciel était bleu et… Il n’y avait que de la mer à perte de vue. Dae-Hyun n’avait plus qu’une option : découvrir ce que Mathi lui avait fait pour qu’il se retrouve dans cette situation. Mais en découvrant son visage agacé, le danseur comprit que tout ça ne semblait pas être de son fait. Il était au moins aussi ravi que lui de se retrouver face au Coréen, en témoignaient son regard perçant et froid, ainsi que son ton sec. Dae-Hyun fronça les sourcils à sa question, puis à sa remarque. Sérieux, s’il n’avait pas aussi peur de se faire arracher une jambe en sautant dans l’eau, il n’aurait pas perdu une seconde de plus de sa vie en compagnie de cet enfoiré ! Le danseur lui offrit un air courroucé pour toute réponse, s’apprêtant à répliquer, mais, au final, il ne put lâcher qu’un profond soupir d’exaspération.

« Bon… Okay, à moins que tu sois vraiment bon acteur, t’as pas l’air d’être à l’origine de cette vaste blague absolument pas drôle. T’as des souvenirs d’avant de t’être retrouvé sur ce radeau ? Je sais pas genre… Ce que tu faisais ? Avec qui t’étais ? »

Il fallait vraiment qu’ils découvrent qui leur avait fait ça ! D’ailleurs, en y repensant, Mathi s’était réveillé avant lui non ?

« Au fait, t’as pu récolter des informations pendant que je… dormais encore ? J’imagine qu’on nous a drogués avant de nous balancer au milieu de l’océan… »

Merci Captain Obvious ! Mais bon, l’important était de tout lister et de faire le point. Dae-Hyun quitta sa position pour revenir s’installer sous l’abri de fortune, pas forcément désireux de se retrouver avec un coup de soleil intégral en restant à la merci de l’astre qui réchauffait bien trop l’atmosphère. Il fallait dire que le Coréen avait une peau plutôt pâle et qu’il cramait bien plus qu’il ne bronzait !

Se retrouvant à l’ombre, Dae-Hyun lâcha un nouveau soupir alors qu’il se frottait la nuque.

« Bon… Le plus important, c’est de savoir si on a à manger et à boire. T’as déjà essayé d’ouvrir la malle ? Et on n’a vraiment rien d’autre que nos boxers ? »

Non, vraiment, c’était le pire cauchemar du siècle…

Suis-je maudit ? Ai-je pris un coup sur la tête ? Est-ce la contrariété d’avoir perdu face à ce Dae à la soirée de Noël à l’université qui me pourri les neurones ? Ai-je été drogué à mon insu ? Est-ce que je cauchemarde ?

Aucune réponse. Et ça va bien finir par me rendre dingue ! Mais pour l’heure il y a plus urgent. Trouver comment se sortir de pétrin ! Et ce petit con n’est pas d’une grande aide pour le moment. Alors contrairement à l’attente général, je n’exprime pas ma colère. Non ! J’applique la méthode du mec stoïque et pragmatique, face à cet hurluberlu qui panique. Si on m’avait dit que Monsieur Populaire était capable de paniquer dans une telle situation, j’aurai tenté depuis longtemps de le shooté et le déposer sur un radeau. Bon ! Peut-être pas au milieu de l’océan. Mais au milieu d’une rivière ou d’un lac dans les environs de Nara. Ça ! ça aurait pu être drôle !
Mais si je mets la main sur ceux qui m’ont foutu dans cette mouise, ils vont passer un mauvais quart d’heure.

Sauf que pour l’heure, je crois que chercher le comment n’est pas la priorité.

Suivant le Coréen, je m’installe en tailleur, le laissant faire son « caca nerveux ». J’observe. Et malheureusement je dois bien admettre qu’il en sait autant que moi sur la situation. Ça ne fait pas mes affaires !
Après l’avoir remis à sa place, il consent un peu à se calmer. J’admets alors que ses questions ne sont pas dénuées de sens. Mais ce n’est pas comme si je ne me les étais pas déjà posées. Je soupire et attend qu’il aille au bout de ses réflexions. Je secoue négativement la tête pour lui dire que je n’ai pas d’informations.

Mais je ne peux m’empêcher d’avoir un petit sourire narquois lorsque Monsieur peau blanche se réfugie sous la toile. C’est ça de passer son temps dans une salle de danse à draguer tout ce qui bouge ! Même si je suis beaucoup en studio, mon teint est plus hâlé, et ma peau s’adapte au soleil. Sûrement un héritage génétique maternel ! Même s’il est évident que je ne vais pas résister de jours avec un tel soleil.

Et la question qui tue sort de la bouche de ce nabot !
Ouvrir la malle ? Autre chose que nos boxers ?

- A moins que tu aies des crochets ou un pied de biche à la place des mains, je ne vois pas comment ouvrir cette foutue malle cadenassée !

Je grogne, oui ! Je fais déjà un effort pour répondre sans l’envoyer chier, alors ne m’en demandez pas trop !

- Il n’y a rien sous la toile ? Tu prends toute la place, je n’ai pas pu vérifier !

Je me mets à 4 pattes et avance sous la tente de fortune. On étouffe là-dessous et je n’y vois rien. Et puis c’est le seul abri qu’on est, donc il peut bien le partager non ?

- Pousses toi un peu !

Aucun ménagement ! Je scrute. Bon ! Il n’y a vraiment rien d’autre que nous. On est mal barré.
Je soupire et me remet sur le cul, face à mon compagnon de fortune.

- On fait quoi ? Le seul souvenir que j’ai, c’est m’être pieuté seul après avoir réviser un cours. Je ne crois pas avoir été drogué. Je ne me sens pas nauséeux ou dans le coltar. Et toi ?

Soudain, un grondement sourd monte et le radeau est secoué. Je m’accroche comme je peux à une planche. On sent le mouvement. C’est quoi ce délire ? Un vent violent ? Un animal ? Mon regard voit une partie du ciel et de la mer. On bouge, c’est certain. Et très vite ! Mais comment et où va-t-on ?

Après avoir plus ou moins réussi à se calmer, Dae-Hyun avait entrepris de mener sa petite enquête auprès de Mathi pour savoir ce qu’il savait de plus que lui. C’était le musicien qui s’était réveillé le premier après tout. Mais non, la star se contenta de répondre à ses questions en secouant négativement la tête. Le Coréen sentit ses épaules s’affaisser alors qu’un profond soupir passait ses lèvres. Décidément, ils n’allaient pas pouvoir avancer avec si peu d’informations !

Et Dae-Hyun ne put vraiment pas s’empêcher de froncer les sourcils quand Mathi reprit la parole. Nan mais sérieux… Quel connard ce type ! Le Coréen avait été d’accord pour mettre ses rancœurs de côté et se calmer pour qu’ils aient une conversation normale et utile pour se sortir de là, mais non, Môssieur avait décidé de rester sur ses grands chevaux en lui balançant une nouvelle pique acerbe.

« Ça va, t’as le droit de te calmer hein… Je viens de me réveiller, tu l’étais avant moi, c’est normal que je te demande si t’as pas plus d’infos que moi ! Sérieux, si on est bloqué là, j’veux pas être le seul à faire un effort alors mets-y du tien. »

Dae-Hyun était rarement aussi sec quand il s’adressait à quelqu’un, mais rien n’y faisait, il ne supportait tout simplement pas ce type. Et en plus, c’était limite s’il ne lui marchait pas dessus pour regarder sous la tente ! Le Coréen grogna et le poussa pour qu’il se calme et lui laisse au moins le temps de sortir de là-dessous pour faire son inspection.

Mathi finit par ressortir et s’assoir, demandant à Dae-Hyun ce qu’ils allaient bien pouvoir faire. Le Coréen se frotta la nuque, restant en tailleur face à son camarade alors qu’un petit soupir franchissait ses lèvres.

« J’en sais rien… Le mieux serait de quand même réussir à trouver un endroit où accoster quoi. Qu’on puisse au moins essayer de trouver de quoi manger ou ouvrir cette malle. Après, je vois pas comment on aurait pu nous amener ici sans nous avoir drogué, j’ai pas le sommeil si lourd que ça et je dormais pas je crois. Mon dernier souvenir, c’était en boîte. »

Mais, à peine Dae-Hyun eut-il fini de parler qu’un bruit sourd se fit entendre. Leur radeau se mit à trembler violemment et le Coréen ne trouva rien de mieux, sous la panique, que de se jeter sur la malle pour faire le koala dessus. Il ne savait pas ce qu’il y avait dedans, mais si ça pouvait les sauver, elle ne devait absolument pas tomber à l’eau !

« Putain, mais c’est quoi ce bordel ? On avance ? »

Dae-Hyun était de nouveau paniqué en voyant la vitesse à laquelle ils bougeaient. Déglutissant difficilement, le Coréen inspira profondément et s’approcha du bord pour y plonger sa main, la sortant presque immédiatement. Bon, on ne la lui avait pas bouffé, c’était un bon début non ?

« On dirait qu’il y a un truc là-dessous ! Je… J’vais essayer de voir ce que c’est… »

Oh merde… À peine avait-il dit ça qu’il regrettait déjà. La vitesse venait de se réduire et Dae-Hyun décida de lâcher la malle pour se mettre en position seiza au bord du radeau, ses yeux émeraude fixant son reflet alors qu’il sentait tout son corps se crisper. Allez… S’il attendait que Mathi se bouge le fion pour faire avancer les choses, il finirait par mourir dessécher au soleil alors quitte à mourir… Autant que ce soit en essayant de sauver sa peau !

Priant il ne savait trop quels dieux, Dae-Hyun se lança et se pencha vivement en avant après avoir pris sa respiration, plongeant sa tête dans l’eau salée. Il savait qu’il allait regretter son geste, mais il n’avait pas ses lunettes de natation sur lui donc… Tant pis pour son si beau regard qui finirait totalement injecté de sang à cause du sel !

S’empressant d’ouvrir les yeux pour vite sortir sa tête de l’eau (toujours dans l’optique de ne pas se faire bouffer et pas parce qu’il finirait par manquer de souffle, parce qu’il avait une bonne apnée), Dae-Hyun grimaça et essaya de détailler au mieux ce qui se trouvait sous ce foutu radeau et…

Remontant immédiatement pour respirer, le Coréen se tourna aussitôt vers Mathi pour le fixer avec ses yeux ronds, qui le piquaient déjà.

« Tu vas pas le croire… Y’a une espèce de truc là-dessous ! Genre, le radeau est accroché dessus ! Ça fait un peu comme un drone mais version sous-marin qui nous entraîne ! J’suis pas forcément rassuré mais… Le mieux c’est d’attendre qu’il s’arrête non ? J’ai pas pu voir, mais j’ai pas tellement envie de m’amuser à nager là-dedans sans savoir ce qu’il y a de vivant sous nous. »

Fallait pas déconner non plus ! Dae-Hyun avait déjà eu le courage de plonger sa tête dans l’eau, c’était suffisant pour l’instant !

Le dialogue entre ce mec et moi est compliqué. On ne s’est jamais parlé à l’université, hormis par des regards dominants ou des sourires narquois, et à se toiser de loin le plus souvent. Mais clairement là, ça ne va pas être simple. Faire un effort ? Bof ! Il m’agresse à son réveil. Ce n’est pas vraiment un truc qui va me donner envie de faire un effort.
Bon d’accord la situation semble un peu… beaucoup… désespérée. Mais déjà je m’efforce de ne pas l’envoyer chier ou le jeter à l’eau. Un pas à la fois. Rome ne s’est pas construit en un jour !
Et la satisfaction qui m’envahit quand le petit populaire s’énerve est tellement jouissive que ça en valait la peine. Tout le monde le prend pour le calme personnifié, mais je vois clair dans son jeu. C’est juste une façade pour amadouer son monde.
Je ne peux m’empêcher de le regarder de mon air narquois et clownesque. Mais je ne réponds pas. Me calmer ? Faire un effort ? Bof ! On va y réfléchir. Je hausse les épaules et continue mon investigation de la tente de fortune, sans ménagement pour Dae-Hyun. Nada ! On est vraiment mal barré !

Mais je n’ai pas le temps d’aller plus loin dans nos interrogations. Le radeau se met à avancer comme un furieux.
Ok ! Là j’ai la pétoche ! C’est quoi ce délire ? Dites-moi qu’on est remorqué par un paquebot !
A contrario, Dae suppose qu’on est entraîné par un truc sous nos pieds. Vu quand sortant la tête de sous la toile, nous ne voyons toujours rien d’autres que la mer à perte de vue, le chiant a surement raison. Mais hors de question de lui dire. Je me mets à 4 pattes à sa suite, histoire de pas me retrouver à l’eau.
Je dois admettre qu’il n’a pas froid aux yeux. Le voilà qui plonge la tête pour voir en dessous.

Mais le regard qu’il m’affiche et ses propos me laissent stupéfait.

- Sérieux ?

Bon ok je suis du genre à vouloir le voir pour le croire, surtout quand ça vient d’une personne en qui je n’ai pas confiance. Je m’avance au bord, accroche mes mains aux planches et plonge la tête. Je la ressors rapidement encore plus sous le choc.

- Bordel de bordel de merde !

Je fixe mon compagnon de fortune d’un air hébété.

- C’est quoi ? Un jeu ? Une expérience ? Un châtiment ?

Questionnements de pure rhétorique. Mais ça sort tout seul. Je m’assois en soupirant.

- Oui, on n’a pas vraiment d’autres options que d’attendre. Je n’ai absolument pas l’âme d’un poisson en mer inconnue.

Alors on patiente. En silence. Je n’ai jamais aimé autant le silence qu’en l’instant.

Enfin bon ! Silence relatif, puisque le bruissement de houle et les clapotis contre le radeau vont surement me rendre dingue. Au bout de 5 minutes, je me mets à chanter. Au moins ça me détend.

Mais à peine ai-je fini la chanson qu’un gros bouillonnement apparaît à la surface.

- Merde ! C’est quoi ça ?

Affolé, je cherche du regard quelque chose pour nous défendre.

- Aide-moi ! Démontons la tente. Les deux poteaux nous serviront d’armes.

C’est vraiment une tente de fortune puisqu’en deux secondes on a récupéré les bâtons. Oui parce que ça ressemble plus à un bâton qu’on lance à un chien pour qu’il le ramène, plutôt que des poteaux.

Une sorte de bulle en acier sort du bouillonnement.

- T’avais raison. On dirait un sous-marin façon miniature d’exploration.

Mais la surprise n’était pas finie. Patientant, inquiets, nous voyons une porte s’ouvrir sur le dessus. Et là…

C’est un pingouin qui passe la tête et nous fait signe de son aile.
Je suis sidéré et tend le bras à Dae-Hyun.

- Pince-moi ! Tu vois un pingouin aussi ? Ou je suis dans un véritable délire ?

Et là j’ai l’impression de basculer dans un dessin-animé. Le pingouin saute et atterrit tout entier sur le dessus de la bulle. Mais il n’était pas seul : voilà qu’un toucan apparait à son tour et agit de la même manière que son acolyte. Je tombe assis sur le cul, complètement choqué. Un pingouin et un toucan, tout à fait le genre de bestioles qu’on trouve dans une mer tropicale ! Et encore plus dans un sous-marin !

- C’est pas possible ! Il n’y a rien de réel ! Hein ?

Je crois que je n’arrive pas à contrôler le tremblement dans ma voix. Peur ? Oui, toujours. Mais là je crois que j’ai surtout peur pour ma santé mentale que ma vie en soit.

Et la bulle avance vers nous, avec ces deux voyageurs qui continuent à nous faire signent comme si c’était normal de nous faire « coucou ». Quand l’engin accole le radeau, je ne peux m’empêcher de reculer sur les fesses. Reflexe de protection ! Soyons d’accord !

Le pingouin saute sur le radeau devant Dae, le toucan volète en deux coups d’aile devant moi.

– Salut !

Voilà que le pingouin parle !!
Je fixe mon partenaire de galère. J’ai la nausée. Je n’ose pas répondre. J’ai l’impression d’avoir perdu toute ma tête !

Dae-Hyun avait finalement réussi à prendre son courage à deux mains pour plonger sa tête dans l’eau et vérifier ce qui pouvait bien se trouver sous leur radeau pour les faire avancer à une telle vitesse. Quelle n’avait pas été sa surprise de constater qu’il s’agissait d’une espèce de drone sous-marin ! Le Coréen s’était empressé de sortir la tête de l’eau pour prévenir son camarade d’infortune mais… Il ne put s’empêcher d’afficher un air profondément blasé en voyant que Mathi se rapprochait de lui et du bord pour le constater par lui-même. Le brun se retint vraiment fort de lui foutre son pied au cul pour le pousser dans l’eau histoire qu’il puisse mieux vérifier ses dires, mais bon, il pouvait comprendre… Ça semblait tellement invraisemblable que ça demandait sans doute d’être vu de ses propres yeux.

Dae-Hyun se contenta d’hausser les épaules, ne sachant pas quoi répondre aux interrogations rhétoriques de Mathi, vraiment pas rassuré quant à la tournure que prenaient les événements. Le Coréen préférait attendre sagement que leur radeau arrête sa course folle pour savoir ce qui les attendrait ensuite. Le silence s’installa alors entre les deux étudiants, brisés par un Mathi qui se mit à chanter. Dae-Hyun était de plus en plus exaspéré par son comportement qui le stressait plus qu’il ne le détendait. Mais tout s’arrêta subitement alors qu’un bouillonnement se formait dans l’eau face à eux. Le Coréen sentit son corps faire un mouvement de recul, par instinct de survie sans doute, son regard émeraude paniqué fixant ces grosses bulles en se demandant ce qui allait bien pouvoir en sortir.

Dae-Hyun fut alors tiré de sa contemplation par un Mathi sans doute aussi paniqué que lui qui lui ordonnait de l’aider à démonter la tente pour se servir des supports en bois pour se défendre. Dans une autre situation, le Coréen l’aurait sans doute envoyé bouler mais là… Instinct de survie ! Il se saisit donc sans grand ménagement d’un des bouts de bois, le brandissant devant lui tel un Jedi, prêt à affronter le kraken qui allait sans doute surgir des mers. Mais non, ce fut finalement le bout d’un sous-marin qui émergea devant les étudiants. La peur de Dae-Hyun l’empêcha de nouveau de répondre à Mathi que, forcément, il avait raison, se contentant de fixer cette bulle d’acier pour voir ce qui allait finalement en sortir. Sans doute l’instigateur de cette vaste blague… Ou pas !

Un… Pingouin ? Dae-Hyun resta interdit en le fixant les saluer de son aile, ne calculant même pas Mathi et préférant se pincer lui-même pour être sûr qu’il ne rêvait pas, se frottant ensuite les yeux et se donnant de petites claques sur les joues. Sauf que ce ne fut pas très concluant, la bestiole se trouvant toujours devant ses yeux.

« On nous a drogués… C’est vraiment pas possible autrement… »

Le Coréen eut le même mouvement de recul que Mathi, se glissant jusqu’au bord du radeau opposé à ce sous-marin aux allures d’Arche de Noé qui les accostait. Son regard émeraude fixa le Pingouin qui venait clairement de les saluer. Okay, c’était complètement invraisemblable cette histoire et ça commençait doucement à agacer Dae-Hyun. Il voulait rentrer bordel ! Il se rapprocha donc du Pingouin, plantant son visage juste devant son bec pour le fixer de son regard suspicieux. Il avait l’air d’être bien réel… Le Coréen tendit donc sa main pour appuyer son index sur le sommet de la petite tête de l’animal avant de se mettre à grimacer. Il l’avait touché ! Pour de bon !

« Euh… Salut ? Dites… Vous savez où on est ? Est-ce que vous pourriez nous ramener au Japon avec votre… sous-marin ? »

Bah quoi ? Le Pingouin semblait réel et il leur avait parlé dans une langue parfaitement intelligible alors autant leur demander un coup de main non ? Ils n’avaient pas l’air méchant mais…

« Euh… Vous êtes de vrais animaux ? Enfin… Vous mangez pas d’humains hein ? »

Sérieux… Comme s’ils allaient lui répondre si c’était vraiment le cas… La panique faisait vraiment faire n’importe quoi à Dae-Hyun !

J’ai une tête d’ahuri, sans aucun doute ! Mais cette histoire est complètement hallucinante. Déjà d’être sur ce radeau, mais les dernières minutes sont hors du temps. Comment un pingouin et un toucan peuvent conduire un sous-marin et parler ?
S’il y a quelqu’un là-haut pour me répondre, ça serait bien le moment de se manifester !

Téméraire mais pas fou ! Quand les bestioles s’avancent vers nous, je recule au fond du radeau, et mon compagnon de fortune n’est pas plus franc que moi sur ce coup-là. Il confirme même mes doutes :  on a forcément été drogué !

Quand le pingouin s’agite et s’approche pour nous parler, je suis bouche-bée. Je crois que mon cerveau a fait « PLOP ». C’est trop d’un coup pour un mec comme moi, très pragmatique…
Mais voilà que Dae-machin-chouette se met à répondre au pingouin. Enfin non, il le questionne. Côté pragmatisme, je vois qu’il a un bon taux aussi. Mais au moins j’admets qu’il a le courage de lui parler.

Voyant que le pingouin ne semble pas agressif, je m’approche aussi. L’air circonspect, j’avance un doigt avec prudence.

Je touche l’oiseau.

Une fois.

Deux fois.
Il semble bien réel…

Une troisième et je pose ma main en entier.

Sauf que la dernière question de Dae-petitcon, me frappe de plein fouet. Je n’y ai pas pensé. Comment ne n’ai pas pensé à ça ??????
Je retire fissa ma main et retourne au fond du radeau, tant que je n’ai pas de réponse qui me convienne de cette bande à plumes !

Mais voilà que les deux volatiles battent des ailes en restant sur place, et émettent des drôles de petits sons.

Je regarde Dae-prout.

- Ils se moquent de nous là, non ?

Je fronce les sourcils. Je n’aime pas ça. Il ne faut pas pousser le bouchon trop loin. Je ne suis pas homme à me laisser mener par le bout du nez ! Surtout par deux petits êtres plein de poils !

- Hé Ho ! On sait se défendre ! Alors arrêtez vos moqueries ou je vous fais avaler vos plumes !

Diplomatie ? Je ne connais pas. Pas quand je suis inquiet et énervé.

Le toucan vole et atterri sur mes genoux. OK ! OK ! Je ne bouge plus ! Je sens ses serres griffer mes cuisses. Panique… Non ! Non ! Garder mon calme. Montrer de l’assurance. Ne pas me laisser intimider.

- Petit Malin, tu es ! Grand Idiot, tu seras !

OK ! Un Toucan-Yoda ! Bien ma veine ! Je déteste les donneurs de leçon !
Je grimace et évite de répondre. Le toucan descend de ma cuisse et je laisse échapper un soupir. Il me contourne et de son bec trifouille mes cheveux. Je ne bouge pas d’un poil. Il va me manger ? Finalement le coréen a peut-être, vraiment, bien fait de poser cette question.

Le pingouin se rapproche de Dae-machinchose et tapote sa cuisse.

- Nous ne sommes pas mangeurs d’homme. Je n’aime que le poisson. Et mon ami des fruits et graines. Nous sommes de vrais animaux !

Il dodeline de la tête passant son regard de Dae-truc à moi alternativement.

- Ce n’est pas amusant ce petit séjour sur le radeau ?

- Disons qu’on a une vie à poursuivre au Japon, et que mourir cramé ou de faim sur un radeau, n’est pas vraiment ce que j’envisageais de ma vie.

Oui, mon sarcasme n’a d’égal que la « proutprouterie » de Dae-bidule !

- Petit Malin a pas envie d’être ami de Petit Curieux ?, intervient le Toucan en me tapant pas fort de son bec ma pauvre tête.

J’hallucine ! Et je me décale sur le côté, histoire de mettre un peu distance avec ce bec.

- Quoi ? C’est ça l’objectif de cette vaste blague ?

Je regarde Dae, perplexe et dubitatif. Bon, il est évident que le coréen en sait autant que moi et qu’il n’est pas dans la combine.

Le pingouin touche le nez de mon acolyte du bout de son aile et demande.

- Et toi, Petit Curieux tu n’as pas envie d’être ami de ce Petit Malin ?

Quand les deux oiseaux s’étaient mis à agiter leurs ailes à sa question, Dae-Hyun se figea, les fixant d’un air terrorisé. C’était la fin, il allait se faire bouffer par un pingouin… C’était pas du tout ce qu’il s’était imaginé, bien loin de la mort paisible qui l’aurait emporté d’ici de nombreuses années après avoir vécu une vie qui ne lui aurait laissé qu’un minimum de regrets. Le Coréen sentit alors tout son corps se crisper et ses yeux se fermer aussi fort que possible, espérant que ça rendrait sa mort moins douloureuse, mais… Rien. Ils n’attaquèrent pas et Mathi brisa le silence en les menaçant. Dae-Hyun se tourna vivement vers lui, lui lançant un regard désespéré qui voulait clairement dire « mais t’es con ou quoi ? ». Mais merde ! Si la star voulait mourir, qu’il le fasse dans son coin sans l’embarquer contre son gré ! Dae-Hyun ne voulait pas se battre, ce n’était pas son genre de toute façon. Lui, il voulait juste trouver un moyen de rentrer chez lui pour retrouver sa boule de poils.

Mais, finalement, l’air désespéré de Dae-Hyun laissa place à un sourire moqueur quand le toucan vint se poser sur les cuisses de son camarade qui faisait tout de suite bien moins le malin. Ah bah voilà, c’était bien la peine de la ramener si c’était pour s’écraser juste après, à la moindre petite menace contre sa personne ! « Grand idiot »… Le Coréen lâcha un petit ricanement avant de se stopper net en sentant l’aile du pingouin toucher sa cuisse. Le Coréen poussa un soupir de soulagement à cet aveu, se sentant soudainement bien moins tendu. Ils ne mangeaient pas d’humains, tant mieux ! S’ensuivit alors un discours pour le moins improbable qui laissa Dae-Hyun perplexe, son regard émeraude s’arrêtant sur chacun des protagonistes, tour à tour. Il fut soudainement tiré de ses pensées par le pingouin qui lui toucha le nez, le faisant grogner un peu alors qu’il se le frottait, toujours aussi perplexe, avant de tout simplement éclater d’un rire franc à la question qu’on lui posa.

« Devenir ami avec lui ? Comment je pourrais devenir ami avec quelqu’un qui s’est servi d’une amie à moi et qui lui a fait du mal ? Je pense que vous perdez votre temps si toute cette machination a pour but de nous faire nous entendre l’un avec l’autre. On n’a pas du tout la même façon de voir les choses. »

D’ailleurs… Pourquoi est-ce que Mathi semblait autant le détester ? Il n’avait rien fait de mal pourtant… Tournant son visage vers la star de la musique, Dae-Hyun lui offrit un sourire et un regard pleins de dédain.

« D’ailleurs, c’est quoi ton problème avec moi ? Non parce que j’ai quand même de bonnes raisons de pas t’apprécier, mais je crois pas avoir fait quoi que ce soit contre toi, même si tu le méritais. Se servir des gens comme ça, simplement pour ta popularité… C’est répugnant. »

Wow, wow, wow ! Dae-Hyun parlait vraiment sans filtres ! Comme quoi, il avait réussi à vraiment s’attacher à Mandy, malgré ce qu’il voulait bien se faire croire. Elle avait été profondément malheureuse à cause de lui alors… Comment est-ce qu’il était censé lui pardonner ? L’heure était sans doute venue de régler leurs comptes et de mettre enfin les choses à plat…

On ne peut pas dire que je sois en position de négocier quoique ce soit face à ces drôles d’oiseaux. N’empêche : on ne manipule pas Mathi aussi facilement. J’avais besoin d’en avoir le cœur net. Les toucher rend les choses réels. Le regard de mon compagnon « forcé » de fortune me laisse de glace. Je me fous royalement que son estime de moi descende plus bas encore. Elle peut bien creuser le niveau sous terre, ça ne m’importe pas. Par contre que ces oiseaux nous sortent de ce guêpier, ça c’est sérieux !
Mais la suite de la conversation me laisse perplexe. Limite c’est de la colère qui s’exprime en moi. Et entendre le coréen ricaner quand le toucan me laboure les cuisses ne fait rien pour m’apaiser. Mais je ne suis pas suicidaire. Je grince des dents, mais ne bronche pas tant le long bec ne dégage pas de sur moi.

La suite de la scène reste pour le moins surréaliste. Comment en est-on arrivé à des questions sur ma relation avec ce gars. Relation ? Non-relation. Antagonisme. Serait plus juste !
A part nous toiser du regard dans les couloirs, il n’y a rien à tirer de ce mec !

Mais le discours de Dae me fait bondir. Je serre les poings, le fusille du regard. Rien à foutre de ces volatiles, c’est dans les plumes de ce mec que je vais voler.

- Parce que devenir ami avec un mec qui se tape la copine d’un autre sous ses yeux, c’est plus valorisant ! Tu n’es qu’un hypocrite, mec ! Mandy utilisait ma notoriété autant que moi l’image de notre couple pour avoir la paix. Et comme un con, je m’étais attaché à elle…

Quoi ? Non ! Je n’ai pas dit ça.
Putain de Bordel ! Ce Dae me fait sortir de mes gonds et la colère n’est pas bonne conseillère.

- Mon problème c’est ta façon de me regarder de haut depuis mon arrivée. J’y peux rien, moi, si les nanas me courent après. Désolé, d’avoir cassé ton harem ! Tu ne me connais pas du tout, mais tu juges gratuitement. Rien que ton discours en est la preuve. La dernière de mes préoccupations est bien ma popularité ! Et si tu étais si « ami » avec Mandy, elle a bien du te le dire ! Je n’en ai strictement rien à foutre ! Elle et moi c’était un deal. Deal qui ne se reproduira plus jamais. Je suis très loin de tes faux semblants. Toi qui ne cesses de te pavaner et d’être mielleux à souhait avec tout le monde, juste pour qu’on s’intéresse à toi.

Je déclare les hostilités ouvertes. Les « prouprouteries » de ce guignol sont devenues des attaques personnelles. Comment peut-il me juger gratuitement sans me connaitre ? Sans même avoir une seule fois cherche à me connaitre ?

Quoi ? Je n’ai pas fait mieux ? Pourquoi je ferai un effort ?

Je fulmine, mais décide que je ne me détruirai pas les mains pour ce pauvre con. Mes mains sont trop précieuses pour s’abimer contre lui. Je m’éloigne en me rendant à l’angle opposé de ce coréen. Je m’assois en tailleur, face à la mer. Je dois me calmer où je suis capable de plonger et aller nager le plus loin possible de cet endroit. Quitte à mourir, autant être en meilleur compagnie. Un requin ne sera pas pire que Dae, non ?
Je ferme les yeux, inspire et expire plusieurs fois pour faire baisser la tension, mes veines pulsent.
Mes mains glissent sur mes cuisses, et se mettent à pianoter une mélodie qui me fait toujours du bien.

Dae-Hyun ne pensait pas une seconde que la situation dériverait autant que ce radeau sur l’océan. D’un point de départ surréaliste, voilà qu’ils en venaient à régler leurs comptes devant un toucan et un pingouin qui parlaient… Non, c’était presque cette discussion qui semblait le plus surréaliste ! Pourquoi est-ce qu’ils ne pouvaient pas juste tout faire pour rentrer ? Mais au final… Ce n’était peut-être pas plus mal ? Tous ces non-dits entre eux… Non, tout devait éclater au grand jour. Et entendre Mathi lui répliquer qu’il se tapait la copine d’un autre sous ses yeux eut le don de faire pouffer le Coréen.

« Sérieux ? Tu parles de Mandy là ? Non parce que déjà, de base, vous n’étiez pas vraiment en couple, mais en plus, je ne me la suis jamais « tapée ». T’as du mal à concevoir qu’un mec et une fille puissent être simplement amis ? Ou alors t’étais juste jaloux de la relation que j’avais avec elle parce qu’elle était sans doute plus sincère ? Je m’inquiétais juste pour elle parce que j’avais peur que ce genre de relation factice puisse lui faire du mal. »

Dae-Hyun avait décidé de ne pas rebondir sur la fin de ses mots. Est-ce qu’il s’était vraiment attaché à Mandy comme il semblait si bien le dire ? Ou est-ce que c’était juste pour le faire se sentir coupable ? Mais le Coréen ne se sentait pas coupable. Si Mathi avait souffert, c’était sa faute. C’était en partie lui qui avait voulu de cette relation sordide après tout !

Et la suite des mots de la star firent soupirer profondément Dae-Hyun. Il ne se prenait vraiment pas pour de la merde, c’était dingue ! Comment pouvait-il penser une seule seconde que le Coréen était du genre à courir après la popularité ou à jalouser un type comme lui ?

« Okay, alors je crois que je peux te retourner ton « tu me juges sans me connaître ». Je ne pense pas t’avoir jamais regardé de haut, star ou pas. Le seul problème que j’ai avec toi, c’est cette histoire avec Mandy parce que je tenais à elle et qu’elle a souffert de cette relation. Pour le reste, tu peux bien te taper qui tu veux, avoir toutes les filles que tu veux à tes pieds, détruire mon « harem » comme tu le dis, mais je m’en fous royalement. Je ne cherche pas à être populaire contrairement à ce que tu penses. Moi, je suis sincère avec les gens. »

Dae-Hyun avait certes peur de la solitude, mais jamais il n’avait menti ou joué un rôle pour faire tomber quelqu’un dans ses filets. S’il voulait passer la nuit avec quelqu’un, il draguait sans aucun faux semblant. Mais la plupart du temps, quand il parlait avec des gens, il ne faisait qu’être lui-même. Alors comment quelqu’un comme Mathi pouvait lui donner des leçons, sérieusement ? C’était vraiment l’hôpital qui se foutait de la charité !

Dae-Hyun soupira et se frotta énergiquement les cheveux. Cette discussion ne mènerait jamais nulle part…

« Okay, j’avoue que je t’ai jugé sans avoir cherché à te connaître, mais merde… Mets-toi à ma place ! T’imagines si une fille à qui tu tenais se retrouvait à la place de Mandy ? Je savais que ça finirait mal cette histoire, je ne sais pas si c’est ta faute ou la sienne, mais c’était de Mandy que j’étais proche, pas de toi. C’est normal de vouloir prendre la défense des gens qu’on aime. »

La colère explose mes nerfs. Je crache ce que j’ai sur le cœur pour finir par essayer une séance de respiration afin de descendre ma tension et mon rythme cardiaque. J’écoute Dae répondre, mais j’essaye de rester détaché. Mes poings se serrent. J’ai envie de défoncer le monde entier. Mais ça ne servirait à rien. Mandy est partie. Je suis perdu sur un radeau, perdu au milieu de nulle part. Même si la compagnie laisse à désirer, je n’ai pas d’autres choix que de faire avec. Je peux être impulsif, mais je suis surtout intelligent. Je n’aime juste PAS DU TOUT les relations conflictuelles. J’ai eu ma dose toute mon enfance et adolescence.

- C’est Mandy qui est partie du jour au lendemain, sans même me donner d’explications réelles. Elle n’est que faux semblant. La vraie jeune femme que je percevais semble avoir décidé de s’enterrer à jamais. La force que je lisais en elle, elle l’a utilisé pour fuir la vie, pour me fuir alors que tout se passait bien, alors que je commençais à espérer que toutes mes relations n’étaient pas vouées à l’échec. Et je te parle de relations amicales pour la plupart. Je la croyais mon amie aussi, même plus que ça. En quelques mois, elle en a appris plus sur moi que n’importe qui. Je ne suis peut-être pas très expansif sur moi-même, en dehors de mes compositions, mais je ne suis pas faux. Je t’accorde que les filles ne sont qu’un jeu la majorité du temps, mais jamais à leur insu. Pour te dire ! Je n’ai jamais couché avec Mandy. Je lui ai confié mon âme, elle a vu Hiro, elle a épluché Mathi, elle a lu en moi tout ce que je cache pour ne jamais plus souffrir. Et elle a tout piétiné sans état d’âme !

Merde ! Voilà que je chouine comme une gamine. Ça ne va plus du tout !
Ma voix est devenue faible, émue. Mes yeux s’humidifient. Mon regard fixe mes pieds-nus. Mes lèvres tremblent. Ma colère bout dans chacune de mes cellules. J’essaye de me contrôler, car si je vais plus loin. Je vais lui dire à quel point j’ai mal, à quel point je me sens minable en amitié, à quel point je me sens seul et inutile pour les autres. Et ça c’est une facette que je refuse de montrer au monde, encore moins à un mec qui m’agace depuis le premier jour !
Bon OK, il n’est peut-être pas si hautain et mesquin que je ne le pense. Et ses dernières paroles font échos en moi.

- Moi aussi je m’inquiétais de la voir se lier à toi. Oui l’amitié fille/mec, je n’y crois plus. La vie m’a prouvé maintes fois qu’il y a toujours des sentiments non avoués, des manipulations ou des attentes qui ne sont pas amicales. Ma notoriété, je m’en sers sur certains plans comme draguer une nana. Mais ce n’est pas pour ça que ça n’est pas un fardeau, la majorité du temps. J’ai juste appris à prendre les bonnes choses qui surgissent dans ma vie, le temps qu’elles sont positives.

J’ai juste de plus en plus de mal à encaisser les déboires. Tout ceux à qui je me suis lié dans cette académie m’ont tous lâché un par un. Départ du jour au lendemain, sans même un véritable adieu. Mes meilleurs potes ont essayé de me rassurer à Noël. J’avoue que notre amitié dure depuis plus de dix ans. Mais il semble que je sois incapable de me lier sur la longueur avec de nouveau ami.

Ouh là là ! Je frise la dépression là !
Déchéance ! Ressaisis-toi ! Je relève la tête et hallucine.
Plus de pingouin. Plus de toucan. Plus de sous-marin. Plus de mer.
Nous sommes assis sur un plancher de scène.

- Heu… C’est quoi ce délire ?

En plus, on est toujours aussi peu vêtu. Regardant de toute part, je me mets à genoux pour mieux faire un tour à 360°. La scène est libre de tout accessoire. Il y a juste une toile bleue en fond de scène, à l’instar de ces écrans bleus de la météo. Et un piano d’un blanc immaculé. Les gradins sont vides. Le plafond et les murs de la pièce me font penser à un théâtre. C’est une petite pièce, du genre 1000 à 1500 spectateurs. Je ne la connais pas du tout. Pas la moindre idée d’où on est.

- Tu connais cet endroit ? On est au Japon ?

Au vu des décors muraux, j’aurai tendance à y croire. Mais c’est tellement n’importe quoi ces dernières minutes que je ne serais pas étonné qu’on soit sur une autre planète.

Dae-Hyun était vraiment amer de voir Mathi autant dénigrer la Mandy qu’il appréciait. Un lien avait commencé à se tisser entre lui et la mannequin, et le Coréen avait toujours pensé que son départ avait été causé par cette histoire avec le musicien, parce que Mandy n’avait clairement pas été dans son assiette les derniers jours qu’elle avait passés à Nara. Forcément, quand on aimait quelqu’un, on avait toujours tendance à prendre son parti et c’était sans doute pour ça que Dae-Hyun avait toujours ressenti une pointe de haine à l’égard de Mathi. Mais en le voyant dans un tel état, se contrôlant pour ne pas éclater en sanglots, le Coréen dut bien avouer que les torts avaient l’air d’être partagés dans cette histoire. Il ne connaissait rien du chanteur, de son passé, de son présent, il ne comprenait même pas qui était ce Hiro dont il parlait, mais il semblait vraiment sincère en disant que Mandy lui avait fait du mal. C’était son genre d’écraser les autres, c’était vrai, mais Dae-Hyun avait toujours pensé que c’était lui le fautif. Du coup, ça lui donnait mal au cœur d’imaginer qu’il s’était sans doute trompé sur toute la ligne à cause de ce qu’il ressentait pour Mandy.

« Écoute, j’suis désolé… Comme je le disais, je me suis toujours rangé du côté de Mandy parce que je l’apprécie et que je ne te connais pas du tout, mais t’as l’air vraiment sincère en disant qu’elle t’a fait du mal. Je sais pas ce qu’il a pu se passer entre vous, et je veux pas le savoir parce que ça me regarde pas, mais j’suis désolé qu’elle ait pu te faire autant de mal et d’avoir été aussi convaincu que tout avait mal tourné uniquement à cause de toi. »

Voilà, Dae-Hyun venait de faire un immense pas vers Mathi en s’excusant. Et il était sincère. Même s’il ne voulait pas les détails de cette relation, savoir le vrai du faux, il acceptait que Mathi ait souffert et que les torts aient pu être partagés. Ce n’était pas la peine de le détester aussi sincèrement maintenant qu’il avait vu et entendu tout ça. Par contre, Dae-Hyun n’avait pas pu s’empêcher de pouffer un peu, sans doute pour détendre un peu cette atmosphère super gênante qui s’était installée entre eux, quand Mathi lui confia qu’il n’avait jamais couché avec Mandy.

« C’est marrant, mais ça ne m’étonne même pas… Elle n’était pas du genre à apprécier les contacts physiques et j’ai déjà été grandement surpris de vous voir vous embrasser. Mais j’imagine que ça faisait partie de votre mise en scène… En tout cas, on est tous les deux dans le même bateau, sans mauvais jeu de mots : on a tous les deux perdu une personne à qui on tenait alors… On fait la paix le temps qu’on arrive à se sortir de ce merdier ? »

Dae-Hyun s’approcha de Mathi et lui tendit une main amicale. Son visage restait étrangement impassible comparé à celui qu’il affichait habituellement, sans doute parce que ça allait lui prendre du temps de vraiment assimiler le fait qu’il n’avait rien à reprocher la star finalement, mais on pouvait quand même voir un petit sourire étirer ses lèvres histoire de montrer sa sincérité à son vis-à-vis.

Mais à peine eut-il fini de parler que le décor changea radicalement, laissant le bras de Dae-Hyun retomber lourdement contre son corps.

« Aucune idée… Mais je trouve ça quand même vachement plus rassurant que d’être perdu au beau milieu de l’océan avec des oiseaux qui parlent… »

Frottant ses bras avec ses mains, ayant soudainement un peu froid maintenant que le soleil ne réchauffait plus sa peau de ses rayons, Dae-Hyun commença à marcher sur cette grande scène, regardant partout autour de lui. Le Coréen s’approcha du piano et l’ouvrit pour regarder à l’intérieur, mais il n’y avait rien d’étrange. Le contournant, il fit glisser ses doigts sur les touches blanches et noires, le bruit se mettant aussitôt à résonner bruyamment dans toute la pièce pendant que l’espèce de toile bleue derrière eux semblait afficher des trucs étranges, comme des vibrations à la surface de l’eau. Plissant les yeux, Dae-Hyun fit signe à Mathi d’approcher.

« C’est toi le musicien, essaie de jouer un truc pour voir, on dirait que la toile réagit à la musique. »

Ou comment refiler le bébé l’air de rien ! Et comme sa curiosité avait été piquée, Dae-Hyun en avait profité pour enchaîner avec une autre question.

« Au fait, c’est qui ce Hiro dont tu parlais ? »

Comment en suis-je arrivé à me confier à ce mec ? Il y a des sujets que j’évite toujours, des aveux que je contourne habilement pour ne pas les approfondir. Pourtant là je mets les pieds dans le plat. Dae m’a énervé (oui Dae c’est mieux, c’est court et plus simple à prononcer), donc il m’a énervé et au lieu de me fermer comme une huitre ou partir sur une petite remarque comique pour changer de sujet, je déballe ma rancœur et mes déceptions. Il faut dire que je n’ai parlé avec personne du départ subit de Mandy, de son changement d’attitude, de mon sentiment d’abandon. Et puis c’est aussi à cause ce lieu, cette atmosphère, ces étranges oiseaux de malheurs, cette histoire improbable…

Finalement je me sens presque soulagé quand Dae m’accorde que je ne mens pas. Et aussi soulagé qu’il ne veuille pas approfondir les raisons de mon désarroi.
Je ne peux pas m’empêcher de sourire quand il évoque les contacts physiques et nos baisers. S’il savait que je l’ai vu nu, il ferait sûrement une crise d’apoplexie ! En tout cas, ce jour-là Mandy en n’était pas loin !

Mais mes lèvres passent du sourire à un étonnement sincère. Dae vient vers voir en me tendant la main comme un acte de paix. Mais j’étais encore loin d’être pleinement surprise.
Voilà que le décor a changé subitement. J’en suis sonné ! On passe d’un océan perdu au milieu de nulle part, à une scène avec des gradins vides et un piano.
OK. C’est nettement moins flippant ! Mais tout de même.

- Je t’accorde que je préfère cet endroit. En espérant qu’aucun tueur ne se cache dans l’arrière scène. Je n’ai pas du tout envie de faire un remake de « massacre à la tronçonneuse » !

Dae me semble être un curieux patenté. Il s’avance sur la scène, alors que perso, je joue la prudence. En me relevant, je tourne sur moi-même et observe, scrute. Mais je ne vois rien de rien qui m’indique une présence ou un indice sur ces lieux.
Je sursaute quand des notes résonnent. Dae a les doigts sur le piano et m’interpelle. Mon regard noir ne laisse aucun doute que je ne suis pas dupe de son manège. Il a vu un truc étrange et c’est moi qui vais au charbon !

Je hausse les épaules et de bonne grâce le rejoint pour m’assoir sur le banc. Je frissonne un peu. Une salle vide n’est pas le lieu le plus chaud que je connaisse, surtout après avoir passé un moment à cuire au soleil.

Je commence à jouer quelques notes de « Someone Like You » de la chanteuse Adèle, testant l’accord du piano. Mais ma main ripe. La question de Dae vient de me percuter de plein fouet. Comment ai-je pu être aussi perdu pour parler de moi autant en profondeur ? Ça me dépasse. Je n’avais pas conscience que ce que j’ai vécu avec Mandy m’affectait encore autant. Et que ce mec me questionne sur H., je n’aime pas ça du tout.
Bon d’accord j’admet que mon discours n’était pas clair pour qui ne connait pas mon état civil et mon histoire. Mais est-ce que j’ai vraiment envie de m’étendre sur mes états d’âme plus encore avec lui ? Pas vraiment, je pense !
C’est donc la gorge nouée que je réponds, mon ton étant sec mais à la limite du murmure.

- C’est moi. Mon prénom devant les officiels de l’état civil !

Les yeux rivés sur mes mains, je me reconcentre. Prenant une belle inspiration, je recommence la chanson cette fois avec l’idée que je ne me laisserais pas perturbé. Jouer me détend aussitôt et mon regard est vite captiver par le rideau qui se met à bouger au rythme de la musique.
Soudain il prend son envol et vient nous envelopper. Il change de couleur et devient tout blanc. Je me débats, mais je n’arrive pas à le chasser. Le plus bizarre c’est que le piano continue à jouer seul la chanson alors que mes mains repoussent ce voile blanc qui m’embrume de plus en plus.
Tout se bouscule en moi. Ces émotions remontées à la surface ont raison de mon self-control.

- Au secours ! Aidez-nous !

Le drap m’étouffe. Mes bras sont de plus en plus coincés. Je n’arrive plus à me défendre. J’ai perdu de vue mon acolyte de galère. Mais je me sens tellement démuni que mes pensées reviennent vite à ma pauvre survie.
Mon front perle de sueur. Je frissonne. J’ai froid. J’entend des grondements et clapotements. Le tonnerre ? La pluie ? Insensé ! J’ai mal dans la poitrine. Je n’arrive plus à respirer. Le rideau se colle contre ma bouche. Je hurle comme je peux, mais avec cette impression horrible que mes cris ne parviennent à personne. Pour me sortir de là, j’en appelle au seul être qui compte plus que tout pour moi. Oui ça n’a rien de rationnel, mais je fais ce que je peux dans la panique !

- MAMAN !!

J’ouvre les yeux. Je mets quelques secondes à percuter où je me trouve. Tête à droite. Tête à gauche. J’écarquille les yeux. Je bondis et me mets sur les genoux.
Aucun doute je suis dans ma chambre sur mon lit. Bon : la tête aux pieds, le drap entortillé autour de mes bras et la couette et les oreillers arrivés au bout de la pièce.

Un flash lumineux. Je sursaute.
Le grondement tonitruant de l’orage retentit.

- Bordel ! Mais c’était quoi ce… Rêve ? Cauchemar plutôt !

Je passe ma main sur mon visage. Etirer mes traits. Ouvrir les yeux. Chasser les mirages qui voilent encore mes pupilles.
Bon dieu ! J’ai besoin d’un litron de café !
Je me lève et le rétame en beauté sur le parquet, empêtré dans mon drap.
OK ! Ça va être une dure et longue journée ! Rien qu’à l’idée que je risque de croiser ce Dae-machin chose dans les couloirs de l’université, j’ai la nausée !
Une fois debout, je file chercher mon café. J’appelle la boulangerie du coin de la rue pour qu’ils me livrent de quoi grignoter. Puis je préviens le secrétariat de l’univ pour annoncer ma soudaine poussée de fièvre imaginaire et mon absence pour un ou deux jours. Composer au calme ! C’est ça dont j’ai besoin. Pas d’écouter des profs me sortir leur barater et m’ennuyer à mourir. Encore moins croiser ce Dae et l’imaginer en boxer sur un radeau avec un pingouin pour meilleur pote !

Après s’être finalement approché de Mathi afin de lui tendre la main en signe d’acte de paix, voilà que le décor changeait à nouveau. Les deux étudiants se retrouvaient à présent projetés dans une grande salle ressemblant à un théâtre. Dae-Hyun ne put s’empêcher de pouffer doucement en entendant Mathi parler de « Massacre à la tronçonneuse ». Malgré son petit amusement face à cette réplique, le Coréen avait aussi senti un long frisson lui parcourir l’échine à l’idée qu’un fou furieux déboule soudainement pour les pourchasser avec une arme à la main… Non, il valait mieux ne pas y penser, tout allait bien se passer… Ils n’étaient plus en haute mer et… Ils trouveraient bien un truc pour se défendre au cas où non ?

Quoi qu’il en soit, puisque ce piano était en plein milieu de la scène, autant aller y jeter un œil non ? Dae-Hyun laissa ses doigts glisser sur les touches avant de constater avec une certaine surprise que la toile derrière eux semblait réagir à la musique. Bon bah, puisque c’était Mathi le musicien, il n’avait plus qu’à se mettre au boulot ! Une douce mélodie savamment interprétée aurait sans doute plus d’impact sur cette toile qu’un truc joué absolument au pif par le Coréen qui n’avait jamais vraiment fait de musique en dehors des cours obligatoires à l’école qui vous collaient une flûte à bec dans les mains.

À la question de Dae-Hyun quant à ce Hiro mystère, Mathi s’arrêta de jouer, ce qui intrigua le Coréen qui arqua un sourcil avant de plisser les yeux. Non, décidément, il ne comprenait pas ce type. Il ne savait rien de lui en même temps et son histoire ne l’intéressait pas de toute façon. Mais une chose était sûre, il semblait plus à l’aise avec son nom de scène qu’avec son véritable prénom. Le Coréen haussa une épaule, pas non plus décidé à approfondir le sujet. Tout ce qui l’importait, c’était de se tirer d’ici et de retrouver son petit confort à Nara.

« Je vois. »

Qu’est-ce qu’il était censé dire de plus de toute façon ? Mathi n’avait pas l’air de vouloir en parler, alors… D’ailleurs, ce dernier se remit à jouer sérieusement, Dae-Hyun préférant garder son regard braqué sur la toile qui finit par se détacher soudainement pour venir les envoler avec la douceur d’un drap. Le Coréen resta interdit quelques secondes, se demandant ce qu’il se passait, mais quand il sentit l’étreinte de ce tissu se faire plus oppressante sur lui, il commença à paniquer de nouveau. Dae-Hyun se débattit de toutes ses forces, appelant Mathi pour essayer de voir s’il était toujours dans le coin et toujours conscient. Le Coréen avait l’impression que plus il luttait, plus l’étreinte se renforçait. Mais il ne voulait pas lâcher l’affaire, il voulait sortir de là, il voulait retrouver son chat, son appartement, sa vie à Nara et… son père. Il eut l’impression que son cœur s’arrêtait subitement alors qu’il chutait dans un puit sans fond. Il ne voyait plus rien à cause de ce drap sur ses yeux, et il n’entendait plus rien d’autre que la pluie et le tonnerre.

Et alors que ses forces semblaient l’abandonner, un flash déchira le ciel et un fort grondement retentit bruyamment presque à sa suite. Dae-Hyun ouvrit les yeux et se redressa d’un coup, restant assis sur son lit à fixer le mur devant lui, l’air perdu. Sa respiration était beaucoup trop saccadée et il sentait qu’il n’allait pas réussir à se calmer. Fort heureusement pour lui, Geurimbut avait entendu toute l’agitation de son maître (et il avait aussi voulu chercher du réconfort pour affronter ce mauvais temps qui l’angoissait). Le chat grimpa sur le lit, marchant sur les jambes de Dae-Hyun avant de s’étirer pour poser ses pattes sur son torse et venir frotter sa tête contre le menton du danseur. Ce contact fit enfin sortir le Coréen de ses pensées. Il passa une main sur son visage en inspirant profondément, gratouillant son chat de son autre main avant de se laisser tomber lourdement en arrière sur son lit. Quel cauchemar… Ça avait eu l’air si réel ! Et pourquoi est-ce qu’il avait rêvé de Mathi d’ailleurs ?

« Putain, c’était n’importe quoi ce rêve… J’aurais préféré rêver d’une jolie fille plutôt que de cet abruti… »

Abruti oui, mais ce rêve l’avait forcé à réfléchir à son comportement. Il était peut-être temps d’enterrer la hache de guerre pour de bon avec Mathi non ? Soupirant profondément, Dae-Hyun se tourna pour essayer de se rendormir, mais c’était sans compter Geurimbut qui avait bien envie de papouilles ou de croquettes pour se rassurer. Le Coréen craqua et finit par se lever. De toute façon, il allait devoir se préparer pour aller en cours alors… Il espérait juste qu’il n’allait pas croiser Mathi aujourd’hui. Il avait déjà passé bien assez de temps avec lui dans son rêve et il allait lui falloir un peu de temps pour réussir à digérer tout ça.