Mail de Kark Ivarson à Alexander Reynarsson
Salut cousin !!!!
Ça fait longtemps !!!! Faut dire qu’ici, il y a toujours tant à faire… et j’imagine que toi tu as beaucoup de travail de ton côté… D’ailleurs, il faudrait que tu me donnes une adresse où on puisse t’écrire !! On a fait de la viande séchée avec le grand-père l’autre jour, je parie que tu n’en as pas mangée de la comme ça depuis ton départ au Japon !!!

Je t’écris parce que je voudrais te demander quelque chose… mon fils, le grand, Askjar, tu te rappelles de lui ? Oh ça fait tellement longtemps, il devait encore être tout petit avant que tu partes ! Attends je t’envoie une photo… mince comment on fait… attends ! Je vais demander à mon autre fils…
Voilà c’est bon ! Rollo m’a montré… c’est vraiment un petit génie en informatique lui tu sais ! Si un jour tu entends parler du Apple islandais, ce sera lui !

Freya dit que j’avais pas besoin de t’envoyer une photo d’Askjar parce que c’est le portrait craché de moi à son âge… mais il a hérité des yeux de sa mère et de sa détermination, tu vas voir, ça change tout ! Enfin bon, au moins comme ça tu vois quelle tête il a !

Donc… Askjar… figure toi qu’il est aussi intelligent que sa maman… d’ailleurs c’est le seul qui arrive à lui tenir tête à la maison, ça va nous faire bizarre sans lui… parce que oui, mon petit garçon a tellement grandi qu’il part pour le Japon ! Il a été accepté dans une grande université à Nara en droit de l’environnement… Je suis si fier de lui !!! Tu n’imagines pas ! Apparemment c’est une filière très sélective… et ils l’ont pris !!

C’est pour ça que je t’écris… je sais que tu es très occupé avec ton travail… et Freya dit qu’il est assez grand pour se débrouiller tout seul alors je devrais pas t’écrire… mais tu vois… c’est mon fils aîné, c’est le premier qui quitte la maison, et il s’en va si loin !! Alors ça me rassurerait un peu de savoir que mon cher cousin veille sur lui ! Oh ne t’inquiète pas, Freya a raison, c’est vraiment un garçon débrouillard… mais il est aussi fier que sa mère, et comme en plus c’est un genre de défi entre eux (ils s’aiment beaucoup mais apparemment ils ne peuvent se le dire qu’en se criant dessus… c’est animé la vie chez nous tu sais !)… enfin voilà, s’il a le moindre ennui, je sais qu’il ne nous dira rien et qu’il ne demandera pas d’aide… Alors je te serais infiniment reconnaissant si tu voulais bien veiller sur lui ! Même de loin… (tu seras toujours moins loin que son vieux père…)

Nous y voici, nous y voilà...
Nara, Japon... Jusque là, je le sentais à peu près bien. J'étais sûr de moi, j'avais fait mon choix et j'étais motivé. En plus, il était hors de question de perdre la face devant ma mère ! Mine de rien, ça motive... Elle est tellement persuadée que je vais me planter là-bas, j'ai bien l'intention de lui prouver qu'elle se plante !

Le trajet est long. Un changement d'avion en Finlande, puis direction le Japon.. Vol au dessus des fuseaux horaires. Je suis éclaté par le décalage quand on décolle ! J'ai les yeux qui piquent en plus d'avoir passé autant de temps à jouer sur ma console... d'autant qu'en vrai, j'avais du mal à rester concentré sur quoi que ce soit. Ma tête fait tout un tas de scénarios possibles. J'ai hâte quand même. Il était temps de bouger de mon île ! Ok, je l'adore cette île, plus que tout. Bien pour ça que j'ai choisi ces études-là... mais n'empêche que partir aussi loin, ça a quelque chose d'excitant. Et puis j'avais sans doute besoin d'indépendance, de vraie indépendance. Une où ma mère pouvait pas me faire chier à rappeler qu'elle paie mon loyer. Une où j'étais sûr que mon père allait pas se ramener pour mettre de la bouffe dans mon frigo même quand j'ai rien demandé. Moi qui aime les défis, je suis servi. Dans l'avion, je lis et relis la plaquette du programme, les mails échangés avec la direction pour se mettre d'accord sur les équivalences et l'adaptation de mon emploi du temps vu que les calendriers japonais et islandais sont pas synchronisés du tout et que je vais littéralement arrivé en plein milieu d'année scolaire pour eux, alors que c'est la rentrée chez moi. On a décidé que ma deuxième année se ferait sur un an et demi, ce qui me permettra de parfaire mon japonais, histoire d'avoir le vocabulaire technique aussi. Ça m'inquiète pas plus que ça en vrai. Mais ça me laissera au moins le temps de trouver un taf pour compléter la bourse, au cas où par la suite je puisse pas dégager assez de temps pour bosser.

Bref, dans l'avion, je retournais tranquillement tout ça dans ma tête. Plus excité qu'inquiet. Et puis on a atterri, et la réalité m'a gentiment rattrapé.

Message de Kark Ivarson à Alexander Reynarsson : Salut cousin ! C'est juste pour te rappeler qu'Askjar devrait atterrir à 18h23... tu voudras bien me dire quand il est avec toi ???? j'arrive pas à dormir, c'est la première fois que mon garçon s'en va si loin Oh et j'ai mis un petit paquet pour toi dans son sac, hésite pas à lui demander s'il oublie ! :face_with_three_hearts:

Une fois sur le tarmac, je me sens dépassé par la masse d'infos en kanji. Ha ouai. Ok. Va falloir un petit temps d'adaptation quand même. Je freeze un instant, comme si tout était blanc dans ma tête. Error 404 not found. Et puis finalement, mon regard accroche un mot, et j'arrive enfin à me décider à bouger. Ok, je peux le faire ! Je maîtrise ! Récupérer ma valise, passer à la douane...

Message de Kark Ivarson à Askjar Karkson: tu es bien arrivé ?
Message de Kark Ivarson à Askjar Karkson: tu nous fais signe quand tu as retrouvé Alex hein ?
Message de Kark Ivarson à Askjar Karkson: et puis ne t'inquiète pas tu ne nous réveillera pas de toute façon je ne dors pas !
Message de Kark Ivarson à Askjar Karkson: enfin ta mère si... tu la connais :D mais je suis sûr qu'elle sera contente de savoir que tu es bien arrivé aussi !
Message de Kark Ivarson à Askjar Karkson: puis tu t'inquiète pas surtout, j'ai bien vérifié avec Alex il sera là !
Message de Kark Ivarson à Askjar Karkson: je t'avais déjà envoyé sa photo ? attends je te la renvoie au cas où... attends mince... je sais plus... roh et ton frère qui dort... attends je vais trouver...
Message de Kark Ivarson à Askjar Karkson: oi,goei,gqae"pokpofegkqozekgozkg*************
Message de Kark Ivarson à Askjar Karkson: non c'était pas ça...

Et ainsi de suite. Quand je rallume mon portable après avoir récupéré ma valise et mon passeport, c'est la déferlante. Moi qui voulais justement voir si le fameux Alex (dont j'ai aucun souvenir vu qu'apparemment il s'est barré au Japon j'avais même pas 3 ans) m'avait écrit pour me signaler où il était, je suis pas rendu... J'en suis donc à errer un peu à l'aveuglette vers la zone d'attente, un oeil sur mon téléphone, à virer les notifs de mon père, et un autre à le chercher des yeux. Heureusement, un Islandais, ça a tendance à dénoter au milieu d'une foule de Japonais ! Parce que là... j'aime mon père...mais putain qu'est-ce qu'il est chiant quand il passe en mode pot de colle !!!! Je me plante donc face au fameux Alex et lui colle mon portable sous le nez histoire qu'il constate lui-même le désastre.

"Pitié...dis lui que je suis bien arrivé..."

J'avais déjà été plus chaleureux, mais j'étais claqué par le voyage et l'avalanche de messages ça n'aidait pas... en plus bon, ok mon père avait l'air d'y tenir à ce gars, mais moi je l'avais jamais rencontré en vrai.... puis j'avais pas besoin d'une baby-sitter non plus !

Quelle surprise en allumant mon ordinateur portable de découvrir un mail de mon cousin Kark ! On arrivait à se voir de temps en temps avant que j’entre dans la police, quand on retournait en Islande pendant les vacances pour profiter un peu de la famille paternelle qui y était toujours, mais ça faisait un sacré moment que je n’avais pas eu de ses nouvelles ! Il fallait dire qu’avec mon entrée dans la vie active et… ma situation actuelle, il valait mieux pour tout le monde que je ne donne pas de nouvelles ! Malgré tout, avec ce quotidien compliqué que je vivais déjà depuis plusieurs mois, recevoir un mail de ce sacré Kark me fit vraiment plaisir. C’était quand même dingue comme le monde était petit ! Il avait fallu que son petit Askjar décide lui aussi de venir au Japon pour ses études universitaires ! La dernière fois que je l’avais vu, il n’était pas plus haut que trois pommes, il avait sacrément changé si j’en croyais cette photo que le cousin m’avait envoyée ! Toutefois, malgré ce grand enthousiasme qu’avait provoqué en moi la lecture de ce mail, un grand dilemme se posait : pouvais-je vraiment accéder à la requête de mon cousin alors que j’étais actuellement en pleine mission d’infiltration ? Je soupirai et commençai à taper ma réponse. Le mieux, pour tout le monde, se serait que je le renvoie vers Sólveig, ma petite-sœur…

« Salut cousin ! C’est vrai que ça fait un bail, j’suis content d’avoir de tes nouvelles ! C’est fou ce qu’il a grandi ton petit Askjar ! Et c’est vraiment incroyable d’apprendre qu’il va débarquer à Nara, à seulement quelques heures de route de Kumoru ! Mais… »

Je fixai ce dernier mot pendant plusieurs secondes, avant de soupirer profondément. La famille était quelque chose qui comptait plus que tout à mes yeux, et l’idée de refuser ce service à mon cousin me fendait le cœur. Évidemment, il n’était pas au courant pour ma situation et je savais qu’il comprendrait mon refus si jamais on la lui expliquait mais… Je me disais que cette occasion serait également une belle opportunité de me changer les idées et me sortir de ce quotidien beaucoup trop sombre. S’il ne fallait que le surveiller de loin, c’était parfaitement dans mes cordes ! Surtout que je le faisais déjà parfois avec ma famille à Kumoru !

« … C’est évidemment avec plaisir que j’accepte cette grande mission ! Ne t’inquiètes pas, Super Tonton Alex est dans la place ! Ton fils ne craindra rien pendant son séjour au Japon ! Pour mon adresse, je te laisse celle de chez mes parents, n’hésite surtout pas à y envoyer toute la viande séchée que tu voudras, j’en salive d’avance ! Embrasse Freya et Rollo pour moi et à très vite ! »

Un nouveau soupir passa mes lèvres. Je savais que ça me ferait plaisir de revoir la trogne du rejeton de mon cousin préféré, mais je ne pouvais pas m’empêcher de me maudire d’avoir craqué aussi facilement. Il allait vraiment falloir que je fasse hyper attention pour ne pas risquer de mettre le petit Askjar en danger à cause de mon boulot…




Quelques temps plus tard, mon téléphone sonna. Un téléphone que je m’étais tout spécialement réservé pour les exceptions : les échanges avec ma famille. C’était d’ailleurs ce numéro que j’avais laissé à Kark pour qu’il puisse plus facilement me joindre. En voyant qu’il s’agissait justement d’un message de sa part, je le consultai et pouffai. Vraiment, il était le pire papa poule de l’univers ! Il me faisait trop rire à s’inquiéter comme ça pour son rejeton alors que, s’il ressemblait effectivement à sa mère, il n’y avait pas DU TOUT besoin de s’en faire pour lui !

Qu’importe. Après avoir confirmé à mon cousin que je lui enverrais un message dès que j’aurais réussi à mettre la main sur son fils, je me préparai et partis en direction de l’aéroport. J’arrivai avec près d’une heure d’avance, scrutant tous les écrans d’arrivée pour être sûr de ne pas manquer le petit Askjar. J’avais même poussé le vice plus loin en l’attendant gentiment avec une pancarte en carton où j’avais inscrit « Bienvenue au Japon mon petit Askjar » en islandais. Avec ça, nul doute qu’il me repèrerait facilement ! Surtout avec tous les petits cœurs que j’y avais ajoutés ! Et puis bon, un géant à la tignasse grisée, ça ne pouvait de toute façon pas se louper dans une telle masse !

Je finis par l’apercevoir au loin, le nez à moitié sur son téléphone et à moitié à scruter les alentours. Affichant un grand sourire sur mes lèvres, je me mis donc à agiter bien haut ma pancarte pour qu’il s’avance vers moi avec sa valise. Et alors que je m’apprêtais à ouvrir la bouche pour l’accueillir, voilà qu’il me collait son téléphone sous le nez. Surpris, je laissai mon regard azur parcourir l’écran, avant qu’un rire franc ne passe mes lèvres.

« Sacré Kark ! J’ai jamais vu pire papa poule que lui ! J’vais lui dire, t’inquiètes pas pour ça ! Mais avant… »

Mon sourire s’étira davantage alors que je me penchai vers Askjar pour lui faire un boooon gros câlin d’amour !

« Bienvenue au Japon mon petit Askjar ! J’suis super content de te revoir après tout ce temps ! Enfin, petit… T’es plus si petit que ça maintenant, t’arrives même presque à me dépasser ! Rassure-moi, t’as fini ta croissance, hein ? Enfin bon, maintenant que je suis là, tu peux compter sur Super Tonton Alex pour veiller sur toi à la place de ton papa poule ! »

Je fronçai le nez en pouffant, imaginant déjà aisément qu’il allait se mettre à râler.

« Bon, allez, filons d’ici ! J’suis garé un peu plus loin, j’vais m’occuper de ta valise ! Alors ? Le trajet s’est bien passé ? J’imagine que tu dois être claqué avec le décalage horaire ! Tu veux qu’on mange un truc sur la route pour te redonner un peu de forces ? AH ! Bouge pas ! »

J’avais failli manquer à ma promesse ! J’attrapai donc soudainement Askjar par l’épaule pour le ramener contre moi et tendis mon téléphone devant nous pour faire un beau selfie afin de l’envoyer à son paternel, ne manquant d’afficher un grand sourire alors que nos deux joues étaient collées l’une à l’autre.

« Voilà, avec ça, il devrait te laisser un peu tranquille ! Allez, suis-moi ! »

Je suis explosé par le voyage. J'ai passé quoi ? Seize heures dans un avion ? Enfin plusieurs, techniquement. En plus, une fois sur terre, je me prends un peu en pleine tête ce qu'implique ma décision. Et bon, c'est une sacrée grosse claque. C'est une chose de parler japonais, c'en est une autre de se retrouver soudainement à baigner dedans sans porte de sortie ! Le temps de me reprendre, et je me retrouve noyé sous les SMS de mon père... Bon y a tout seul qu'il m'a envoyé pendant le voyage, et ceux qui arrivent maintenant vu qu'il sait que c'est mon heure d'arrivée. J'ai plus qu'à me mettre en quête de son cousin pour espérer arrêter un peu le massacre là... un Islandais dans cette foule, ça devrait pas être trop dur à repérer non ?

Et effectivement, il était facilement repérable. Peut-être même un peu trop... Alors effectivement, un blanc d'1,90m avec les cheveux gris, déjà de base, ça se repère bien ici. La pancarte écrite en islandais, c'est un bon indice... mais alors les coeurs partout dessus... c'est de famille c'est ça ??Je suis parti à des milliers de kilomètres de mon père, et je me retrouve avec son cousin qui va être tout pareil ? Enfin j'ai pas trop le temps de m'en inquiéter parce que les messages de mon père continuent d'arriver... Résultat, je suis tellement usé, que ma première phrase alors que je rencontre mon cher oncle exilé au Japon, c'est de le prier de prévenir son cousin, avant que mon téléphone n'implose. Le type éclate de rire...

"Il a toujours été comme ça tu s..."

Mais j'ai pas le temps de finir ma phrase que l'autre me sert dans ses bras. Euh.. ok ? Et voilà qu'il confirme justement ce que je craignais : il va remplacer mon père. Ça valait le coup de partir aussi loin tiens ! Comment mon père a pu réussi un truc pareil ??? Tant pis, j'affiche un sourire sûr de moi.

"Ouais paraît que la dernière fois que je t'ai vu j'avais 3 ans. Donc oui j'ai grandi, ce sont des choses qui arrivent tu sais ! T'as peur de la concurrence si y a quelqu'un d'aussi grand que toi dans ce pays ?"

Bon ok, il a l'air rigolo comme mec. Mais j'aime autant préciser les choses...

"Par contre tu sais, papa il s'inquiète toujours, c'est son truc. Mais en vrai j'ai pas besoin qu'on veille sur moi ! J'y arrive très bien tout seul !"

Puis ça ferait trop plaisir à ma mère que j'appelle à l'aide, alors plutôt crever ! Y a une vague petite voix dans le fond de ma tête qui me signale que c'est sans doute pour ça que mon père m'envoie un babysitter tombé du ciel, mais je préfère enterrer la petite voix bien loin au fond de ma conscience !

"Ça a été, mais c'était loooooong ! Même avec une escale... et maintenant que tu le dis, c'est vrai qu'il fait faim..."

Et encore une fois, j'ai pas le temps de réagir qu'Alex m'attrape et se colle à moi pour un selfie... je dois avoir l'air éclaté dessus, moitié parce que je le suis, moitié parce que mais préviens mec quand tu fais ça ! Mais c'est pas grave... il a raison, fallait bien prévenir mon père, et au moins comme ça on est sûr ! Puis ça lui fera plaisir j'imagine... D'ailleurs parlant de mon père... Je m'agenouille, fouille une poche à l'avant et récupère un paquet que je lui tend.

"Papa m'a dit de te donner ça. La prochaine fois il te l'enverra directement. Au moins cette fois t'auras attendu moins longtemps."

Bon techniquement la viande séchée c'est pas à dix jours de voyage près ! Mais au moins là il est sûr que ça a été reçu directement par l'intéressé... J'emboîte le pas d'Alex direction sa voiture, tout en regardant un peu partout. Ça paraît tellement irréel en fait d'être là ! Pfiou ! J'ai promis à Rollo que je lui ferai des compte-rendus réguliers, mais je sais même pas par quoi je vais pouvoir commencer !

"Alors, du coup tu connais bien papa ou vous êtes juste cousin vite fait ?"

Quoi ? Tant qu'à faire autant gratter des infos ! Je vais quand même pas rater l'occasion d'en apprendre plus sur mon père à mon âge !

J’étais vraiment content de voir cette petite tête blanche arriver dans ma direction, même si on pouvait clairement lire sur son visage qu’il était complètement explosé par le décalage horaire. Lâchant ma pancarte d’une main, je m’empressai donc de le serrer fort dans mes bras pour lui faire un gros câlin d’amour, me mettant à rire à sa question après l’avoir relâché.

« Ça va, j’ai encore de la marge avant que tu me rattrapes ! Et même si tu manges de la soupe tous les soirs, j’pense pas que tu vas grandir davantage, désolé ! T’as plus qu’à t’essayer aux talons si tu tiens tant que ça à me piquer mon titre de géant du Japon ! »

Je pouffai à l’idée de le voir avec des talons aiguilles pour essayer de me dépasser, puis affichai un sourire amusé à sa petite précision.

« Ça, j’en doute pas une seconde mon petit Askjar ! Mais même si t’as pas besoin qu’on veille sur toi et que t’es parfaitement capable de te débrouiller tout seul, pense à ton pauvre papounet qui va s’inquiéter à l’autre bout de la planète si je fais pas acte de présence ! T’as pas à t’en faire, j’vais pas te surveiller h24, je vis pas à Nara après tout, mais laisse-moi quand même mener à bien la mission qu’il m’a confiée, j’ai pas envie d’avoir sa mort sur la conscience s’il finit rongé par l’inquiétude ! C’est mou cousin quand même, ça m’embêterait ! Surtout que j’suis sûr que son fantôme serait du genre super chiant ! »

Je me mis à rire, puis, avant d’inviter Askjar à quitter le hall de l’aéroport pour se diriger vers l’extérieur et ma voiture, je l’attrapai par l’épaule pour le coller contre moi et prendre une photo que j’envoyai immédiatement à son père pour le rassurer. Chose faite, Askjar s’agenouilla pour fouiller dans son sac et en sortir un paquet qu’il me tendit. D’abord intrigué, je finis par afficher un large sourire en l’attrapant.

« Yeah ! Super ! Sérieux, j’en ai l’eau à la bouche rien que d’imaginer le goût ! Ça fait tellement longtemps que j’en ai pas mangé ! Tu vois, ton père est un peu collant, mais c’est une perle ! Je lui enverrai un message en rentrant ce soir pour le remercier ! T’en veux un peu pour toi d’ailleurs ? Des fois que t’aurais le mal du pays… »

Je fronçai le nez et offris un regard malicieux à Askjar, me doutant déjà qu’il allait refuser ma proposition. Il avait l’air du genre à jouer les durs, alors le mal du pays, il n’avouerait certainement pas qu’il l’avait, même si c’était le cas !

Nous quittâmes donc le hall pour nous rendre à l’extérieur. Je marchai d’un pas moins rapide qu’à l’accoutumée, me doutant bien qu’Askjar voudrait prendre un peu de temps pour regarder tout ce qui l’entourait. Traînant sa valise, je me tournai alors vers lui à sa question, un petit sourire aux lèvres.

« Disons qu’on a été très proche pendant toute notre enfance, mais quand j’ai déménagé au Japon avec toute ma famille, on s’est un peu perdu de vue. Tu vois le genre, un petit mail pour nos anniversaires et les fêtes de fin d’année, mais sans plus. Je passais toujours le voir quand je retournais au pays, mais ça fait plusieurs années que j’ai pas eu l’occasion de faire le voyage… C’est pour ça que j’suis super content, malgré tout, qu’il me fasse toujours assez confiance pour me confier son précieux fils ! »

Je fronçai à nouveau le nez et continuai à marcher, jusqu’à arriver au niveau de ma voiture. Ma petite voiture, un modèle pas très cher que j’avais pu m’acheter au début de mon infiltration avec ma nouvelle identité. Les gens s’amusaient beaucoup de voir à quel point mon moyen de transport tranchait radicalement avec l’image que je pouvais renvoyer. Beaucoup se demandaient d’ailleurs comment j’arrivais à tenir là-dedans sans me sentir à l’étroit !

Quoi qu’il en soit, je mis les affaires d’Askjar dans le coffre, avant de le refermer d’un petit coup sec.

« Bon, alors… Qu’est-ce qui te ferait envie ? Tu veux rester en terrain connu avec genre un hamburger ou un truc comme ça ? Ou tu veux direct te plonger dans la culture avec des plats plus typiques ? Choisis ce que tu veux, c’est moi qui offre ! Faut bien fêter ton arrivée ici comme il se doit ! »

Je lui lançai un petit clin d’œil et grimpai aussitôt dans ma voiture, attendant qu’Askjar m’ait rejoint pour démarrer.

"Faudrait déjà que j'en trouve à ma pointure !"

Parce que bon, des talons aiguilles pointure 42, ça devait pas courir les rues non plus ! Et pas que parce qu'on court mal en talons aiguilles ! Facepalm quand il évoque le fantôme de mon père. Ouai... vu comme ça... et vu la masse de message alors que juste j'étais dans l'avion quoi... ouai y a pas trop de doute sur la question en effet ! Il a raison Alex... en vrai cette "mission" comme il dit, c'est sans doute plus mon père qu'en a besoin que moi... Faut-il que j'aime mon père pour accepter de jouer le jeu quand même ! Soupir...

"Ouai t'as raison, son fantôme serait mega chiant... Il se vengerait en... t'emmenant ton goûter au boulot j'imagine. Et en rangeant tes chaussettes pendant que tu seras parti. Quand tu reviendras t'auras une liste de courses toute faite et une liste de menus équilibrés parce que vraiment faut que tu manges mieux que ça..."

Mon père est lourd, mais on peut pas lui reprocher de pas faire tout ce qu'il peut pour que ses proches aillent bien et soient heureux en vrai. Preuve en est qu'il m'a chargé de livrer de la viande séchée, spécialité locale à son cousin qu'il a pas du voir depuis des années. Par contre il croit quoi ? C'est un peu tôt pour le mal du pays !

"Meh t'inquiète ! Ça fait moins longtemps que toi que j'en ai mangé. Puis tu crois vraiment que mon père m'aurait laissé partir sans une réserve personnelle ? Un peu plus et la douane allait m'arrêter pour trafic alimentaire !"

J'ai plutôt hâte de sortir de l'aéroport en fait. Okay c'est tout écrit en japonais, mais y a quand même rien qui ressemble plus à un aéroport qu'un autre aéroport... et là je viens quand même d'en enchaîner quelques uns. Je suis complètement explosé par le décalage horaire, mais rien à foutre, j'ai surtout envie de voir le pays ! Trop hâte. Après tout je viens de l'autre bout du monde pour ça ! Donc bon... heureusement Alex a l'air plutôt d'avis lui aussi que l'aéroport ça va bien deux minutes. On sort enfin et j'ai des yeux partout. C'est con vu que je vais rester là un moment, je vais avoir largement le temps de tout voir. Mais après quatorze d'avions, j'ai envie de tout absorber d'un coup ! Donc je traînasse un peu et j'ai les yeux comme des soucoupes à tourner dans tous les sens !

Ça m'empêche pas de lui poser des questions sur mon père, quand même. Trop belle occasion ! Enfin y a bien grand-père pour en parler, mais c'est pas pareil forcément. Je me demandais justement si papa lui avait demandé parce qu'ils étaient proches ou parce que c'était la seule personne qu'il avait sous la main.

"Nan, c'est ptet un grand naïf, mais je crois quand même pas qu'il fasse confiance au premier venu... en vrai il avait l'air vachement content d'avoir l'occasion de te parler. Ptet qu'il osait pas avant ?"

Ça serait possible. Il lui arrive d'avoir peur de déranger. Ou peut-être juste que trois gamins à la maison, ça occupe bien trop pour se soucier d'un cousin à l'autre bout du monde...

"Et encore, c'est que moi ! T'imagines même pas si ça avait été Rollo qui serait venu !"

Je dis pas ça par jalousie ou quoi. Disons que malgré tout, mon père sait très bien que je peux me débrouiller tout seul. C'est juste qu'avec les soucis de santé qu'a eu Rollo quand il était môme, même s'il va mieux maintenant, s'il décide lui aussi de faire des études à l'étranger, mon père va clairement remuer ciel et terre pour avoir tous les contacts de tous les médecins du coin tout en faisant traduire son dossier médical par des professionnels assermentés ! Je plains limite le frangin tiens ! J'espère pour lui que le fait que ça passe bien pour lui calme les angoisses de papa... on peut rêver !

Je réfléchis deux secondes à la question d'Alex. C'est vrai que j'ai la mega dalle et qu'une énooooorme assiette de frites seraient pas de refus. Mais en même temps... l'appel de l'aventure ! J'aurais tout le temps pour des frittes plus tard... En plus bon, s'il est là depuis longtemps, j'imagine qu'il a des bonnes adresses non ? Ça serait con de pas en profiter !

"Va pour des plats typiques alors ! Tu recommandes quoi ?"

Je monte aussitôt dans la voiture, et même si je lui parle, j'ai quand même les yeux rivés à la fenêtre, histoire de pas en perdre une miette. Ça fait quelque chose d'être vraiment là et plus juste sur les photos !

"Comment ça a été pour toi l'intégration au Japon ? T'étais jeune du coup non ?"

On sait jamais, après tout il est passé par là. Il a ptet des conseils utiles...

Je ne pus m’empêcher de rire quand Askjar énonça toutes les choses que le fantôme de son père pourrait faire. C’était tellement son genre ! Et j’avais bien du mal à calmer mon hilarité à cause de cette vision que j’avais du fantôme de Kark en train de faire le ménage dans mon appartement ! Je riais tellement que je dus passer le dos de ma main sous mes yeux pour en chasser les petites larmes qui y étaient nées.

« Merde, c’est vraiment merveilleux ! Je l’imagine tellement faire ça ! Surtout qu’il aurait du boulot s’il voulait vraiment me pouponner ! J’suis pas tellement un exemple de vie saine ! »

Clairement pas non… Mon appartement était en désordre total, pire qu’un champ de bataille, je mangeais tout sauf équilibré, mes heures de sommeil se comptaient bien souvent sur les doigts d’une main… Bref, comme je le disais, j’étais tout sauf un bon exemple à suivre ! Mais ça, Kark ne devait pas s’en douter une seconde, ni même son rejeton d’ailleurs…

Je pouffai une nouvelle fois quand Askjar me parla de ses aventures à la douane, lui ébouriffant énergiquement les cheveux. Je me doutais bien que mon cousin préféré n’aurait pas laissé son fils partir sans une bonne réserve de viande séchée, mais je savais aussi que le petit étudiant finirait forcément par avoir un peu le mal du pays. Une fois la hype de la nouveauté passée, il redescendrait forcément de son petit nuage et commencerait à repenser à sa famille qu’il avait laissée loin derrière lui. Ça lui prendrait peut-être une semaine, peut-être un mois, voire plus, mais le mal du pays finirait forcément par le rattraper !

Nous quittâmes donc enfin l’aéroport pour nous diriger vers ma voiture. Aux mots d’Askjar, je me pris à sourire presque tendrement. J’avais été bête de ne pas prendre plus souvent des nouvelles, mais je ne pouvais décemment pas raconter à mon petit protégé de quoi était faite ma vie en réalité. Si nous avions perdu le contact avec Kark, c’était sans doute plus ma faute que la sienne !

« J’imagine que les torts sont très largement partagés ! Faut dire que j’avais quand même toute une vie à reconstruire ici après mon déménagement, alors j’ai pas forcément pris le temps de le contacter alors que j’aurais dû ! Mais bon, le principal c’est qu’on ait pu reprendre contact grâce à toi ! Donc merci d’avoir fait le voyage jusqu’ici ! »

Je fronçai le nez et ébouriffai une nouvelle fois ses cheveux, m’arrêtant un peu pour réfléchir alors que je m’apprêtais à démarrer. Rollo, son frère… Je ne me souvenais pas trop bien ce qu’il s’était passé exactement, mais j’avais cru comprendre par mes parents qu’il avait eu quelques soucis de santé…

« J’imagine oui ! Mais il faudra quand même que Rollo vienne faire un tour dans le coin, que je puisse le surveiller lui aussi ! Et faire sa connaissance aussi quand même… Il avait eu quelques soucis de santé, c’est ça ? »

Je me sentais un peu con de ne pas connaître ma famille sur le bout des doigts, mais il fallait dire que c’était une famille un peu éloignée, surtout géographiquement, et que j’étais actuellement un peu en silence radio même avec ma famille proche !

Je démarrai donc la voiture et commençai à quitter l’aéroport, pouffant à ses questions.

« Okay, alors on va commencer par un truc vraiment typique et que j’affectionne tout particulièrement : les ramens ! C’est pas trop cher en plus, tu verras ! C’est genre un fast-food, mais en bien meilleur ! Ça te dit ? Et sinon, pour te répondre, ça commence à dater maintenant et ma situation est quand même bien différente de la tienne, mais si ça peut t’aider… »

Je continuai à rouler et à fixer la route, avançant en suivant l’itinéraire du GPS qui nous amenait en direction de la meilleure échoppe de ramens du coin. Mon sourire se fit un peu plus nostalgique alors que je repensais à mon arrivée ici.

« J’sais pas ce que ton père a déjà pu te raconter, mais ma mère est japonaise, donc j’avais de la famille dans le coin. Sauf qu’il y a eu un gros tremblement de terre quand j’avais la vingtaine et ma tante a pas survécu malheureusement. Donc on a tous déménagé au Japon pour soutenir ma famille maternelle. Autant te dire que c’était pas franchement la joie ! Mais comme j’ai toujours pratiqué le japonais et que je suis vite devenu bilingue avec ma mère, j’ai pas vraiment eu de soucis d’adaptation, surtout que j’me débrouillais bien à l’école et que bon, j’étais quand même plutôt populaire ! Il a juste fallu repartir de zéro en me refaisant des amis et en prenant à nouveau mes marques ! »

Je lui offris un petit sourire avant de tourner à une intersection. Cette époque avait été vraiment compliquée, mais je ne regrettais pas une seconde notre déménagement. Sans doute que ma vie aurait été bien moins dangereuse si nous étions restés en Islande, mais j’aimais ma vie actuelle et l’homme que j’étais devenu.

« Et toi alors ? Qu’est-ce qui t’as motivé à traverser une bonne partie du globe pour venir te perdre pas loin de chez ton tonton préféré ? »

Autant que j’essaie d’en apprendre un peu plus sur mon neveu après tout ! Surtout que j’allais finir par l’endormir à lui raconter mon passé on ne peut plus ennuyant !

Vu comment Alex éclate de rire, je vois qu’il a clairement bien connu mon père. Ce serait effectivement tellement son genre en tant que fantôme ! C’était déjà le cas de son vivant de toute façon… Il a raison, papa c’est une perle. Pour ça aussi que des fois maman m’énerve à lui marcher dessus. Elle se rend pas compte de tout ce qu’il fait pour tout le monde en vrai !

« Je vois qu’il faut pas compter sur toi pour des idées de menus équilibrés alors ! J’espère que c’était pas dans ta mission alors ! Promis, je lui dirai rien. »

Même si je doute que mon père ait poussé le bouchon pour s’assurer que j’ai une fée du logis sur le dos. Encore que, rien n’est moins sûr… Ce serait pas non plus si surprenant que ça le connaissant ! En tout cas, Alex avait intérêt à cleaner son appart parce que si la famille vient me voir, il aura clairement le droit à sa visite aussi, et oui, il va lui ranger son appart s’il se rend compte que son cousin est trop débordé pour s’en charger lui-même !

Bon par contre faut qu’il arrête là avec l’ébouriffage de cheveux ! Jveux bien que j’ai une gueule de paillasson à cause du décalage horaire, m’enfin c’est pas une raison pour niquer ma coiffure non plus ! C’est de famille en fait les gestes d’affection déplacés ? Parlant de famille, ils sont si proches que ça ? Ouai bon, en même temps j’imagine c’est pas facile de rester en contact quand t’es chacun à un bout du monde.

« Oh bah de rien alors. Ça aurait été bête que vous vous perdiez complètement de vue attends. Je suis sûr que tu as hâtes d’avoir ta newsletter mensuelle du potager de papy dans ta boîte mail ! »

Je déconne. C’est pas que mon père serait pas capable de ce genre de trucs… mais en fait il est littéralement pas capable de faire ça sur un ordinateur. Nous sommes donc sauvés. Encore que je m’attends à recevoir des courriers avec des photos développées où il me racontera tout ça en détail… ça serait bien son genre. De là à dire que je serais déçu s’il le fait pas… et bah je le dirai pas parce qu’on a sa fierté ! Rah mais laisse mes cheveux tranquille à la fin ! Apparemment grogner à chaque fois ça suffit pas…

« Il a toujours eu la santé un peu fragile. Bébé il chopait toutes les maladies qu’il pouvait trouver. On s’est rendu compte aussi qu’il était asthmatique. Et à 11 ans il a fait une pneumonie, ce qui dans son cas a été assez compliqué vu ses soucis… on a tous un peu flippé je crois. Il a dû rester à la maison pendant un an, le temps que son système respiratoire se remette bien. Fallait qu’il sorte le moins possible. C’est papa qui lui faisait l’école, enfin qu’essayait… Au final il a bien guéri et tout, mais il reste un peu fragile de ce côté-là. Alors je te laisse imaginer la tronche que va tirer papa s’il lui annonce un jour qu’il veut aller faire ses études à l’étranger ! »

Ce qui a de bonnes chances d’arriver vu ce qu’il vise… et en vrai, pour le coup, même maman je crois qu’elle ferait un peu la tronche. J’imagine que nous dire qu’elle nous croit pas capable de vivre tout seul, pour des raisons différentes quand même, c’est sa façon de nous dire qu’elle s’inquiète. Enfin c’est l’hypothèse de papa. Et quand je suis pas trop énervé contre elle, je pense qu’il a raison…

En attendant on va aller mange ! Et ça c’est trop cool ! Je hoche la tête tout sourire à l’idée des ramens. Évidemment que je suis pour ! Les fameux ramens ! Depuis le temps qu’on en rêve ! Super début ! J’en ai déjà l’eau à la bouche… ça m’empêche pas d’avoir un peu envie d’en apprendre plus pour lui. Non parce que quitte à se retrouver avec un oncle (qui techniquement est sans doute pas mon oncle en vrai si c’est un cousin de papa, mais j’ai vraiment la flemme de me lancer dans les détails de l’arbre généalogique, alors oncle, ça ira bien comme dénomination) du jour au lendemain, autant en apprendre un peu plus sur lui. D’autant que bon, son expérience ça peut toujours me servir non ? Enfin c’est pas comme si j’étais inquiet ou que j’appréhendais de m’intégrer hein. Rien à voir. Juste… ouai non ça peut toujours servir. Puis vaut mieux être trop préparé que pas assez non ?

Mais il a raison, la situation est quand même pas mal différente. Il est arrivé au même âge que moi, c’est à peu près tout. Je parle relativement bien, mais concrètement, j’ai surtout parlé avec mon frère, alors mon niveau de langue oral est sans doute un peu au ras des pâquerettes. Il avait de la famille, alors que je suis lâché tout seul. Bon par contre il est arrivé pour une raison un peu pourrie quoi…

« Désolé pour ta tante. Ta mère s’en est bien remise ? »

C’est un drôle de début dans un pays, arriver suite à un séisme… pour le coup il a pas vraiment choisi quoi. Et moi alors ? Ola… un cocktail de raisons bizarres… mais j’allais quand même pas lui dire que c’était en partie à cause d’une fille qui m’avait brisé le cœur ! Fallait pas déconner non plus ! En plus c’est pas QUE à cause de Sigurd. J’y pensais déjà avant. Disons que juste me rendre compte qu’elle s’était foutue de ma gueule une bonne partie du temps, ça avait bien précipité la décision.

« Bah… c’est un peu un cocktail de raisons. Je veux devenir avocat spécialisé en droit de l’environnement. Et l’université de Yokuboo a l’un des meilleurs diplômes en la matière au niveau mondial. Je voudrais exercer en Islande, mais ça me permettra quand même d’avoir un bagage solide en droit international. Et vu que les dégâts sur l’environnement ça connaît pas les frontières, ça me paraissait essentiel. Puis j’en avais marre que ma mère me tanne comme quoi je savais pas ce que c’était de se débrouiller tout seul. Donc j’ai bossé comme un taré puis j’ai obtenu une bourse. Comme ça je lui dois rien. Je vais voir pour trouver un taf pour compléter à côté. »

Ça m’inquiète pas trop. Oh, jme fais pas d’illusion. Sans doute que dans un premier temps, ça sera pas le job de mes rêves. Du purement alimentaire. Mais bon, j’aime autant ça que devoir admettre que je me suis planté et lui réclamer des thunes ! Non mais. Je me suis pas barré à l’autre bout du monde pour qu’elle vienne encore me faire la leçon !

Reprenant un peu d’enthousiasme, je lui expose la dernière raison. Enfin la dernière que je veuille bien lui partager. Non mais.

« Puis tu sais quand Rollo était coincé à la maison, en fait on a joué à beaucoup de jeux vidéos ensemble, et il s’était foutu dans la tête d’apprendre le japonais tu vois. Je crois qu’il voulait pas que les gens le traitent comme un gamin fragile à son retour à l’école, donc il avait décrété qu’il parlerait au moins un peu japonais pour les faire taire. J’ai appris avec lui, histoire qu’on fasse quand même un truc ensemble, même s’il pouvait plus sortir. Et à force, bah j’ai eu envie de venir aussi. Je crois qu’il est deg parce que c’est aussi son projet de venir faire ses études ici, et comme j’ai l’avantage d’être l’aîné, bah je pars d’abord ! Mais comme ça je lui prépare le terrain. »

Je m’attendais pas à être aussi bavard. Mais faut admettre que c’est cool de parler de ça à un adulte qui n’est pas mes parents. Ou mes vrais oncles… Au moins Alex jsais qu’il aura pas tout leur balancer. Puis il est plutôt cool dans son genre. Enfin sauf pour l’ébouriffage de cheveux, ça faut vraiment qu’il arrête, jvais finir par le mordre.

J’éclatai à nouveau de rire en l’entendant parler de son père. Non, franchement, j’adorais déjà ce gosse ! Bon, c’était plus un jeune adulte qu’un gosse, mais je ne pouvais quand même pas m’empêcher de le voir plus petit et plus jeune qu’il l’était. J’avais toujours eu ce côté trop protecteur avec les membres de ma famille, ma petite-sœur ayant d’ailleurs été celle qui en avait le plus profité. Heureusement que je ne faisais pas ça jusqu’à rendre le tout malsain ! J’avais toujours respecté son intimité et je m’étais souvent contenté de la protéger de loin, sans qu’elle ne s’en rende compte. Et qu’Askjar le veuille ou non, j’allais sans aucun doute faire la même chose avec lui !

« Fort heureusement pour toi et moi, je pense qu’avec son niveau en informatique, on risque d’être tranquille encore quelques temps avant d’avoir cette fameuse newsletter ! Enfin, j’espère que ton frère ne va pas trop lui montrer comment se mettre à Internet, on risque d’être harcelé de tous les côtés sinon, déjà qu’il semble pas mal à l’aise avec un téléphone entre les mains ! Ah et rappelle-moi de pas lui donner mon adresse postale, il serait capable de spammer aussi ma boîte aux lettres ! »

Je pouffai et continuai à rouler, écoutant attentivement ce qu’Askjar me racontait à propos de son frère. J’avais les grandes lignes, je savais qu’il avait la santé fragile, mais c’était à peu près tout. Il fallait dire que j’avais un peu perdu Kark de vue depuis que j’étais entré dans la police, et encore plus depuis que j’avais commencé mon infiltration.

« Je vois… ça m’étonne pas vraiment qu’il ait réussi à faire face à tout ça et à s’en remettre comme un chef, même s’il reste un peu fragile encore maintenant. Faut dire que dans la famille, on est un peu comme les mauvaises herbes, y’a pas plus tenaces que nous ! En tout cas, j’espère vraiment que ton frère va pas avoir envie de venir ici lui aussi, je mettrai ma main au feu que ton père finirait par se dessécher après avoir pleuré toutes les larmes de son corps ! Ou pire ! Il serait capable de déménager pour rester près de vous deux ! »

Je pouffai en imaginant la scène. Sacré Kark…

« On se moque, mais très sincèrement, Kark est un père formidable. Il en fait vraiment beaucoup trop, mais c’est le type le plus généreux que j’ai jamais connu. »

Mon sourire se fit un peu plus nostalgique. C’était vraiment un type génial, sans doute beaucoup trop gentil pour son propre bien, à toujours donner sans rien attendre en retour… C’était typiquement le genre de personnes qui me faisaient du bien en ce moment, parce que ce n’était clairement pas le genre de celles que je fréquentais au quotidien…

Et mon sourire ne reprit pas vraiment de son éclat avec la conversation qui suivit. J’hochai doucement la tête en gardant mes yeux rivés sur la route.

« Ça a été compliqué au début, mais on a réussi à surmonter ça tous ensemble. »

Si Askjar ne l’avait pas encore compris, la famille c’était de loin la chose la plus importante à mes yeux. Et comme il en faisait lui aussi partie, j’osais espérer qu’il comprendrait qu’il pourrait toujours compter sur moi. Je ne vivais pas à Nara, mais Kumoru n’était pas si loin en voiture !

Je l’écoutai ensuite me raconter les raisons qui l’avaient poussé à venir jusqu’ici et lâchai finalement un rire.

« Sérieusement ? Tu vas faire des études de droit ? J’vais finir par croire qu’on a ça dans le sang ! Tu savais que mon père était avocat et que j’avais moi aussi fait des études de droit ? Ma sœur aussi d’ailleurs ! Bon, j’ai fini par prendre une voie différente de celle de mon père en devenant flic, mais c’est quand même franchement amusant de découvrir ces points communs ! J’te souhaite une bonne réussite dans tes études en tout cas ! Et si jamais t’as besoin, hésite pas à m’appeler ! C’est sans doute rendu un peu loin, mais si j’peux t’aider sur certains trucs, ça sera avec plaisir ! Et pareil, si jamais t’as quelques soucis avec l’argent et que tu veux pas demander à tes parents, rien que pour pas que ta mère te sorte un truc genre « j’te l’avais bien dit », t’as mon numéro. C’est normal de se soutenir ! Et j’dois aussi t’avouer que ça me ferait vraiment plaisir de te voir rabattre un peu le caquet de ta mère ! »

Je ris et finis par arrêter la voiture dans une petite rue aux allures très traditionnelles. L’échoppe n’était qu’à quelques pas, son intérieur éclairant le trottoir où passaient encore pas mal de gens. Et il y avait des places libres de ce que je pouvais voir, c’était parfait !

« Et voilà ! C’est juste là ! Ah, d’ailleurs… Est-ce que tu veux qu’on parle japonais à partir de maintenant ? Nan parce que bon, c’est pas comme ça que tu vas réussir à t’immerger parfaitement dans ta nouvelle vie ! Va falloir que je te pousse un peu en dehors de ta zone de confort, décalage horaire ou pas ! »

Je fronçai le nez et lui ébouriffai une nouvelle fois les cheveux. Je savais que ce geste devait l’agacer, mais c’était justement ça qui m’amusait !

Je sortis donc de la voiture et attendis Askjar pour m’avancer vers l’échoppe. Je saluai le cuisinier et l’autre client déjà présent, puis pris place sur un tabouret. Je souris à mon neveu et lui désignai le menu affiché au mur devant nous d’un signe de tête.

« J’te laisse choisir ce que tu préfères ! Ah et euh… J’en ai pas du tout parlé avec ton père mais… Faut que j’te dépose à l’Académie ou pas ? Non parce que sinon, même si c’est un peu le foutoir, j’peux toujours te faire dormir chez moi et te déposer à Nara que demain. C’est comme tu le sens ! »

Ça se voit qu'Alex connaît bien papa, pas trop besoin de lui faire un dessin ! Il a raison, on est encore un peu à l'abri de la menace de la newsletter. C'est vrai qu'il en a parlé, mais ça nécessitait quand même d'apprendre à se servir de tout le bordel, et ça, c'est clairement pas pour tout de suite ! On est donc à peu près sauvé. À mon avis, on est tranquille jusqu'à ce qu'on soit tous les trois partis de la maison. Là, il aura effectivement le temps de s'y mettre pour de bon, et alors gare à nos boîtes mails ! Mais effectivement, c'est un peu dans les projets de Rollo aussi de venir au Japon... Je pense que ça va vraiment finir par être dur pour papa, même s'il y aura toujours Jonas. Ça m'inquiète un peu des fois, parce qu'Alex a raison, c'est quand même quelqu'un d'extra mon père, même s'il me fatigue un peu des fois. (un peu beaucoup même !)

"Ouai, je crois que ça sera pas facile pour lui quand on sera tous parti. Mais t'as raison pour la mauvaise herbe. Même s'il est moins dur que maman... je pense qu'il retournera pas travailler, par contre tu vas voir qu'il va monter un réseau de voisinage pour être sûr que tous les petits vieux du quartier soient pas isolés, ou un truc du genre en tout cas. Il ira livrer des repas aux gens malades, ou leur laver leur linge..."

Ça lui irait bien oui. En vrai j'espère qu'il retournera pas travailler. Je pense pas que ça soit fait pour lui... Il va se faire manger tout cru s'il y retourne ! Ce qui est con, faudrait sans doute plus de gens comme lui dans les entreprises en vrai... Mais ce genre d'initiatives... ouai ça lui irait super bien je pense. Tu vas voir qu'il va te créer de la solidarité à partir de rien les gens vont rien comprendre ! On va dire que c'est sa force à lui, s'occuper des autres. C'est moins spectaculaire, et vu son style, un peu plus ridicule, mais il en faut aussi... Notre famille elle aurait pas tenu sans tous ses efforts.

"Je crois qu'on peut lui faire confiance. Puis au pire ma mère se chargera de lui ramener les pieds sur terre !"

Sans doute pour ça que ça marchait bien entre eux malgré tout. Ils ont leur équilibre, même si je pige pas trop et qu'ils ont franchement l'air aux antipodes !

Ça a pas eu l'air facile non plus dans la famille d'Alex, même s'ils ont trouvé comment s'en sortir au final. Ça c'est plutôt chouette. Zont l'air plutôt soudés de son côté. Par contre le coup du droit c'est pas mal drôle ça !

"Sérieux ? Non papa m'a pas dit. Il est dans quelle branche ton père ? Pourquoi t'as fait flic finalement ? Mais t'inquiète, mon cursus a été aménagé, comme toute façon les calendriers universitaires correspondaient pas entre l'Islande et le Japon. Donc j'ai un an et demi avec un emploi du temps allégé... Ça va me laisser le temps de m'habituer à bosser du droit en japonais !"

J'avais commencé à plancher sur tout le vocabulaire et les kanjis, mais pfou ! J'avais encore du chemin à faire pour être capable de suivre les cours sans trop ramer. Mais normalement, ça devrait le faire. Bon par contre, je pense pas lui demander quoi que ce soit pour les thunes. Normalement ça devrait le faire. Même si je suis toujours content de voir que je suis pas le seul à vouloir rabattre le caquet de ma mère !

"T'inquiète. J'ai des jobs étudiant depuis mes 16 ans, alors ça devrait pas poser de soucis ! Mais c'est gentil. Tu vas, elle fera moins la maline dans une an !"

Faut juste être patient quoi. Et ça, je compte bien l'être !

On se gare finalement dans une ruelle, et vraiment ça fait siiiii bizarre d'être là ! oua j'arrive pas à le croire... Ce matin encore j'étais à Reykjavík, c'est complètement dingue quand t'y penses ! Par contre, je hausse un sourcil moqueur à la remarque d'Alex. Comme si j'avais besoin d'aide pour sortir de ma zone de confort tiens ! Je réponds donc directement en japonais... bon ok, je parle pas avec le meilleur accent du coin, et parfois faut que je réfléchisse deux secondes, mais quand même ! Et ça m'empêche pas de parler avec un air de défi. Il croit vraiment qu'après avoir planté ma mère sur le parvis de l'aéroport pour me barrer à l'autre bout du monde tout seul c'est parler japonais qui va me faire peur ???

"Aucun soucis pour moi. Au pire tu comprendras rien quand je parle ! Et arrête avec mes cheveux, je vais te mordre, je plaisante pas !"

Toi je vais t'acheter une perruque à Noël c'est tout ce que tu vas gagner ! Non mais. On a pas idée de faire ça... surtout qu'on s'est jamais vu avant aujourd'hui ! Enfin si, mais genre moi je m'en souviens même pas alors ça compte pas !

Je le suis à l'intérieur et on prend place sur un tabouret d'où je m'attèle à déchiffrer le menu. C'est pas la panique comme à l'aéroport. Toujours un peu l'impression que tout ça est complètement irréel. Étrange. Mais faut bien admettre que de pas être tout seul, d'avoir un filet de sécurité, au moins pour ce soir, ça aide quand même un peu. Enfin je vais pas l'admettre à haute voix non plus ! Faut pas déconner ! Je sors de mon déchiffrage / réflexion sur à quel point je crève la dalle quand Alex me demande pour ce soir. Ha oui ça !

"Alors c'était pas très clair. En gros j'ai une chambre dans la résidence de l'université. Normalement les arrivées c'est le matin, comme ça on a la visite l'état des lieux et toute la paperasse. Si vraiment on peut arriver le soir, mais du coup c'est le veilleur qui s'en charge et apparemment ça les arrange pas trop. Donc à la limite si ça te gène pas, ça a l'air mieux d'y aller demain. Sinon je me débrouille."

Dans un cas comme dans l'autre, j'étais pas à la rue. Y avait juste une solution qui semblait moins bien organisée par l'académie quoi. On vient alors prendre notre commande, et j'arrive à passer la mienne, non sans devoir m'y reprendre une ou deux fois parce que je m'embrouille tout seul dans les niveaux de formalité, mais quand même, j'y arrive !

"S'il m'apporte un bol plein de sauterelles, j'imagine que je me serais trompé. Tu me diras peut-être c'est bon les ramens aux sauterelles... quoique... le bouillon ça doit les rendre toute molle..."

Si on a même plus droit de réfléchir à ce que donnerait des ramens aux sauterelles où va le monde !

"C'est comment ton boulot alors ?"

Je ne pus que rire en entendant Askjar imaginer ce que son père pourrait faire de sa vie si jamais tous ses précieux enfants venaient à quitter le nid. C’était tellement probable ! Franchement, Kark était le type le plus gentil que je connaisse, c’était vraiment une perle ! Mais au lieu de continuer à parler de sa famille, qui était quand même un peu la mienne, la conversation dévia sur les raisons de ma venue au Japon, puis sur mes liens avec mes parents, ma sœur et mes grands-parents maternels. C’était quand même drôle de se rendre compte que le droit semblait être une affaire de famille !

« Il est avocat spécialisé dans le droit pénal ! Et je crois que j’ai préféré changer de voie au dernier moment, parce que je me suis rendu compte que je préférais l’action du terrain à celle dans des tribunaux. J’suis un peu trop hyperactif pour réussir à me contenter de rester dans un bureau, devant des piles de dossiers, à préparer mes audiences ou à passer des tonnes de coups de fil. Tu vois le genre ? »

En tout cas, je fus grandement soulagé d’entendre Askjar me dire que tout se passerait bien pour lui, qu’il aurait un an et demi avec un emploi du temps allégé à cause des aménagements mis en place pour la poursuite de son cursus ici, puis quand il m’expliqua qu’il devrait pouvoir s’en sortir financièrement. J’avais proposé mon aide avec grand plaisir, mais ça m’arrangeait de ne pas avoir à trop dépenser pour mon petit neveu, parce que l’argent que je gagnais actuellement n’était pas des plus propres… C’était en partie pour ça que je ne dépensais jamais plus que nécessaire pour mon quotidien et que mon régime alimentaire laissait pas mal à désirer, tout comme l’état de mon logement.

Quoi qu’il en soit, nous arrivâmes à destination et je m’empressai de le taquiner pour voir s’il était prêt à sauter dans le grand bain en employant le japonais plutôt que l’islandais. Sa réponse me fit rire et je me retins de justesse de lui ébouriffer une nouvelle fois les cheveux.

« Ça devrait le faire, je suis habitué à discuter avec des gens qui ont un accent à couper au couteau ! Par contre, pour tes cheveux… Je te promets rien, c’est un vieux tic de grand-frère ça ! Et puis, tu n’oserais pas me mordre, je le sais ! Comment tu ferais pour rouler jusqu’à Nara sinon ? Je sais que tu m’épargneras jusqu’à ce que j’aie fini de jouer les chauffeurs ! »

Nous quittâmes donc la voiture pour nous assoir sur les tabourets de cette échoppe servant les meilleurs ramens du coin, puis après avoir laissé un peu de temps à Askjar pour qu’il regarde les menus, je le questionnai sur son arrivée à Yokuboo et notre planning de la soirée. Faire la route jusqu’à Nara serait plus long que de nous rendre à Kumoru pour une nuit, mais c’était faisable ! J’avais accepté de jouer les taxis, alors quelle que soit sa décision, j’acceptais de m’y plier !

« Je vois… Bah écoute, si ça te tente, on fait route sur Kumoru après avoir mangé, on passe la nuit chez moi et on file dès demain matin en direction de Nara pour que tu puisses faire correctement ton arrivée dans ton nouveau logement ! C’est pas très grand, mais on s’arrangera ! J’te laisserai mon lit et je dormirai sur le canapé, j’suis habitué à dormir avec un peu moins de confort, et j’serais le pire des tontons si j’te permettais pas de récupérer au mieux de ton décalage horaire ! Ça te convient comme ça ? »

Je pouffai ensuite en entendant Askjar passer sa commande après moi, un rire franchissant finalement mes lèvres à ses mots.

« J’suis pas sûr que ce soit leur meilleure spécialité, mais pourquoi pas ? T’es venu ici pour découvrir de nouvelles choses après tout ! Par contre, désolé, mais si jamais t’aimes pas tes ramens aux sauterelles, j’t’aiderai pas à finir ton bol ! »

Machinalement, je tendis la main vers lui pour lui ébouriffer une dernière fois les cheveux. Je la retirai bien vite pour ne pas qu’il mette sa menace à exécution, puis affichai un petit sourire à sa question. Comment était mon boulot ? Ah… S’il savait… J’avais horreur de devoir mentir à mes proches, mais là, je n’avais pas le choix. Je ne mettais déjà pas Askjar dans la meilleure des positions en me retrouvant avec lui alors que j’étais en pleine manœuvre pour intégrer le gang de yakuzas le plus puissant de Kumoru, alors je ne pouvais décemment pas lui dire la vérité.

« Oh tu sais, c’est pas aussi palpitant que dans toutes ces émissions que tu peux voir à la télé ou comme toutes ces séries policières qui se passent aux États-Unis ! Le Japon est un pays plutôt tranquille, mais là où je vis, à Kumoru, c’est un peu moins paisible. Tu devrais vraiment pas être embêté à Nara, j’m’inquiète même pas pour toi. Par contre, j’aurais été bien moins rassuré si tu étais venu faire tes études par chez moi ! Y’a pas mal de magouilles qui se font dans tous les coins, y’a quelques agressions aussi, mais je m’occupe principalement de la paperasse. J’suis pas hyper gradé pour le moment, donc tous les trucs les plus palpitants sont réservés à mes supérieurs ! J’suis fort heureusement pas collé à la circulation, mais disons que j’suis à mi-chemin entre ça et les trucs badass qu’on voit dans les séries ! »

Je pouffai et remerciai l’homme qui nous apporta nos bols. Je salivai d’avance rien qu’en le regardant, puis je tournai mon regard vers Askjar en fronçant le nez.

« Alors ? Avoue que rien que l’odeur ça fait déjà grave saliver hein ? Attends d’y goûter, tu vas pas t’en remettre ! C’est vraiment les meilleurs du coin ! Bon appétit, mon petit Askjar ! »

Je ne perdis pas une seconde de plus pour commencer à manger. C’était qu’avec tout le boulot que j’avais à faire, mes faibles moyens et le peu de temps que je m’accordais, c’était comme m’offrir un cadeau de Noël que de poser devant moi un aussi bon et gigantesque bol de ramens !

Je voyais complètement le genre. D'autant qu'effectivement, c'était quand même ce qui m'inquiétait un peu à suivre cette voie... J'avais du mal à tenir en place et dès que je pouvais, j'aimais autant être dehors. Pour les cours c'était un peu tout l'un ou tout l'autre. Soit je m'emmerdais à mourir et j'avais qu'une envie c'était me barrer dehors, soit ça m'intéressait vraiment et là je voyais pas le temps passer. Ce qui était aussi un peu rassurant non ? Vu que les cours qui me passionnaient étaient les cours en lien avec mon futur boulot... si je faisais tout ça pour me planter en bout de ligne, j'allais vraiment entendre parler du pays moi ! Et surtout j'aurai bien merdé... mais on allait pas s'attarder là dessus ! Alors je remets mon angoisse dans ma poche et on va penser à autre chose ! Non mais.

"J'ai raté l'importance de l’ébouriffage de cheveux dans la formation de grand frère, faudra que tu m'apprennes. Ou pas. Je ne suis pas sûr que Rollo et Jonas apprécient ! Mais je pourrai te raconter si tu veux."

Je claque un peu des mâchoires, histoire de lui signifier qu'il est pas totalement à l'abri de se prendre un coup de dent. Au pire, je peux toujours faire du stop, tant pis ! Ça serait pas la première fois. Bon ça m'arrangerait qu'à moitié parce que je suis pas complètement sûr que ça soit un super bon début dans mon nouveau pays. Mais ça restait de l'ordre du faisable ! M'enfin la perspective de dormir ailleurs qu'à la belle étoile après le vol de 18 heures, je dis pas non !

"Ça me va. T'es sûr que ça ira de dormir dans ton canapé ? Non parce que bon, à ton âge c'est pas très bon pour ton dos !"

Je lui balance avec un sourire moqueur. Quoi ? lui aussi il taquine ! Je peux bien lui rendre la pareille ! Puis c'est pas méchant. D'autant qu'en vrai ça me gênerait pas de dormir sur le canapé donc bon... Y a pas non plus besoin de surmultiplier les politesses, il est déjà bien assez sympa de jouer les taxis et m'héberger pour la nuit parce que c'est plus simple ! S'il préfère pieuter dans son lit, ça me paraît normal...

Après quoi, je réussis quand même tant bien que mal à passer ma commande, même si je suis pas complètement sûr d'avoir réussi à me faire comprendre. La perspective du ramen aux sauterelles est donc bien à prendre en compte !

"Tant pis alors, je partirai à l'aventure tout seul au pays de la sauterelle nageuse !"

Cette fois-ci, Alex arrive à se retenir de me chahuter la tignasse. On progresse ! Comme quoi, les promesses de morsure, ça joue ! Je l'écoute me parler de son taf, et je sais pas c'est bizarre. Ptet parce qu'il est déçu de faire que de la paperasse ? Ou que c'est pas le taff qu'il imaginait ? Enfin après jle connais depuis genre une heure, alors ça fait un peu court pour savoir ce qu'il pense vraiment...

"T'es pas trop déçu alors ? Tu disais tout à l'heure que t'avais laissé tomber le droit pour pas être coincé dans un bureau, et au final tu manges quand même de la paperasse... T'arrives quand même à trouver des choses qui t'intéressent dans ton métier ?"

Non parce que ça serait con quand même après tout ça qu'il regrette... à croire que ça me stresse vraiment l'idée d'être en train de me planter complètement de voie... c'est ça qui lui est arrivé à Alex ? Ou c'est juste une étape ? Raaaaah ! C'est quand même un brin stressant l'avenir ! Quand je pense qu'il y a quelques mois encore ça me paraissait tout tracé... maintenant le moindre truc me fait douter... Heureusement, les ramens arrivent et l'odeur suffit effectivement à tout effacer ! Vive la bouffe ! J'en repasse à l'islandais par réflexe tellement ça a l'air bon !

"Ça sent vraiment trop bon oui ! Puis j'ai trop faim ! Bon ap tonton !"

Ça fait tellement envie que je me formalise même pas d'être traité de petit tiens. Et c'est aussi bon que ça en a l'air ! Balayé le stress et les petites angoisses, le bouillon chaud emporte tout sur son passage, et je suis à nouveau parfaitement sûr de mes choix !

"Tu sais quoi ? C'est effectivement un délice. Merci !"

Je ne pus me retenir de rire quand il me répondit en claquant des mâchoires pour me montrer qu’il serait tout à fait capable de m’attaquer si jamais j’osais toucher une nouvelle fois à sa tignasse blanche.

« Comment ça ?! Tu rigoles, c’est un truc que tous les petits-frères et sœurs adorent ! Franchement, t’as loupé un truc super important, mais bon… Promis, je tâcherai de t’apprendre à le faire bien comme il faut pour que tu puisses rattraper le temps perdu avec tes deux frères ! »

Mon sourire amusé disparut bien vite pour laisser place à un air faussement vexé quand mon neveu me lâcha qu’il était peut-être dangereux pour moi de dormir sur mon canapé vu mon âge.

« Dis donc… T’es pas un peu trop à l’aise avec moi alors qu’on se connaît que depuis tout juste 2 heures ? T’as pas froid aux yeux ! T’as de la chance que j’me vexe pas facilement, parce que tacler un apollon tel que moi qui n’a même pas la trentaine, c’est pas des choses à faire avec tout le monde si tu veux pas qu’il t’arrive des misères pendant ton sommeil ! »

Je plissai les yeux et finis par pouffer, lui donnant un petit coup à l’arrière de la tête.

« Sale gosse ! J’te remercie pour ta sollicitude, mais mon dos se porte à merveille ! Tu fais du sport d’ailleurs ? Non parce que s’il le faut, j’suis capable de te faire une démo de ce que vaux ton « vieux » tonton dans ta discipline ! »

Bon, okay, il avait peut-être un peu piqué mon égo avec sa remarque ! Mais je prenais ça comme un défi, défi que j’avais assez étrangement envie de relever pour lui prouver qu’il ne pourrait pas me coucher si facilement.

Mais avant de penser à prouver à mon neveu à quel point je pouvais être fougueux, il fallait se remplir l’estomac ! Nos commandes passées, j’évoquai un peu mon « travail », affichant une moue à ses questions.

« Baaaah… Disons que je savais bien que j’allais pas pouvoir aller sur le terrain dès ma première année, mais j’t’avoue que c’est parfois un poil long… Et je sais pas si ton père t’a parlé de mon côté sale gosse, ça aussi ça doit être un trait de famille d’ailleurs, mais il m’arrive d’aller parfois un peu plus loin que ce que mon poste requiert de faire. J’me suis déjà fait taper sur les doigts à plusieurs reprises, mais je pense que mes supérieurs ont abandonné l’idée de me coller en non-stop à mon bureau pour faire de la paperasse. J’t’avoue que c’est plutôt grisant de passer les menottes à un sale type ! »

Bon, c’était grisant, certes, mais pas autant que se retrouver à jouer les infiltrés ! J’avais toujours aimé vivre dangereusement et j’étais on ne peut plus servi actuellement !

« C’est long, mais je sais que c’est une étape nécessaire pour pouvoir enfin faire le boulot de mes rêves ! Ça risque d’être la même pour toi avec les études, mais te décourage pas ! Pense à tout ce que tu pourras faire une fois ton diplôme en poche ! »

Je lui offris un sourire réconfortant et qui se voulait encourageant, avant que des étoiles ne viennent pétiller dans mes yeux à la dépose de mon bol de ramens juste devant moi. Je joignis mes mains et attrapai mes baguettes, lançant un autre grand sourire à mon neveu. Je soupirai d’aise dès que la saveur du bouillon vint titiller mon palais, puis me tournai vers Askjar pour guetter sa réaction. Je pouffai et fronçai alors le nez, heureux de le voir de nouveau en pleine forme.

« Avec plaisir ! Je connais pas mal de bonnes adresses, alors hésite pas si jamais t’as envie d’un bon repas en compagnie de ton tonton préféré ! Par contre, les ramens, c’est encore meilleur quand c’est bien chaud ! Alors on reprendra les grosses discussions dans la voiture si ça te va ! »

Je lui souris et attendis son aval pour m’attaquer à mon bol avec appétit. Ce que c’était bon ! Nous continuâmes à discuter brièvement entre deux bouchées, jusqu’à ce que je termine complètement mes ramens en gobant les œufs marinés. Le meilleur pour la fin !

« Pouaf ! J’suis plein ! Tu veux marcher un peu avant de rentrer ? Histoire de digérer un peu ! »

Je tapotai mon estomac, avant de gigoter sur mon tabouret pour en sortir mon portefeuille tout sauf plein, sortant mes derniers billets pour payer notre repas. Nous n’avions plus qu’à y aller, direction Kumoru, avant qu’Askjar ne commence sa nouvelle vie dès le lendemain !

Je doute que les frangins partagent son opinion sur l'ébourrifage de cheveux des aînés ! Encore que ça ferait sans doute marrer Jonas. Rollo par contre... bah il va sans doute réagir comme moi. Sauf qu'il me ferait une clé de bras. Ou en tout cas qu'il essaierait ! Ok j'avoue rien que pour voir Rollo tenter une clé de bras, ça vaut presque le coup de voir ça ! Comme quoi il a ptet raison le tonton Alex, ça vaut peut-être le coup d'apprendre tout ça, on ne sait jamais !

Pendant deux secondes, j'ai presque cru qu'effectivement, j'avais surestimé le sens de l'humour de mon cher "oncle". C'est vrai que c'était peut-être beaucoup. En même temps j'avais jamais eu ma langue dans ma poche. Puis bon, j'y suis pour rien si c'est lui qui veut se la jouer "grand aîné tout plein de sagesse". Mais non, ça passe. Enfin, je suis à peu près sûr qu'il y a quand même un fond de vexation. Je serais pas surpris que le sens de la compétition fasse aussi partie de la famille, même si mon père est complètement passé à côté !

"Woua, un Apollon carrément ? T'as raison je peux pas lutter ! Je devrais me méfier plus on sait jamais. Promis, je ne suis pas venu te faire concurrence ô fier Apollon de toute première jeunesse !"

En même temps, s'il est vraiment vexé, il a la vexation classe. Mais qu'est-ce qu'il est tactile ! Vlà que jme prends une tape sur la tête. Et il a beau dire que jme permets vachement, je me vois mal lui rendre la pareille...Raaah, ces façons subtiles qu'ont les adultes de te rappeler que c'est eux les adultes tiens ! Oui oui c'est bon j'ai compris c'est moi le môme et toi l'aîné raaah ! C'est si agaçant parfois, encore plus quand ça vient de ceux qu'on trouve sympa ! Mais bon, on va rien dire hein. Au pire on va dire que ce coup-ci jlai bien cherché.

"J'étais guide de montagne en Islande. Et sinon je fais de la muscu et je suis coureur de marathon. D'ailleurs j'ai trop hâte de faire celui de Tokyo ! Je m'installe et je commence mon entraînement pour... Tu l'as déjà fait ?"

Bon c'est peut-être beaucoup présumer de l'imaginer en coureur de marathon, mais bon c'est lui qui veut me montrer l'étendu de ses talents, je ne fais que répondre à la perche. Puis en vrai, s'il est coureur, ça peut être cool ! C'est quand même plus sympa de s'entraîner avec quelqu'un, même ponctuellement.

Alors autant je n'ai aucun mal à croire Alex quand il se décrit comme un sale gosse, autant mon père en sale gosse ??? Là j'aurais du mal à y croire. Ça aussi il a dû être passé à côté lors de la distribution. En fait plus ça va, plus j'ai l'impression que même dans sa famille, papa c'était un peu un alien. Je me demande s'il s'est senti seul à cause de ça ? On a jamais trop parlé de ça lui et moi... Enfin en attendant, ça m'aide pas mal d'entendre Alex parler de son boulot, y compris des côtés chiants, c'est étrangement rassurant on va dire.

"Et c'est quoi toi du coup le boulot de tes rêves ?"

J'ai du mal à me rendre compte ce qui faire rêver dans cette partie du métier, mais c'est cool de l'écouter en parler. Au moins c'est vivant quand il raconte ! Puis bon... les encouragements aussi ça fait du bien. L'impression qu'il a pigé le "problème" un peu... je hoche la tête. Ouai, ça vaut le coup. Faut juste que je me rappelle de ce qu'il y a au bout du tunnel ! Et que je m'accroche jusque là... Hors de question de laisser tomber toute façon ! J'ai décidé que je ferai bouger les choses, et je compte bien m'y tenir !

Les ramens arrivent, et je ne peux qu'approuver Alex lorsqu'il propose qu'on se contente de manger. J'ai beaucoup trop faim ! Puis c'est galère de manger en même temps qu'on parle ! D'autant que bon, à un moment, il faut bien avoir des priorités quand même ! C'est beaucoup trop bon pour gâcher tout ça en racontant des conneries, ce qui a quand même l'air d'être notre spécialité à tous les deux. Je termine mon bol avec un air de satisfaction évident.

"Va pour la marche ouai !"

Voilà, de toute façon, là on aura encore le temps de parler avant de repartir vers sa ville. Et de faire des défis débiles vu que je suis sûr qu'il a encore ma remarque en travers de la gorge mine de rien, mais c'est pas grave, j'aime bien les défis débiles ! Puis je l'aime bien aussi cet oncle sorti de nulle part. Au moins, mon séjour dans ce pays commence bien !