Une nouvelle journée de travail commençait pour James. Son sommeil était toujours aussi court et agité, mais depuis qu’il partageait son chez lui avec Jilian, il sentait qu’il y avait quand même du mieux. C’était agréable de pouvoir parler avec quelqu’un, de ne plus être seul une fois le travail terminé… Bon, c’était sans doute un peu moins agréable d’avoir toujours un peu mal à son arcade sourcilière à cause de ce maudit typhon ! Dire qu’il avait réussi à se faire mettre K.O. par une branche d’arbre en plein visage dès le début, alors qu’il n’avait même pas eu le temps de s’occuper de la première étudiante qu’il avait approché… C’était vraiment beaucoup trop la honte ! Ça l’était même tellement que c’était un sujet dont il évitait bien soigneusement de parler… Son arcade était donc toujours un peu douloureuse et on y voyait une belle petite cicatrice, mais le pire était passé. Les travaux avaient été faits rapidement, mais consciencieusement, et ils allaient tous pouvoir repartir du bon pied pour cette rentrée de septembre !

Quoi qu’il en soit, même si le temps passait, James était du genre à aimer avoir sa petite routine et s’y conformer. Chaque matinée de travail commençait de la même façon : il arrivait sur le campus (en voiture avec Jilian du coup), se rendait à l’infirmerie pour se changer, puis il allait en salle de repos pour prendre un bon café bien noir et bien corsé, histoire de se donner suffisamment d’énergie pour affronter la journée (après celui qu’il avait déjà pu boire chez lui pour son petit-déjeuner). Sur place, il s’installait confortablement et lisait en toute tranquillité le petit journal qu’on distribuait non loin de l’entrée de l’Académie. Tranquillité qui fut bien vite réduite à néant par un nouvel arrivant dans la pièce. James ne le remarqua pas tout de suite, le nez dans son journal et sa tasse de café à la main. Il entendit vaguement une voix qui ne lui était pas familière, mais il préféra garder son attention focalisée sur sa petite bulle paisible. Sauf que cette voix se rapprocha et s’adressa même à lui.

Fronçant un peu les sourcils, se demandant qui pouvait bien le tirer de ses rêveries, le regard émeraude de James se posa sur un visage qui lui ne lui était pas du tout familier. Et… le moins qu’on puisse dire, c’était que l’Américain ne s’était pas du tout préparé à une telle agression dès le matin ! Comment on pouvait avoir autant de bagout et d’énergie alors que la journée ne faisait que commencer ?! Le médecin scolaire avait entrouvert la bouche, mais il n’avait pas réussi à en placer une jusqu’à ce que ce fameux Suzuran prenne place face à lui, tapant dans la table par la même occasion. Ce petit choc manqua d’ailleurs de faire renverser son café à James. Fort heureusement, sa boisson chaude fut sauve, ce qui ne fut pas le cas du téléphone du nouvel arrivant. L’Américain ne put s’empêcher de le fixer avec de grands yeux ronds, avant qu’un soupir de dépit ne passe finalement ses lèvres. Quel phénomène on lui collait encore ? Attendez… C’était quoi cette histoire de visite ?!

« C’est bien moi oui, enchanté de faire votr-… »

Argh… Le tutoiement, ce n’était vraiment pas sa tasse de café (hohoho) ! Ni ce genre de caractère beaucoup trop hyperactif et social, qui était son parfait opposé !

« Enchanté de faire ta connaissance et euh… merci ? Je n’étais pas au courant que je devais te faire visiter, mais c’est effectivement une bonne occasion pour apprendre à se connaître. Tu viens juste d’arriver ? Tu sais où se trouve ton bureau ? »

Foutu directeur ! Ce n’était pas la première fois qu’il lui faisait le coup, à dire à des gens qu’il s’occuperait de la visite sans se donner la peine de prévenir le principal intéressé ! Heureusement que James ne travaillait pas seul, il pourrait effectivement prendre de son temps pour faire une petite visite de l’Académie à ce nouveau collègue ! Surtout qu’effectivement, c’était une bonne idée de discuter un peu plus avec Suzuran, puisqu’ils seraient amenés bien souvent à travailler ensemble !

James termina donc son café et replia son journal qu’il laissa à disposition un peu plus loin sur la table. Plantant son regard dans celui de son interlocuteur, se demandant s’il pensait vraiment ce qu’il avait dit pour son teint étant donné que ses cernes étaient quand même un peu marqués, James décida que la meilleure façon d’entamer une discussion avec quelqu’un était de lui proposer une boisson chaude. C’était un peu comme ça que ça s’était passé avec Jilian après tout !

« Tu veux commencer la visite maintenant ? Sinon, on peut discuter un peu avec une boisson chaude. Tu veux un café ? Un thé ? Ou un chocolat chaud ? »

James avait pris l’habitude de rajouter ce dernier choix à ses propositions depuis qu’il connaissait Jilian.

« Ici, c’est la salle de repos. C’est là que se retrouvent les membres du personnel et les enseignants pour leurs pauses. Par quoi est-ce que tu veux commencer la visite ? »

Pour les conversations intéressantes et plus personnelles… On repasserait ! James ne maîtrisait toujours pas cet art, mais il avait comme l’impression que ça ne serait pas un véritable problème avec un tel moulin à paroles en face de lui !

Eh bien… C’était un sacré énergumène qui se trouvait face à lui ! James était déjà fatigué rien que par ce début d’interaction. Pas que ce Suzuran soit désagréable, bien au contraire ! C’était toujours rafraichissant de voir des gens d’aussi bonne humeur et enthousiastes ! Juste que… C’était le matin, et que le matin, c’était dur pour l’Américain, surtout à cause de ses nuits assez aléatoires. Alors là, avec le peu d’énergie qu’il avait, le médecin scolaire avait juste l’impression de se prendre un tsunami d’enthousiasme de plein fouet !

Fronçant un peu les sourcils en se massant les tempes aussi discrètement qu’il le put, James écouta tout de même tout ce que son vis-à-vis lui expliquait. Bon… Ce directeur faisait un peu n’importe quoi quand on y pensait…

« Je vois. Bienvenue à Yokuboo alors, j’espère que tu te plairas ici. Nous pourrons donc commencer ta visite par ton bureau, j’imagine que tu as envie de connaître l’endroit où tu vas travailler. »

Le sien ne se trouvait d’ailleurs pas très loin, ce serait donc plus aisé pour les deux hommes de travailler ensemble ! James espérait juste que Suzuran arriverait à se tenir un peu et à ne pas trop déborder d’énergie en présence des élèves. D’ailleurs, en y pensant… L’Américain était assez curieux de savoir comment il travaillait… C’était dommage qu’il ne puisse pas assister à l’une de ses consultations !

Quoi qu’il en soit, avant de passer à la visite, et puisque Suzuran semblait ravi à cette idée, James préféra lui proposer une boisson chaude. Il pourrait ainsi se resservir un café bien corsé, histoire de récupérer un peu de forces pour l’excursion qui les attendait. C’était quand même dingue d’être un tel moulin à paroles ! Comment il faisait pour toujours avoir un truc à raconter ? Est-ce qu’il ne lui arrivait jamais de finir par épuiser tous ses sujets de conversation ? Pendant qu’il préparait leurs deux boissons chaudes, James en profita pour bouger sa tête à droite, puis à gauche en fermant les yeux, faisant craquer un peu ses cervicales. Il revint ensuite auprès de Suzuran, déposant sa tasse de chocolat chaud devant lui, accompagnée de la boîte contenant les morceaux de sucre.

« Désolé, il n’y a pas de chantilly ici. J’imagine qu’il pourrait être possible d’en avoir si tu préfères prendre ton chocolat comme ça. Je pourrai me renseigner si tu veux. Pour ma part, je ne sais pas si on peut vraiment dire que je suis un amateur de café, mais j’aime en prendre des bien corsés, ça m’aide à faire le plein d’énergie. »

James préféra quand même passer sous silence le fait qu’il en ingurgitait bien souvent beaucoup trop au quotidien. Il savait qu’il avait un problème d’addiction avec cette boisson, mais il ne pouvait pas s’en défaire pour le moment, pas tant qu’il n’aurait pas résolu ces soucis qui l’empêchaient de trouver le sommeil…

Voilà donc les deux hommes, face à face, à siroter tranquillement leurs boissons chaudes. Enfin, tranquillement… C’était vite dit ! L’enthousiasme de Suzuran était toujours bien présent ! À ses mots, James en profita pour parcourir à son tour la salle de repos du regard. La déco était certes assez sobre, mais c’était déjà tellement plus que la déco de son appartement ! L’Américain ne s’était jamais vraiment posé de questions à ce sujet, se disant que l’environnement importait peu du moment qu’il pouvait boire son café et lire son journal…

« Peut-être que la décoration n’est pas encore terminée… Il y a eu des travaux ici le mois dernier, pour tout remettre en état après le typhon. En tout cas, tu as l’air d’avoir beaucoup d’idées. »

C’était un compliment, même si James craignait que toutes ses idées finissent par se réaliser ! Après tout, l’Américain était un peu comme les petits vieux : le changement oui, mais pas trop non plus !

Puis, les mots qui suivirent laissèrent James complètement interdit. Euh… Est-ce que Suzuran venait de lui dire qu’il était beau gosse ? Le fixant en silence, l’Américain finit par se passer une main sur la nuque, ne sachant pas trop comment réagir face à ce compliment beaucoup trop direct.

« Eh bien… Merci ? Au moins, si jamais je ne peux pas rester ici, je saurai que je peux me reconvertir pour jouer un médecin dans un film. »

Wow ! WOW, WOW, WOW ! James venait tout juste de faire une tentative de blague ! À croire que Suzuran commençait à déteindre sur lui !

« En tout cas, si jamais tu as besoin d’aide pour te repérer, n’hésite pas. Mon bureau ne se trouve pas très loin du tien. Et pour ce qui est de mon travail ici… Disons que c’est plutôt calme, je m’occupe surtout de petits bobos ou du suivi de certains traitements. Ça me change de ce que j’ai pu faire ou voir pendant mes années en tant qu’interne. Je ne dirais pas que c’était vraiment dur puisque c’est ce que j’ai toujours voulu faire, mais certains moments étaient certes compliqués. Et j’ai toujours été médecin, oui. »

C’était certain à présent, Suzuran avait un super pouvoir. C’était assez rare que James parle autant, et ça l’était encore plus quand il s’agissait de parler de lui !

Le brun voulut ensuite poser quelques questions en retour à son interlocuteur, mais il n’eut même pas besoin de le faire puisque celui-ci se remit à parler sans s’arrêter ! Heureusement que James avait sa tasse de café pour espérer réussir à tout suivre ! L’Américain regretta d’ailleurs un peu de ne pas avoir décroché quand Suzuran évoqua ses parents. Détournant les yeux pour fixer sa tasse de café déjà vide, James s’entendit grogner discrètement dans sa barbe. C’était THE sujet délicat !

« J’imagine que tous les parents sont un peu exigeants avec leurs enfants, mais certains le sont bien plus que d’autres. Les miens étaient médecins aussi, donc ils ont toujours placé beaucoup d’espoirs en moi. Et puis, comme nous travaillons dans une académie assez élitiste, j’imagine que les élèves souffrant de pression de la part de leurs parents ne doivent pas manquer ici… Tu risques d’avoir du travail avec ça, mais aussi avec le typhon qui a eu lieu juste avant les vacances d’été… »

Nul doute que bon nombre d’étudiants avaient effectivement une grosse appréhension à l’idée de revenir ici après tout ce qui avait pu se passer lors de cet événement ! En tout cas, James se trouvait vraiment bavard… Il n’avait pas étalé toute sa vie et ses relations beaucoup trop houleuses avec ses parents, ne s’étant contenté que du minimum, mais il en avait déjà dit bien plus à Suzuran qu’à tous ses autres collègues réunis ! Bon, sans compter Jilian, bien évidemment…

Jouant avec sa tasse vide, James hocha doucement la tête à la nouvelle tirade du psychologue.

« J’étais là oui, c’était assez impressionnant. Mais comme tu l’as dit, il y a eu surtout plus de peur que de mal pour tous ceux qui étaient à l’Académie quand c’est arrivé. Et c’est gentil de proposer, mais je vais bien. J’ai juste eu quelques blessures. »

Le typhon, c’était quand même du pipi de chat comparé à tout ce qu’il avait pu voir lors de son année en tant que médecin de guerre ! James avait d’ailleurs toujours refusé de parler à un psychologue depuis son retour au Japon, et même si Suzuran était un collègue pour le moins sympathique, il était hors de question que quelqu’un travaillant avec lui apprenne tout ce qu’il avait pu vivre. Cette histoire ne regardait que lui après tout.

Fort heureusement, le sujet put vite être écarté puisqu’il était temps de passer à la visite des locaux ! James fut vraiment soulagé quand Suzuran se leva pour mettre sa tasse à laver, lui emboîtant le pas pour faire de même avec la sienne. L’Américain fit ensuite un signe de la main à son collègue pour l’inviter à sortir de la pièce.

« Très bien. Nous allons commencer par le bâtiment administratif puisque nous y sommes déjà et que c’est là que tu vas, très certainement, passer le plus de temps. Si tu as des questions pendant la visite, n’hésite pas. »

James commença à marcher dans le long couloir du bâtiment, présentant chaque salle une à une : le bureau du directeur, le secrétariat, la salle des professeurs et finalement…

« L’infirmerie se trouve juste ici, avec mon bureau. Le tien est juste à côté. »

L’Américain prit les devants et poussa la porte du bureau de son collègue, lui faisant un nouveau signe de la main pour le laisser entrer le premier. C’était son nouveau chez lui après tout ! Les deux hommes pénétrèrent donc dans ce bureau vide et dénué de toute décoration, le prédécesseur de Suzuran n’ayant visiblement rien oublié de ses affaires personnelles.

« Tu veux que je te laisse prendre tes marques quelques instants ? »

Suzuran entra aussitôt et remercia le médecin scolaire pour son aide. Pour l'heure, il avait effectivement besoin de prendre ses marques, alors James préféra s'éclipser en lui lançant qu'il n'aurait qu'à venir le retrouver à son bureau, celui juste à côté, quand il serait prêt pour la suite de la visite. Refermant la porte derrière lui, l'Américain ne put retenir un léger soupir de soulagement alors qu'il se frottait la nuque. Ce type avait beaucoup trop d'énergie à revendre dès le matin ! Cette pause dans son bureau, en attendant que Suzuran revienne à la charge, allait donc lui faire le plus grand bien ! Il allait d'ailleurs en profiter pour se boire un autre café...