« Ostie Cat, tu peux pas te nourrir juste de nouilles! »

Son frère n'avait pas trop apprécié découvrir l'amoncellement de bols de nouille instantanée en arrière-plan de sa dernière photo. Il s'était inquiété de voir qu'elle avait perdu quelque kilo aussi. Lui faisant promettre de prendre un bon repas et même d'aller s'acheter un peu de bonbons pour lui redonner assez d'énergie pour se prendre en main. Il lui avait fait un virement bancaire et avait accepté de ne pas en parler à leurs parents si elle lui envoyait une photo de son repas du soir et d'une quantité respectable de bonbons. Bon en tant qu'étudiant en médecine, il avait une drôle de façon de prescrire une bonne alimentation à sa petite soeur, mais il connaissait sa dent sucrée et savait que si elle avait arrêté les sucreries, c'est qu'elle n'allait pas bien.

Ainsi, elle était partie en fin de journée de son studio pour se rendre en premier lieu à la boutique de bonbons qu'elle avait découverts il y a quelque temps. L'étudiante n'avait pas eu le temps encore de s'y rendre donc tant qu'à être obligée de prouver ses achats, elle se dit que c'était le moment ou jamais. La température commençait déjà à être chaude pour le mois de juin. Vêtue simplement d'un pantalon trois-quarts noir et d'un t-shirt à motif, Catherine faisait le tour de l'endroit pour d'abord avoir une bonne idée des différents produits avant de faire son choix. Vu la température, mieux valait ne pas prendre de chocolat ou quelque chose qui pourrait fondre.

Le son de clochette qui retentit par la porte d'entrée qui s'ouvrait fit lever la tête à la jeune femme. La vue d'un chapeau haut de forme assez particulier était difficile à manquer et elle savait exactement qui se trouvait dessous lui. Le fameux bibliothécaire qui était aussi son patron à l’école et dont ils avaient déjà parlé de bonbons ensemble. Elle lui avait fait goûter à certains bonbons qui venaient de son pays, en particulier ceux à l'érable. Elle avait aussi été « victime » de ses petits messages glissés dans ses cahiers ou sur son espace de travail. Dernièrement, il lui semblait qu'il avait maigrit, déjà qu'il n'était pas très gros. En même temps, même elle avait perdu un peu de poids. Elle espérait tout de même qu'il allait bien et c'est peut-être la raison pour laquelle elle l'approcha, l’appelant doucement par son nom, car elle arrivait par sa gauche. Il fallait toujours faire attention lorsqu'on arrivait par la gauche vu son oeil.

— Monsieur Doe? Vous venez refaire votre réserve?

Elle lui fit simplement un sourire.

— Peut-être que vous pourriez me donner quelque conseil? Mon frère m'a ordonné de me faire une réserve, mais vu la température, j'hésite sur lesquels prendre, je ne veux pas que ça se colle tout ensemble.

Oui, elle aurait pu demander à une vendeuse, mais c'est toujours plus facile de demander à une personne qu'on connait déjà et en prime, il lui avait déjà donné des suggestions, maintenant, il avait tout un étalage devant eux.

Le brouhaha de la rentrée commençait enfin à se tasser...et donc, le stress qui allait avec commençait juste à redescendre. La rentrée, c'était toujours un moment de grand rush pour Jilian. Il fallait s'assurer que la nouvelle équipe d'étudiants travaillant à la bibliothèque était au point.Tous les ans il y avait des désistements à la dernière minute, alors il fallait retrouver de nouvelles personnes. Ça avait beau être la même chose tous les ans, il avait absolument horreur de ça. Ensuite il fallait faire les emplois du temps de l'équipe étudiante. Et puis les visites pour les nouvelles classes de lycée et les premières années de licence. Puis le retour de certains profs désireux de lancer divers projets...Bref, entre avril et juin, le bibliothécaire ne chômait pas ! Il enchaînait la fin d'un année et le lancement d'une autre...

En plus de ça, il avait ses propres soucis. Enfin soucis n'était sans doute pas le bon mot, tracas fonctionnerait sans doute mieux. Il ne se rappelait même plus comment, mais de fil en aiguille, de liens en liens, il s'était retrouvé à lire des choses sur les troubles du spectre autistique et force est de constater qu'il cochait beaucoup de cases. Il avait d'abord préféré faire comme si de rien n'était, nier le tout. Au final, ça ne changeait rien non ? Mais ça restait quand même à tourner dans le fond de sa tête, l'obligeant à reconsidérer de nombreuses choses sur lui, sur sa propre histoire. La seule personne avec qui il se sentait capable d'en parler, c'était James. Sauf que pour le moment, il n'en avait pas eu le courage, de peur que ça change tout. Cela faisait donc quelques mois qu'il était tout seul à faire ça, à retourner ça dans tous les sens sans trop savoir quoi en faire.

Finalement, cette période de surcharge au travail avait presque été la bienvenue. Il s'y était jeté éperdument histoire de ne plus avoir à penser à tout ça. C'était un plan qui ne fonctionnait pas si mal dans le fond ! Il était efficace et le travail avançait bien. La seule chose c'est que l'idée ne partait pas pour autant. Alors Jilian avait sans doute un peu négligé certains aspects de sa vie. Chez lui, ça se traduisait en général par une alimentation, disons... un peu aléatoire ! Il sautait parfois des repas, il lui arrivait régulièrement de ne manger que des gâteaux pour tout repas et sa consommation de bonbons avait explosé...

Maintenant que le rythme de travail revenait petit à petit à la normale, Jilian devait se rendre à l'évidence : il fallait qu'il se ressaisisse. En enfilant sa veste préférée, il s'était rendu compte qu'il avait maigri. Déjà qu'il n'était pas épais ! S'il continuait il allait finir par inquiéter James... s'il se rendait compte de quelque chose, il faudrait au moins qu'il puisse lui dire que les choses allaient en s'arrangeant ! Donc il fallait qu'il remette un minimum d'ordre dans ses habitudes alimentaires... Mais pour ça, il fallait d'abord retourner vers le plein de bonbons !

Sans prendre la peine de vérifier si une autre de ses vestes camoufleraient mieux son léger amaigrissement, Jilian avait attrapé son haut de forme, noué un foulard autour de son cou et était parti direction le centre ville vers une de ses boutiques de sucreries préférées ! Après ça, il pourrait réfléchir sereinement à comment manger correctement. En plus, l'endroit était magique ! À peine arrivé, les couleurs des bonbons dans leurs boîtes suffirent à lui faire afficher un sourire rêveur.

C'est une voix familière qui vint le sortir de sa rêverie. Celle de Catherine Kissouri, l'une des étudiantes qui travaillaient à la bibliothèque depuis déjà presque un an. Il lui répondit d'un sourire et d'un geste de main.

"Bonjour Mademoiselle Kissouri ! Oui effectivement, je n'ai plus grand chose ni à la maison ni au bureau. Embêtant vous ne trouvez pas ?"

Ils avaient déjà partagé des bonbons ensemble, alors il savait bien que la jeune femme aimait sans doute autant que lui les sucreries ! Dernièrement il s'était inquiété pour elle, il lui avait semblé que quelque chose clochait... mais il ne voyait pas trop comment il aurait pu aborder le sujet sans la brusquer... Mais parler de bonbons, normalement, c'était un terrain sûr !

"Ha c'est vrai que c'est une drôle de contrainte avec la chaleur ! J'étais en train de me faire la même réflexion. Je dirai qu'avec les bonbons durs on est tranquille ! Les berlingots aux fruits c'est toujours agréable quand il fait chaud ! Ça fond tout seul."

En plus c'était plein plein plein de couleurs ! Et les couleurs c'était quand même un plus non négligeable, ça faisait partie intégrante du plaisir des bonbons.

"Sinon... han les chamallows ! Vous aimez les chamallows ?"

On aurait dit un grand gamin... les bonbons, c'était comme les boutons, les couleurs l'enchantaient complètement...

Catherine avait été la première à mentionner au bibliothécaire qu'elle reprenait son emploi dès la rentrée scolaire en avril. Elle avait beaucoup aimé travailler là, c'était même l'emploi idéal par la proximité avec l'école et la facilité d'adaptation. Son patron avait été totalement compréhensif avec ses quelques erreurs linguistiques et l'avait aidé beaucoup, félicitant ses succès. Cela lui avait permis de prendre un peu confiance en elle, du moins, sur son lieu de travail.

C'est dernier temps cependant, la vie lui pesait beaucoup. Voilà un peu plus d'un an qu'elle avait quitté son pays natal et si elle n'était pas une des personnes les plus expressives qui soient au départ, le fait de ne pas avoir revu sa famille depuis lui manquait terriblement. Elle ne s'était pas rendu compte à quel point des contacts physiques, ça peut être addictif. Dans un pays où même les poignées de main n'existe pas pour saluer, elle s'était retrouvée complètement seule avec elle-même. Elle n'avait même pas osé en parler à qui que ce soit, par peur du ridicule ou d'être jugée, mais ce qu'elle ne donnerait pas pour un câlin!

Elle se jetait à corps perdu dans ses dessins et dans son travail. Si ses oeuvres n'aboutissaient pas à grand-chose, elle passait tout de même plusieurs nuits blanches à remplir des carnets, là où tout son argent de poche passait, à défaut de s'acheter de quoi manger. Du coup, elle limitait alors ses repas à parfois deux par jours, allant même jusqu'à parfois un seul repas vers le milieu de la journée. C'était un peu à se demander comment elle survivait jusqu'à présent.

Voyant le bibliothécaire, elle profita de l'occasion pour aller le saluer. Qui sait s'il ne pourrait pas lui être de bon conseil? Lui-même avait une dent sucrée et c'est avec un air très sérieux qu'elle lui répondit.

— En effet, c'est un problème assez majeur! Fort heureusement, je crois que nous sommes au bon endroit pour régler la question.

Elle lui offrit alors un sourire. Tranquillement, à force d'apprendre non seulement la langue, mais certaines personnes, elle avait fini par réussir à s'ouvrir davantage et sourire un peu plus. Il lui parla des bonbons durs, dont les berlingots aux fruits. Son visage s'éclaira aussitôt.

— Oh, mais oui, c'est une bonne idée. En effet, les couleurs, c'est important!

Pas uniquement pour la saveur, mais aussi pour l'apparence joli des bonbons. Ça faisait toujours une belle présentation en plus dans un bocal de verre.

— Les chamallows? Ah! Oui! Les guimauves! C'est vrai que ça résiste assez à la chaleur, enfin, sauf aux feux de camp.

Ce qu'elle en avait mis des guimauves auprès du feu pour les faire griller! Se promenant entre les comptoirs de bonbons, elle trouva alors des sacs de guimauves colorés sous des formes d'animaux.

— Oh! Ils sont marrants ceux-là!

Un peu plus loin, il y en avait avec une garniture de fruit à l'intérieur. Elle fit son choix sur un paquet de petites guimauves rondes fourrées à la fraise. Levant la tête, sur une tablette, différents bonbons à mâcher étaient présents. Elle prit un paquet.

— Une des choses qui m'a le plus surprise dans leurs bonbons, c'est les saveurs de liqueur. Les fruits, comme fraises, raisins, pommes, ça je connais, mais des saveurs de cola ou de soda.

Sans s'en rendre compte, Catherine avait traduit mot pour mot le québécisme qu'elle utilisait. Liqueur référait normalement à de l'alcool alors que d'où elle venait, c'était utilisé pour les boissons gazeuses.

— Vous croyez que les jujubes vont survivre à la chaleur?

Il y avait tout un étalage de jujubes emballé dans différents sachets. Certains étaient acidulés, d'autres avec un centre liquide. Il y avait même une section avec des kits de bonbons à faire soit même, des emballages très colorés avec des mix de saveurs parfois étranges, mais dont le résultat pouvait être assez douteux.

Jilian sourit franchement.

"Je pense qu'on ne s'est pas trompé en effet ! On aurait eu beaucoup moins de succès à la poissonnerie d'en face..."

Il voyait mal comment il aurait pu se tromper de boutique de la sorte ! Il venait ici si souvent qu'il pouvait trouver son chemin de l'oeil gauche... Il lui arrivait d'aller voir ailleurs, mais le charme de cette petite boutique lui plaisait beaucoup. En plus, elle avait l'avantage de ne pas être dans le centre commercial, ce qui était toujours une bonne nouvelle pour quelqu'un qui détestait autant les endroits trop bruyants qu'il aimait les bonbons...

"Il y a bien longtemps que je n'ai pas fait griller de guimauve au feu de camp tiens ! Vous faîtes ça souvent ?"

À bien y réfléchir, Jilian n'en avait sans doute pas mangé de la sorte depuis son arrivée au Japon... Ce n'était pas spécialement le truc de ses parents. Aux États-Unis, il avait eu l'occasion d'en manger à l'occasion, mais uniquement lorsqu'il était de sorti avec ses petits camarades ou qu'on l'invitait à des fêtes d'anniversaire. Depuis, il n'en avait pas eu l'occasion. Il n'était même pas sûr d'avoir été près d'un feu de camp dernièrement ! À croire qu'il s'était éloigné des feux de camp en même temps que des États-Unis !

"Sinon je dirai que oui, si vous vous tenez éloignée des feux de camp, ça devrait aller. Et normalement, vous devriez y arriver sans trop de soucis, je crois en vous !"

La vue des bonbons devait suffire à lui redonner le moral, il enchaînait les plaisanteries stupides... ce qui n'avait pas trop d'importance à ses yeux, il était content de renouer avec une certaine légèreté. L'exclamation de Catherine suffit d'ailleurs à l'attirer. Le bibliothécaire prit alors un air tout émerveillé devant la trouvaille de son employée.

"Oh ! C'est vrai qu'ils sont adorables ! Je vais en prendre quelques uns aussi tiens."

Le truc c'est qu'il ne pouvait pas s'empêcher de les prendre un par un et de les observer sous toutes les coutures avant de les mettre dans le sachet. Vraiment le travail sur la guimauve était beaucoup trop joli ! Comment on arrivait à sculpter des bonbons comme ça ? On en arriverait presque à ne pas avoir le courage de les manger... heureusement, une telle hésitation ne retiendrait pas Jilian trop longtemps !

Il haussa un sourcil à la mention de bonbons à la liqueur... l'alcool et lui ne faisaient définitivement pas bon ménage. Il se rappelait encore douloureusement de la violente crise d'angoisse qu'il avait eu chez Laureleï lorsqu'elle lui avait annoncé qu'il y avait de l'alcool dans sa sauce... il s'était carrément ridiculisé en se retrouvant roulé en boule sous la table, il avait fallu que James l'aide à se calmer. Alors clairement, les bonbons à la liqueur, très peu pour lui ! Il ne comprenait même pas comment une telle chose pouvait exister ! C'était antinomique au possible...

Mais Catherine semblait parler d'autre chose. Apparemment, pour elle liqueur et soda avaient l'air équivalents. Jilian s'était habitué à ce genre d'approximation linguistique. Ça faisait toujours ça quand on passait trop souvent d'une langue à l'autre !

"C'est vrai que c'est surprenant. Personnellement je ne suis pas particulièrement fan, j'ai du mal avec le mélange des textures, surtout quand elles sont aussi éloignées ! Question de goût j'imagine... Mais j'aime bien les guimauves qui cachent d'autres guimauves ! Vous avez déjà essayé ?"

Ça c'était rigolo ! La succession des goûts l'amusait toujours beaucoup. En plus on pouvait essayer toutes sortes de mélanges de parfum. Ça donnait des possibilités presque infinies !

"Pour les jujubes, je dirais que tant que vous ne les laissez pas en plein soleil ça devrait aller. Mais attendez vous à ce qu'elle vous colle aux doigts ! Et en fonction de la qualité... que ça tâche un peu ! Parfois ça décolore."

Il s'était déjà fait avoir et avait tâché plusieurs vêtements comme ça dans la foulée... maladroit comme il était, il avait dû apprendre à nettoyer toutes les tâches possibles tellement il lui arrivait souvent de renverser des choses.D'ailleurs en parlant de renverser des choses... il n'avait pas vu qu'une des vendeuses passait sur son côté gauche et en voulant se retourner, il la percuta de plein fouet, renversant au passage le carton qu'elle portait qui dévida ses paquets de boulet de gomme partout...

"Toutes mes excuses pardon pardon !!"

Le bibliothécaire se retrouva aussitôt à quatre pattes, aidant la vendeuse à ramasser les petits paquets, et bien sûr, en voulant se relever, il se cogna la tête dans le coin du meuble. Il se releva donc en grimaçant... même s'il était habitué de ce genre de scènes, ça faisait quand même mal ! Se frottant la tête, il regardait autour de lui, cherchant quelque chose

"Shit... that hurts... je crois que je vais prendre des pâtes d'amande..."

Catherine était contente d'avoir trouvé Jilian. Elle l'appréciait vraiment comme personne et puisqu'il était un spécialiste des bonbons, il pourrait certainement l'aider dans ses choix. Elle lui offrit un sourire.

— Quoiqu'il y a des bonbons en forme de poissons ou des jujubes en forme de requins! Mais je crois qu'ils sont mieux ici qu'en face!

C'était la première fois qu'elle venait, mais elle adorait le charme de la boutique. Tout était très bien placé et facilement accessible et les prix abordables. Elle pourrait se faire une réserve respectable à un prix raisonnable, ce qui lui laisserait assez d'argent pour un repas après. Reste à voir ce qu'elle allait manger après ça, mais une chose à la fois.

Parlant des guimauves, Catherine évoqua le souvenir des guimauves grillées sur le bord du feu. Cela sembla raviver quelques souvenirs aussi à son patron qui lui demanda ensuite si elle faisait ça souvent.

— Oh! Pas depuis que je suis au Japon. On avait un petit foyer extérieur chez moi et souvent avec mes frères, on faisait griller des guimauves et même des saucisses parfois.

Cela lui rappela sur le coup que ça faisait bien plus longtemps qu'elle ne les avait pas vus et eut un petit air triste passager. Le conseil de Jilian sur tenir les guimauves loin des feux de camp lui fit tirer un nouveau sourire. Il avait une façon de remonter le moral bien différent des autres, mais après tout, qui pouvait résister au pouvoir des bonbons? Traversant les bacs de bonbons en vrac, Catherine s'exclama sur des guimauves en forme d'animaux. Jilian sembla les trouver mignons aussi et choisit avec soin ceux qu'il voulait. Catherine était moins sélective, mais prit tout de même la peine d’en avoir de différentes formes. Puis Catherine parla des saveurs différentes au Japon.

— Oui, parfois, ça donne aussi des choses qu’on ne s'attend pas. J'ai pris une fois un bonbon que je pensais être juste un bonbon à croquer et sitôt dans la bouche, il s'est mis à pétiller! Le goût est resté très longtemps après en plus, c'était vraiment très inattendu. Je n'en ai jamais repris, je préfère mes bonbons sans pétillant.

Ça pouvait toujours surprendre aussi. Pour un peu, elle pensait que c'était un bonbon style farce et attrape, mais non, c'était vraiment une sorte de bonbons faite ainsi et assez populaire au Japon en plus. Bref, maintenant, elle évitait cette sorte.

— Des guimauves qui cachent d'autres guimauves? Non, je ne connaissais pas! Ils en ont?

Pour le moment, elle était curieuse de tester ça. Changeant de rangée, ils parlèrent alors des jujubes. Elle devint un peu songeuse.

— Hmm, oui c'est vrai que ça peut être embêtant. Peut-être que si je prends ceux... euh... avec le sucre autour... acidulé?

Elle ne savait pas le terme en japonais pour parler des bonbons surets, mais sachant que son patron était américain de base et parlait anglais, elle se dit qu'il pourrait facilement lui trouver le terme ou du moins, comprendre ce qu'elle voulait dire. Puis elle entendit derrière elle un bruit de plusieurs petits objets tomber. En se retournant, elle vit une des vendeuses déjà en train de s’excuser et Jilian penché pour ramasser ce qui était tombé. Catherine voulut s'approcher pour aider aussi, mais il semblait avoir fini et alors qu'il se relevait, les yeux de Catherine s'agrandirent.

— Attention le bord du...

Trop tard, il s'était cogné la tête

— Are you alright?

Par automatisme, elle avait changé à l'anglais qu'elle maitrisait depuis longtemps. Par contre, déjà, son patron avait changé de direction.

— Mais... je ne vois pas en quoi la pâte d'amande va vous aider pour votre tête!

Visiblement inquiète, Catherine s'était approchée du Jilian. Alors qu'ils continuaient leur exploration des bonbons dans la boutique, la jeune femme devint songeuse. Puis elle se risqua à poser une question à son patron, quitte à paraitre un peu stupide.

— Est-ce que ça vous est déjà arrivé d'avoir l'impression de faire quelque chose, car vous êtes convaincue que c'est la meilleure chose à faire, mais de ne plus être certain par la suite si c'était vraiment la bonne chose?

Elle n'avait aucune idée si ça avait du sens ou pas comme phrase, mais elle tenta tout de même. Son visage exprimait beaucoup de doutes, ce qui, sur ses traits tirés, ne la mettait pas tellement en valeur.

Jilian rit à cette histoire de poissons bonbons.

"C'est vrai que des bonbons dans un bocal ça tournerait mal ! Puis ça empoisonnerait les poissons."

On sous-estime trop souvent à quel point il est difficile d'entretenir un aquarium et des poissons... alors si en plus on met des bonbons dans l'aquarium ! Autant les garder pour soi. Un peu mélancolique, il sourit à l'évocation des souvenirs de Catherine. Alors elle aussi n'avait pas eu l'occasion de manger des guimauves grillées depuis qu'elle était arrivée au Japon. Peut-être que le Japon était anti-guimauve grillée... Il avait presque envie de lui proposer d'en faire griller ensemble. Mais ce serait sans doute outrepasser une ligne entre eux. À moins que...

"Peut-être qu'on devrait se faire une soirée guimauve grillée avec tout le personnel de la bibliothèque, maintenant que l'équipe est plus stable ? Ça pourrait être une bonne façon de se connaître, qu'en pensez-vous ?"

Ça semblait un bon compromis ! et une bonne façon de créer des liens dans l'équipe... avec les horaires décalées de chacun, ce n'était pas toujours évident.. et il n'était certainement pas la personne la plus compétente quant il s'agissait de créer des liens... vraiment, il n'était pas complètement à l'aise avec ce rôle de patron et il avait souvent l'impression de ne pas être à la hauteur. Peut-être que c'était pour ça qu'il y avait des désistements tous les ans ? Parce qu'il n'était pas capable de faire preuve d'autorité ?

"Oh oui j'ai déjà goûté de ces bonbons pétillants ! J'aime beaucoup, mais je ne peux rien faire en les mangeant. Ça... comment dire... et bien ça empêche de se concentrer correctement sur ce qu'on fait, quand on mange ces bonbons on ne peut rien faire d'autre que les manger."

Ce qui était assez perturbant... et comme il mangeait souvent des bonbons en faisant de la couture ou en lisant, ça finissait par être contre-productif ! Les bonbons ne devaient pas empêcher la vie, ils devaient l'accompagner ! Du coup il n'en mangeait pas souvent des comme ça...

"Mais du coup c'est pratique quand vous devez aller dans un endroit où vous n'avez pas envie d'aller, ou qu'il y a trop de monde dans le bus. Ça fait diversion."

Ça c'était dans sa liste de trucs pour survivre dans un monde trop bruyant et avec trop de gens... En attendant, il prenait sa mission de conseiller en bonbons très au sérieux. Il indiqua donc le bocal contenant les fameuses guimauve à la guimauve. Il venait ici tellement souvent qu'il connaissait presque par coeur les différents emplacements, au point qu'on aurait presque pu croire qu'il travaillait ici.

"C'est ce bocal ! Mes préférées ce sont les violettes, mais les jaunes sont aussi très chouettes. Enfin en vrai elles sont toutes délicieuses mais j'imagine que c'est une question de goût !"

Jilian remarqua à peine le changement de langue... pour un mot c'était tellement léger que ça ne lui accrocha pas les oreilles. Qui plus est, comme il était arrivé très jeune, il était parfaitement bilingue, si bien que tant que la phrase était compréhensible, son cerveau s'intéressait à peine à la langue employée... au moins ça lui permettait de mieux réfléchir à la proposition de la jeune femme !

"Et bien le sucre absorbera le sirop, ce qui évitera les tâches, par contre en échange le sucre collera encore mieux sur vos doigts. Quel choix draconien !"

Et il le pensait sincèrement ! Pour lui c'était effectivement un choix draconien auquel il convenait de donner toute son importance pour pouvoir choisir correctement. Un véritable dilemme bonbonien ! Peut-être que c'est justement parce qu'il était concentré à réfléchir à tout ça qu'il ne fit pas attention en se déplaçant et qu'il heurta la vendeuse... il fallait vraiment qu'il arrête d'être dans la lune comme ça tout le temps ! Et pour couronner le tout, il se cogna la tête sur le coin de la table d'exposition...

"Yeah yeah... I'm alright... happens all the time..."

Ce qui ne changeait rien au fait d'avoir mal ! Mais ça changeait le fait qu'il prenait rarement ça au sérieux. S'il fallait qu'il s'arrête de vivre à chaque fois qu'il se cognait quelque part il passerait son temps en pause ! James essayait bien de lui faire comprendre qu'il fallait qu'il fasse plus attention, mais il avait du mal à se rentrer ça dans le crâne (malgré tous les coups et attaques des diverses portes de placard !). Tout en continuant de masser la zone douloureuse, il tâcha de répondre en souriant, même si sa voix sortait encore d'entre ses dents.

"Et bien ça ne va pas guérir ma tête mais...et bien... la pâte d'amande c'est de la douceur à manger, et... quand on s'est cogné la douceur c'est plutôt une bonne chose non ?"

Lui ça lui paraissait logique en tout cas ! Même si ce n'était peut-être pas le cas pour le reste du monde... il regardait autour de lui tandis que la douleur s'estompait doucement, cherchant la fameuse pâte d'amande. Sa rêverie fût interrompue par une question de Catherine. La question était étrangement formulée, ou plutôt elle était floue, vague. Comme si elle avait quelque chose de précis en tête mais qu'elle préférait pour le moment ne pas en parler. Mais du coup, ça rendait la question formulée quelque peu floue. Toutefois, il s'arrêta pour réfléchir le plus sérieusement du monde à la réponse qu'il pouvait formuler.

"Je dirai que oui. Je crois même pouvoir dire que ça arrive sans doute à tout le monde, mais plein de gens ne veulent pas admettre que peut-être ils se trompent... c'est assez sain au final, de se demander si on a vraiment eu raison, même si on était sûr de soi..."

Bon la réponse n'était pas très claire non plus...

"Pourquoi cette question ?"

Voilà ça serait sans doute plus simple comme ça !

Catherine se demanda alors pour un moment si les poissons pouvaient avoir un substitut de bonbons. C'était bien triste de ne pas avoir ce petit quelque chose qui met un baume sur notre coeur tout en satisfaisant les papilles gustatives. Alors qu'ils débutaient leur exploration de la boutique de bonbons, Jilian proposa les guimauves comme sucrerie qui résisterait bien à la chaleur, à condition d'éviter les feux de camp, comme l'avait évoqué l'étudiante. Ce ne semblait pas être une coutume commune au Japon de faire ce genre d'expérience et c'était bien dommage. Son patron semblait aussi trouver que ça lui manquait puisqu'il proposa une activité à faire avec tout le personnel de la bibliothèque. Ouvrant les yeux sous la surprise, Catherine acquiesça vivement.

— Oh! oui! c'est une excellente idée! Vous voulez que je vous dessine une petite affiche pour mettre derrière le comptoir afin d'aviser les autres personnes?

Ce n'était pas la première fois que Catherine faisait des dessins pour la bibliothèque. Lorsqu'il y avait des fermetures exceptionnelles, elle avait fait une petite affiche indiquant « Fermé » avec un petit personnage dormant sous un livre ouvert. Elle avait d'ailleurs dessiné chacun des employés en chibi, apposé sur un aimant, et ils pouvaient l'utiliser sur le tableau blanc avec des notes pour tout un chacun. Bien que Catherine n'était pas la personne la plus sociable qui soit, chacun avait eu l'air d'apprécier de voir apparaitre cette petite attention sur le tableau.

Parlant des textures de bonbons, Catherine évoqua ceux qui pétillaient dans la bouche. Son patron mentionna que c'était assez déconcentrant et ne pouvait se concentrer sur autre chose pendant qu'il les mangeait. Elle resta songeuse un moment avant de répondre.

— Je n'avais pas pensé vue sous cet angle. Personnellement, je n'ai pas assez aimé la sensation pour retenter l'expérience. Par contre, j'ai toujours un calepin et un crayon avec moi, donc je peux toujours dessiner quelque chose quand je veux me changer les idées ou faire passer le temps plus vite.

Elle était tellement dans sa bulle dans ces moments-là qu'il pourrait avoir un éléphant piétinant un magasin de porcelaine à côté d'elle et elle ne s'en rendrait même pas compte. Chacun ses trucs, son patron, les bonbons qui pétillent, elle, le dessin. Parlant des guimauves dans d'autres guimauves, elle suivit Jilian au bocal les contenant. Elle regardait avec envie ces guimauves spéciales et en choisit quatre, une mauve et une jaune comme le lui suggérait Jilian, puis une bleue et une rose.

Continuant parmi les allées, le panier de Catherine commençait à bien se remplir. Son frère serait bien content. Parlant des jujubes acidulés, Jilian souleva le point que le sucre absorberait le sirop, donc sans taches, mais beaucoup plus collant. Faisant une moue légère, Catherine hochait la tête.

— Oui, c'est bien vrai... Après, suffit de les manger rapidement!

C'était une solution comme une autre. Elle choisit un paquet de fettucine au raisin. C'était de petites languettes de jujube recouvertes de sucre.

— Tiens, c'est drôle, ça me fait penser au terme italien fettucine, et ça a presque la même forme...

Bon son italien n'était pas bon du tout, c'est pourquoi elle le dit en français. Après tout, les deux langues sont latines et ça doit être assez proche comme prononciation l'un comme l'autre. Aussi, les noms des pâtes étaient assez internationaux dans les pays occidentaux.

Alors que Catherine aidait pour ramasser les paquets de gommes tombées, elle ne réussit pas à avertir assez tôt Jilian que sa tête était sous un comptoir. Il sembla se cogner durement et la jeune femme s'inquiéta pour lui.

— Ce n'est pas une raison! Le chapeau, c'est pour faire joli, pas pour cacher les bosses!

Elle avait un air faussement contrarié. Autant qu'elle n'avait pas l'air à rire qu'elle n'était pas non plus tout à fait en position de lui dire quoi que se soit. Il était un adulte et capable de s'occuper de lui-même, non? Lorsqu'il parla de la pâte d'amande tout de suite après s'être fait mal, cela déstabilisa Catherine qui pensait qu'il en prenait pour aider son mal de tête. Parfois, les recettes de grand-mère... Mais non, c'était plutôt parce qu'il aimait le goût et après tout, c'était une raison comme une autre pour en prendre.

— Ah! Oui! Je pensais que vous voulez vous en servir comme baume où je ne sais pas quoi. C'est vrai que c'est très doux en bouche. Ça fait longtemps que je n'en ai pas mangé.

Elle ne se souvenait pas d'en avoir acheté elle-même non plus. Souvent, c'était des décorations en couleur ajouté sur des gâteaux. Pour le coup, elle suivit Jilian vers l'étalage de pâte d'amande. Il y avait des petits personnages, déjà faits et des rouleaux de pâtes prêtes à être utilisée pour faire des desserts ou pour être mangé tel quel. Prenant un petit chat dans une boite de plastique, Catherine admirait la sculpture faite.

— J'ai tenté la sculpture, mais je n'avais pas vraiment trouvé ça facile à faire avec l'argile, ça doit être encore plus difficile avec la pâte d'amande, vous ne croyez pas?

Il y avait des artistes dans tous les domaines et ce n'est pas parce que manger était nécessaire à la vie qu'il n'y avait pas des artistes qui en profitaient pour améliorer l'aspect visuel de cette nécessité de la vie. Pouffant de rire, Catherine prit une autre boite.

— Regardez! C'est un petit chien avec un chapeau haut de forme!

Il était vraiment très mignon et ça lui rappelait justement son patron. Choissiant alors le chat et le chien pour ajouter à son panier, Catherine poursuivait ses courses. Puis, Catherine finit par devenir plus songeuse et demanda alors une question toute sauf précise à Jilian. La réponse fit simplement hocher la tête à Catherine, qui avait un air assez triste. Puis, il lui demanda pourquoi elle posait cette question. Avec un soupir, elle secoua la tête.

— Je... Je ne sais pas trop en fait. Lorsque j'ai pris la décision de venir au Japon, j'ai surpris tout le monde dans ma famille, mais c'est ce qui me semblait le mieux pour le moment. Et maintenant...

Elle leva un bras, un peu découragée, avant de le laisser retomber mollement.

— C'est... plus difficile que je ne l'aurais cru et je me demande si j'ai bien fait de venir.

Puis elle réalisa un truc.

— Oh, mais ça n'a pas de lien avec le travail, vous êtes vraiment très gentil avec moi et j'ai aussi des professeurs en or, mais je me rends compte que ma famille me manque et comme je n'ai pas beaucoup d'amis non plus...

Elle avait bien Dae, qui au final était encore au Japon et Aki, mais ce n'était pas comme si elle était très proche d'eux non plus. Dans un sens, c'était un peu de sa faute, elle n'osait pas les contacter trop souvent, par peur de les ennuyer. Puis il y avait eu cet étudiant inconnu qui l'avait troublé plus qu'elle n'osait l'avouer, mais c'était qu'une rencontre du hasard, elle ne savait même pas son nom, seulement que c'était un étudiant japonais, avec un accent peut-être régional, qu'il étudiait en droit et membre du club de cuisine, ils devaient être une cinquantaine à correspondre à ce profil!

L'idée des guimauves et du feu de camp en équipe sembla plaire à Catherine. Finalement, c'était peut-être pas une bêtise donc !

"Ça semble une bonne idée oui ! Ça mettra l'accent sur le côté informel de la chose !"

Il n'avait pas envie de proposer une sortie et que les différents employés de la bibliothèque se sentent obligés d'y aller... Jilian ayant déjà du mal à socialiser lui-même, il ne voulait pas obliger les gens à le faire, et encore moins qu'ils aient l'impression qu'on leur en voudrait de pas venir... Ce devait être juste un bon moment pour se retrouver en dehors du travail, pour le plaisir. C'est tout.

"Oui j'imagine que le dessin ça peut marcher aussi."

Il n'était pas surpris que l'étudiante puisse employer ce genre de stratégie. Après tout c'était déjà comme ça qu'elle occupait ses temps morts à la bibliothèque. De son côté, le dessin ça n'avait jamais été son truc... enfin il était capable de dessiner des vêtements, portés ou en patron, mais ça s'arrêtait là.

De son côté, Catherine avait trouvé la solution au dilemme bonbonnien. C'est vrai que les manger vite était aussi une solution ! Mais on en profitait moins... comme quoi, il n'y avait pas de solution idéale ! Enfin, chacun trouvait midi à sa porte !

"C'est peut-être pour ça qu'on les appelés comme ça. Souvent les bonbons ont des noms d'aliments ou d'objets détournés pour l'occasion par rapport à leur force. Alors je serais pas surpris que les fettucine sucrées tirent leur nom des pâtes !"

Ce qui était plutôt rigolo quand on considérait que les bonbons étaient un monde à part entière... peut-être que c'était aussi une façon d'entretenir un certain imaginaire, ou alors une façon de créer un monde parallèle où les sucreries empruntent au reste du monde... un monde parallèle dans lequel il continuait de se cogner la tête partout !

"Non c'est vrai, pour cacher les bosses j'ai déjà des cheveux !"

En fait, ce n'était pas complètement vrai... Jilian avait assez mal vécu tout ce qui s'était passé autour de son oeil quand il était enfant, et il complexait encore sur la cicatrice qu'on pouvait trouver au coin de son oeil gauche, et ce même s'il fallait y regarder de près pour la repérer ! Les lentilles rouges et les chapeaux, au final, ce n'était qu'une façon de détourner l'attention de sa cicatrice et de son oeil aveugle. Par la suite, il était tombé amoureux des chapeaux et avait continué d'en porter et d'en faire par goût et le chapeau avait gagné une valeur esthétique en plus de sa mission de diversion.

"Je ne sais pas si ça pourrait marcher comme baume ! J'aurais presque envie d'essayer... mais j'aurais trop peur que ça me fasse des paquets dans les cheveux..."

En plus, il n'était pas sûr d'aimer l'idée de se mettre de la nourriture dans les cheveux ! C'était un drôle de gâchis... en plus de coller de partout ! Les masques pour les cheveux ne lui avait jamais trop inspiré confiance...

"Je suis beaucoup trop maladroit pour faire de la sculpture ! Quoique je dois pouvoir vous faire un bonhomme de neige. Ou des boudins. Ça je sais le faire très très bien ! Je pourrai même vous apprendre si vous voulez."

Ajouta-t-il en riant. En général, on n'avait pas besoin d'aide pour apprendre à faire des boulets et des boudins ! Mais ça l'amusait d'imaginer apprendre à quelqu'un à faire une boule de pâte d'amande. L'année précédente, à la fête de Noël, Laureleï lui avait offert un livre de photos d'oeuvres en bonbons, et pour le coup, les oeuvres en pâtes d'amande étaient même loin d'être d'être les plus complexes !

"Les sculptures en pâtes d'amande c'est très joli, mais vous avez déjà vu des sculptures en caramel ? C'est d'une finesse plus qu'impressionnante !"

Jilian sourit avec douceur devant la sculpture du petit chien. C'est vrai qu'ils étaient adorables ces petits animaux ! De son côté, il préféra choisir de la pâte d'amande à l'état normal, en barre. Il aimait bien les émietter, c'était plus facile que de casser une petite sculpture ! En plus ça lui laissait de l'énergie pour trouver une réponse à la question de Catherine. La réponse n'était pas très convaincante ceci dit... il espérait qu'elle préciserait sa question histoire de pouvoir mieux lui répondre.

Il écouta attentivement. Avec les explications supplémentaires, il comprit mieux la question initiale. Il lui laissa le temps d'aller au bout, sans la presser. Il fût presque surpris lorsqu'elle précisa que ce n'était pas un problème avec le travail. Ça ne lui aurait même pas traversé l'esprit en fait, surtout vue la nature du problème... Aussi souria-t-il gentiment, levant la main pour dire qu'il n'y avait aucun problème. Il ne prit la parole qu'une fois sûr qu'elle avait fini. Lui-même parlait plutôt lentement, pesant consciencieusement chaque mot.

"En vrai, je dirai que c'est une réaction normale. Plutôt banale même dans votre situation. Je veux dire, tous les gens qui se sont expatriés ressentent ça à un moment où un autre. Ça ne veut pas dire que vous avez pris une mauvaise décision. Simplement que vous n'avez pas correctement évalué les avantages et les inconvénients. Et vous n'auriez pas pu les évaluer correctement de toute façon. Ce n'est pas le genre de situation qu'on peut complètement prévoir, il y a trop de paramètres... Alors forcément, c'est dur. Tôt ou tard. Même si tout le monde ne rencontre pas les mêmes difficultés."

Il réfléchit encore. Il avait à son tour il avait l'impression d'être flou, même s'il faisait au mieux. Il hésitait. Il n'avait pas envie de ramener le sujet à lui, d'autant que la situation était légèrement différente. Il n'avait pas changé de pays, mais dans son cas, changer de ville revenait déjà à partir au bout du monde ! Même James en avait fait les frais quand ils avaient voulu partir en weekend... il se décida finalement, après tout, elle lui avait demandé si ça lui était arrivé.

"Je suis arrivé il y a trois ans. En fait je suis venu sur un coup de tête... disons qu'une partie de ma vie s'était plus ou moins écroulé et que je me suis dit que le mieux c'était encore de partir pour aller recommencer ailleurs. Sur le moment ça semblait une bonne idée. J'avais juste oublié à quel point je supportais mal le moindre changement. Je stresse déjà quand il y a une déviation sur la ligne de bus, alors partir à l'autre bout du pays... nouvelle ville, nouveau boulot, nouveaux collègues... du nouveau partout. Au début j'étais occupé, et c'était un peu grisant, alors je n'y pensais pas trop. Mais très vite... et bien je m'en suis mordu les doigts ! Et ça a été assez dur pendant quelques mois... "

Jilian réfléchit encore, essayant de se souvenir comment il avait pour remonter la pente.

"Ce qui est important, c'est de ne pas s'enfermer dans la sensation qu'on a fait la pire erreur de sa vie. Lister ce qu'on a réussi à faire déjà. Et se rendre compte que peu de choses sont irratrapables. J'aurais pu retourner à Tokyo. Dans le pire des cas, vous pourrez toujours décider de retourner chez vous finir vos études. Ce ne sera pas la fin du monde, vous aurez essayé et vous aurez déjà fait beaucoup. Même le pire scénario n'est pas si pire. Et dans ce cas, vous êtes sans doute en mesure de trouver une solution à la situation actuelle."

Il se retourna vers elle en souriant franchement.

"Alors, qu'avez-vous réussi jusque là ?"

La rencontre d'équipe autour d'un feu de camp accompagné de guimauves donnait déjà plusieurs idées d'esquisse à Catherine pour l'affiche. Hochant la tête, ses pensées peaufinaient déjà les détails du feu, de la position des personnes, etc. Artiste un jour, artiste toujours! Ils continuaient leurs discussions tout en remplissant leur panier respectif de différentes friandises. Ils avaient une passion commune sur les bonbons, mais avaient chacun leur méthode pour s'évader l'esprit en public. Il ne sembla pas du tout surpris lorsqu'elle mentionna utiliser le dessin comme moyen d'évasion. En même temps, elle était tellement toujours en train de griffonner quelque part que le contraire aurait été surprenant.

Découvrant des bonbons de différentes formes et d'appellation, Catherine parla des bonbons Fettucine, des languettes de jujubes acidulés, vendus en saveur unique par paquet. Comme beaucoup de bonbons au Japon, il y avait beaucoup de saveurs qui étaient saisonnières et qui ne revenaient que durant une courte partie de l'année. En ce moment, c'était beaucoup sur la pastèque, alors que les saveurs de cola et ramure étaient là à l'année.

— Ça doit être ça en effet!

Riant avec Jilian, l'artiste continuait sa tournée. Malheureusement pour son patron, il accrocha le plateau tenu par une vendeuse et renversa son contenu au sol. En voulant l'aider, il se cogna la tête et Catherine fut réellement inquiète pour lui. Certes, ce n'était peut-être pas un gros mal, mais tout de même, il faut faire attention! Comprenant mal son changement de sujet, elle se demandait pourquoi il voulait mettre de la pâte d'amande sur sa blessure avant de comprendre son erreur. Secouant la tête, elle manqua presque de sourire en imaginant une sorte de shampoing à base de pâte d'amande.

— Je ne crois pas non plus que ce soit une bonne idée et ça serait un grand gaspillage de nourriture à mon avis!

Catherine était loin d'être plongée dans l'univers complexe de la mode et des soins de la peau. Elle avait une crème hydratant pour la peau de son visage, qu'elle oubliait le trois quarts du temps de la mettre. Parlant justement de la pâte d'amande, ils arrivèrent devant, et elle découvrit les formes adorables de différents animaux, craquant pour deux modèles. Riant avec lui, on pourrait presque croire qu'elle oubliait ses soucis.

— Comme tel, en dessin, les cercles et les ovales sont la base des formes pour des personnages ou des animaux, ça devrait être assez similaire avec la sculpture, mais la troisième dimension est vraiment différente à travailler par rapport au dessin.

Les arts se ressemblent et pourtant sont si différents les uns des autres! Par contre, dans tous les cas, c'est la pratique qui est importante.

— En caramel? Je n'ose même pas imaginer comment ça doit être difficile à travailler, vu que c'est tellement collant! Par contre, ça doit permettre de faire des détails beaucoup plus fins.

Si parler d'art était un sujet tellement facile pour Catherine à aborder et dont elle parlerait pendant des heures sans s'en rendre compte, il était beaucoup plus difficile pour elle de parler de sujets personnels. Cependant, elle était rendue à un niveau où elle n'avait plus le choix, il fallait qu'elle arrive à communiquer comment elle se sentait. Un peu timidement, elle expliqua sa situation à Jilian qui lui prêtait gentiment l'oreille. Il ne dit pas un mot, lui laissant le temps de parler, l'encourage même par là à se confier. Il prit un temps pour parler, avant de lui répondre. Elle écouta chacune des paroles, certaines la marquant même profondément sans qu'elle s'en rende compte. Sa réaction était normale et ce n'était pas du tout de sa faute. Tant de chose à penser et prévoir qu'il n'était pas possible d'évaluer le tout en une seule fois. Hochant doucement la tête, Catherine restait tout de même triste de la situation. C'est comme s'il n'y avait pas de vraie solution ou de recette miracle, dans tous les cas, il y avait un choix à faire et des conséquences à accepter de celui-ci. En même temps, il y avait aussi du bon qui arrivait dans ce choix et c'était à cela qu'il fallait s'accrocher, même dans les moments plus difficiles. Chaque personne vivait la même situation avec des façons différentes de voir les choses et c'était tout à fait normal. Son patron lui parla même de sa situation, où il avait quitté ce qu'il connaissait pour se rendre ailleurs dans une nouvelle situation qui l'avait angoissé. Le fait de savoir qu'elle n'était pas seule dans cette angoisse l'apaisa un peu. Non pas de savoir que lui aussi avait eu des problèmes, mais cela lui permettait de comprendre qu'elle était une personne normale et que c'était naturel de se poser des questions. Lorsqu'il lui demanda alors ce qu'elle avait réussi jusqu'à présent, elle resta un moment surprise.

Qu'avait-elle réussi? Pour un peu, elle allait ne lui répondre « rien », du moins, c'est ce qu'elle croyait puisqu'elle était venue à la base au Japon pour découvrir sa voie artistique et perfectionner son art, mais en réalité, elle avait accompli beaucoup plus de choses en dehors de son objectif premier. Elle fronça les sourcils un moment sous la concentration en cherchant ce qu'elle avait pu accomplir.

— Je... J'ai appris le japonais suffisamment pour converser, lire et écrire dans cette langue?

En soi, apprendre une nouvelle langue, c'était déjà un accomplissement en soi. Dans son cas, c'était sa troisième langue, mais la première qui n'utilisait pas l'alphabet latin ni n'avait de ressemblance avec le français ou l'anglais. Encouragée, elle continua.

— J'ai appris à vivre par moi-même, j'ai trouvé un emploi et...

Cherchant un peu, son visage s'éclaira.

— Et je me suis fait des amis? Ça compte?

Pour elle, c’était tout un accomplissement, n'ayant pas vraiment de contact outre sa famille dans son pays d'origine. Maintenant, elle avait deux numéros de téléphone dans son cellulaire qui n'était pas des membres de sa famille.

— Aujourd'hui, est-ce que vous regrettez d'être parti ou vous aimez votre nouvelle vie maintenant?

Jilian prit un air pensif, toujours coincé sur cette idée de masque pour les cheveux...

"Un sacré gaspillage oui. D'autant qu'il me semble que c'est plutôt de l'avocat qu'on met dans les cheveux... pour les nourrir... ou alors de l'oeuf, mais ça c'était bizarre..."

Enfin au final, on pouvait sans doute y mettre tout ce qu'on voulait dans ses cheveux, du moment qu'on avait un minimum de bonne volonté. Ou juste du temps à occuper de façon stupide. Enfin c'était pas vraiment son truc... il se contentait de les soigner à l'occasion histoire de ne pas trop les abîmer à force de décoloration... encore qu'il ne le faisait sans doute pas assez souvent !

La sculpture sur bonbon n'était pas non plus son fort, même s'il en appréciait toujours la vue...

"Je veux bien vous croire sur parole oui. La troisième dimension n'a jamais été mon fort, je m'y contente d'y passer, comme vous pouvez le voir avec toujours perte et fracas !"

C'était elle l'experte en matière de dessin et de sculpture, alors effectivement, si la conversation devait aller sur cette direction, il se contenterait d'écouter. Avec curiosité ceci dit ! Il avait toujours apprécié écouter les gens parler de leur passion, même s'il n'y connaissait rien, voire parfois n'y comprenait rien. Ce qui risquait d'être le cas si la jeune femme tenait à s'attarder sur la magie de la troisième dimension ! La seule troisième dimension qu'il connaissait c'était les bosses sur son crâne lorsqu'il y passait les doigts.

"Je crois que la difficulté, c'est surtout que pour pouvoir le travailler de la sorte, le caramel doit être très chaud, mais qu'il refroidit, et donc durcit, très vite une fois sur son support. En gros la marge d'erreur est très faible... Allez regarder sur youtube à l'occasion, vous verrez c'est assez impressionnant ! Et très satisfaisant à regarder..."

C'était le genre de choses devant lesquelles il pouvait passer des heures sans même s'en rendre compte. Il était juste absorbé par les images et glissaient d'une vidéo à une autre sans réfléchir. Et quand il relevait le nez, pouf, deux heures avaient disparu !

La conversation prit cependant un tour beaucoup plus sérieux alors que Catherine se décidait enfin à lâcher ce qu'elle avait sur le coeur. Jilian essaya de lui répondre du mieux qu'il pouvait, et histoire lui rendre la pareille, confia une partie des difficultés qu'il avait eu lorsqu'il avait décidé de venir à Nara. Bien évidemment, la situation était différente... mais sa propre arrivée au Japon n'avait finalement pas grand chose à voir avec la sienne. Les circonstances étaient bien différentes, il était jeune, son père avait été muté, et finalement la famille avait presque fui une situation devenue irrespirable pour eux. Son départ de Tokyo avait donc plus de points communs à offrir, et il fit du mieux qu'il put pour en tirer des leçons qui pourraient éventuellement aider Catherine. En fin de compte, il avait surtout envie de lui montrer que même si c'était difficile, elle avait avancé plus qu'elle ne le croyait. Simplement, quand on était submergé, il arrivait souvent qu'on ne s'en rende même plus compte tant la liste des tâches à faire et des obstacles à surmonter paraissait interminable. Il fallut un temps à Catherine pour rassembler quelques éléments, et là encore, le bibliothécaire la laissa réfléchir à son rythme, de peur d'interrompre sa réflexion. Quand elle arriva finalement au bout de sa liste, il lui offrit un immense sourire franc.

"Évidemment que ça compte !"

Ne serait-ce que parce que tout le monde n'avait pas les mêmes difficultés... ce qui pouvait paraître de l'ordre de l'évidence à l'un relevait du parcours du combattant pour le suivant...

"La langue c'est compliqué ! Je parlais à peine quand on est arrivé au Japon... et trouver un emploi, et encore plus se faire des amis, c'est compliqué dans une autre langue ! Surtout si on a pas eu l'occasion de la parler pour de vrai tous les jours. Je dirai donc que c'est une belle victoire ! Pour fêter ça, j'offre les hot dogs tiens. C'est ma tournée..."

C'était sortie comme ça. Sans réfléchir. Il se disait qu'il fallait récompenser l'effort. C'était quand même de belles victoires qu'elle citait là, alors il fallait bien le fêter non ? Les hot dogs, ça semblait une bonne idée. Alors certes, ceux du fast food d'en face n'avaient rien à voir avec ceux de son enfance, mais pour des hot dogs japonais ils se défendaient plutôt pas mal. Seulement voilà, est-ce qu'il ne venait pas de passer une ligne interdite ? Est-ce qu'on payait des hot dogs à ses employés ??? Encore plus quand lui était un membre du personnel et elle une étudiante ??? Olalala, et si elle se sentait forcée ? Qu'elle croyait qu'elle devait accepter pour lui faire plaisir ???? La panique revint donc bien vite...

"Enfin... si vous voulez hein.. euh... vous n'êtes bien sûr pas obligée du tout du tout... c'est juste... enfin.. c'est une belle victoire et euh well les victoires ça se fête... mais ne vous sentez pas forcée de quoi que ce soit... c'est... euh.. juste une proposition !"

Il fallait se lever tôt pour croire Jilian capable de forcer qui que ce soit à faire quoi que ce soit... mais on n'était jamais trop prudent ! Les différences d'âge et de statut, ça pouvait causer un beau bazar des fois... et vue comment cette conversation avait basculé sur des terrains plus personnels qu'un simple bavardage de bureau... Embarrassé par sa propre bêtise, le bibliothécaire alla donc régler ses achats, histoire de ne pas commettre de bévue supplémentaire. Revenant vers la jeune femme, et s'apprêtant à sortir de la boutique histoire de libérer un peu l'espace, celle-ci avait une nouvelle question pour lui. Est-ce qu'il regrettait ?

"Non. Absolument pas."

Et cette fois, il n'eût pas besoin de réfléchir... C'est vrai, il y avait eu des périodes compliquées. Et puis il y en avait encore, la preuve, il en traversait une. Mais il n'y avait aucun regret. Il aimait son nouveau poste. Même si c'était très angoissant, il ne s'en tirait pas si mal tout compte fait. Pour la première fois de sa vie, il avait de vrais amis qui l'acceptaient vraiment comme il était, et ça c'était une grande nouveauté.

"Ça a été très compliqué au début, mais ça valait le coup."

Le sourire était aussi simple que sincère.

"La vraie difficulté dans la vie je crois, c'est de savoir si ça vaut le coup de continuer à galérer, ou s'il vaut mieux arrêter les frais..."

Catherine fit une légère grimace en imaginant se mettre des oeufs ou de l'avocat dans ses cheveux. Ce n'était vraiment pas son genre d'utiliser de la nourriture pour des soins corporels. Bon déjà, elle n'utilisait pas assez de nourriture dans ses repas, mais ça, c'était un autre débat. Après, pour ses cheveux, elle y allait avec le strict minimum. Un shampoing tout-en-un, sans vraiment se préoccuper de mettre du revitalisant et c'était tout.

Lorsqu'il parla de la troisième dimension, Catherine hocha doucement la tête. Avec son oeil borgne, ça devait déjà être plus difficile pour déceler la troisième dimension, donc elle se doutait que pour ce qui est de la sculpture, c'était probablement plus difficile encore pour lui. Ça ne l'empêchait pas par contre d'exceller dans d'autres domaines, en particulier la couture. Catherine était toujours très impressionnée par ses créations, bien que souvent extravagantes. Elle ne saurait réussir à s'afficher autant que lui. Bien qu'il semblait une personne introvertie, son habillement ne passait pas inaperçu. Une sorte de contradiction dans sa façon d'être. L'artiste trouvait admirable qu'il s'affirme dans son côté marginal.

— Oh! Mais tout le monde peut se retrouver dans une situation maladroite! Enfin, je ne sais pas si c'est vraiment rassurant à savoir.

Qui ne s'était jamais cogné le petit orteil sur un coin de meuble ou manquer la dernière marche des escaliers, convaincu d'être rendu en bas? Certes, ça pouvait arriver plus à un qu'à un autre, mais ça arrivait forcément à tous à un moment donné. Il lui suggéra d'aller voir sur YouTube différent vidéo sur la sculpture du caramel. De nombreux artistes mettaient des vidéos du procédé créatif sur internet. Certains même monteraient pendant qu'ils créaient. Catherine aimait beaucoup regarder faire, ça l'inspirait à l'occasion, mais au final, elle préférait quand même faire ses propres techniques ou ses propres thèmes. Elle se demandait même si elle ne devrait pas tenter l'expérience de filmer ses créations, mais qui regarderait de toute façon? Ce n'est pas comme si elle avait déjà un très grand réseau de contact à faire partager ça et perdu au milieu de plein d'autres créateurs, c'était encore plus difficile de percer. Néanmoins, elle répondit avec un sourire malgré ses pensées troublées.

— J'y jetterai un oeil, assurément.

Alors qu'ils continuaient le tour de la boutique de bonbons, la conversation s'enligna sur un sujet plus terre à terre. Catherine n'allait pas bien et même si elle n'était pas la personne la plus sociable, elle avait tout de même besoin d'en parler et de se faire rassurer qu'elle était bien dans une situation normale. Elle n'osait pas trop en parler à sa famille, pour ne pas les inquiéter, mais elle se doutait qu'ils devaient s'inquiéter tout de même pour elle. Son frère d'ailleurs lui avait bien certifié qu'elle devait lui prouver avoir acheté de quoi mieux se nourrir et des bonbons. Elle expliqua donc sa situation au bibliothécaire qui lui demanda alors, ce qu'elle avait accompli jusqu'à présent. Hésitante, cherchant un peu, elle trouva quatre points dignes de mention. Elle était un peu incertaine, demandant donc si ça comptait. Il lui offrit un sourire qui lui tira également le coin des lèvres. Il expliqua donc qu'effectivement, tout ce qu'elle avait mentionné était digne d'accomplissement. Certes, c'était loin d'être des accomplissements artistiques comme elle pensait réussir à faire en arrivant, mais chaque chose en son temps. Qui dit que ce n'est pas exactement ce qui la mènerait à trouver exactement le thème de l'oeuvre qui la ferait ressortir du lot? Il lui offrit même des hot dogs pour la récompenser. La surprise se lit sur son visage et hochant alors la tête, elle reprit.

— Oh! Oui, je veux bien, c'est super gentil!

Elle avait complètement passé outre la gêne de Jilian, n'ayant pas du tout compris que ça pouvait être mal placé qu'un patron offre un repas à une employée ou qu'un homme le fasse à une jeune femme. Bien qu'à 21 ans, elle était encore si naïve sur les choses relationnelles que ça en faisait peut-être un peu peur pour certains. Il alla payer ses achats. Sur son chemin vers la caisse, Catherine rajouta alors un sac de « jelly beans » à saveur mélangée de baies dans son panier et paya ses achats. Il ne fallait pas qu'elle oublie de prendre une photo de tout ça en arrivant à son studio pour l'envoyer à son frère. Elle rejoignit Jilian qui l'attendait à la sortie de la confiserie.

Elle lui demanda alors s'il regrettait d'être partie, malgré toutes les difficultés qui étaient encourues, peut-être aurait-il préféré rester où il était avant. Pourtant, il répondit sans détour, sans temps pour y réfléchir. Il ne regrettait pas du tout son déplacement, autant sa voix que sa posture indiquait qu'il avait fait le bon choix. Hochant doucement la tête, Catherine commençait à comprendre. Les épreuves mises en place étaient là pour nous permettre d'apprécier les accomplissements. C'était un mal nécessaire. Il avait aussi raison, le plus dur est à savoir si on arrête ou si on continue.

— Oui, j'imagine que c'est effectivement le plus difficile. Ça fait un peu peur de regretter de prendre le mauvais choix, mais j'imagine que c'est encore pire que de juste laisser-aller la situation.

Elle leva la tête. Il faisait beau et chaud, le ciel était bleu. Elle avait accompli tant déjà, certes pas exactement ce dont elle s'attendait, mais quand même, des grandes avancées dans sa vie qu'elle n'avait pas réussi à faire dans son pays d'origine. Ramenant son regard vers Jilian, elle fit un léger sourire.

— Merci, Monsieur Doe. Ce ne sera pas nécessairement plus facile, mais je comprends mieux maintenant.

Ils se dirigèrent vers le petit restaurant pas très loin, profitant du moment calme de la fin d'après-midi avant le « rush » du repas du soir pour profiter de hot-dogs bien mérités.

C’est fou tout ce qu’on pouvait dire en si peu de temps… La conversation avait suivi quelques drôles de virages, mais dans l’ensemble, s’était à peu près bien passée ! Presque pas d’impair. Ouf. Sans doute aussi que Catherine devait s’être habituée au côté lunaire de son patron. Toujours un peu de son monde, même s’il arrivait à reconnecter… En même temps, rien ne mal ne pouvait vous arriver dans une boutique de bonbons non ? À part vous cogner dans une vendeuse, tout renverser, et vous cogner la tête sur le comptoir… Mais ça ne comptait pas vraiment pas vrai ?

La conversation s’était même risquée sur des versants plus sérieux. Jilian comprenait mieux pourquoi elle avait l’air autant ailleurs… et en même temps, il savait aussi très bien qu’il restait encore du chemin à faire avant que les choses n’aillent vraiment mieux pour elle. Mais il voulait quand même lui donner les billes nécessaires pour aller vers ce mieux-là ! Entre autres, il avait vraiment envie qu’elle prenne conscience qu’arriver dans un nouveau pays, ça demandait énormément d’efforts et d’ajustements, alors évidemment qu’on ne pouvait pas tout réussir d’un coup, parce qu’il y avait déjà tant à apprendre. Il savait trop bien comment on pouvait se mettre la pression pour ça, aussi voulait-il vraiment fêter ça. Sincèrement et sans aucune arrière pensée. Après tout, si sa famille était loin, elle ne pouvait pas fêter ça avec eux, alors il fallait bien que quelqu’un le fasse non ? Ce n’est qu’après l’avoir invitée qu’il réalisa que ça pouvait être très mal interprété… Heureusement, l’étudiante ne prit pas mal du tout, ce qui rassura grandement le bibliothécaire. Il était même vraiment content qu’elle accepte !

« Parfait alors ! Je vais régler mes achats et on y va. »

Il était encore tout confus une fois à la caisse. Lui qui était venu pour fuir un peu tout le bazar d’interrogation, il se retrouvait avec encore d’autres émotions à gérer, et même pas les siennes ! Voilà ce que c’était d’être une éponge… Enfin il était content, pour une fois, il avait la sensation d’avoir été utile, et ce au-delà des murs de sa bibliothèque, et ça, ce n’était pas rien. Peut-être que James avait raison et qu’il avait plus de qualités qu’il ne voulait le croire…

Lorsqu’elle le rejoignit dehors, elle avait encore une question, et cette fois, Jilian n’eut absolument pas besoin d’y réfléchir pour y répondre. Non, il ne regrettait rien… En même temps, il n’était pas sûr que cette réponse l’aide beaucoup, c’était tellement différent pour chacun, et on ne pouvait pas savoir avant d’être arrivé au bout du chemin.

« Et bien il faut se dire qu’au moins vous aurez essayé, vous n’aurez pas à regretter et passer votre vie à vous demander « et si ? ». Et croyez moi, c’est déjà énorme ! »

Il en avait quelques uns des « et si ? ». Et si on s’était rendu compte plus tôt pour son œil ? Et si on avait compris plus tôt qu’il était « différent » ? Et si la famille n’avait pas senti le besoin de fuir ? etc etc. Il secoua la tête, préférant chasser tout ça de sa tête. Ça ne servirait à personne de remuer ça, surtout pas à lui !

Il offrit encore un sourire à Catherine, ne voyant pas très bien ce qu’il pouvait faire d’autre.

« Il n’y a pas de quoi. Et puis si vous avez d’autres questions, n’hésitez pas. Vous savez où me trouver. En attendant, je ne sais pas vous, mais je meurs de faim ! »

Il était temps d’aller chercher ses fameux hot dogs !