À la veille des vacances de fin d’année, le moral de Kyojiro était vraiment plus bas que terre. Alors qu’il avait enfin réussi à trouver le courage d’avouer la véritable nature de ses sentiments à Zelda, tout s’était finalement effondré. Pourquoi est-ce que ça se passait toujours comme ça entre eux ? À chaque fois que leur relation faisait un pas en avant, il suffisait de quelques jours pour qu’ils en fassent 10 en arrière. Et ça tombait toujours à la même période… C’était à se demander s’il n’y avait pas une histoire de destin ou de karma derrière tout ça ! L’année dernière, Zelda avait déjà disparu de son quotidien à cause d’un problème qu’elle avait eu avec une des rares fans de Kyojiro, changeant d’établissement pour ne revenir qu’en avril dernier, à la rentrée des classes. Cette fois… ça semblait beaucoup plus définitif. Ce n’était pas seulement elle et Link qui partaient dans une autre ville pour finir leur année scolaire, mais toute leur famille qui déménageait ! Le kendoka avait été vraiment anéanti par cette nouvelle, surtout que Zelda avait été claire : elle coupait définitivement les ponts avec lui.

Cette situation était incompréhensible, peu importe le bout par lequel Kyojiro la prenait. Il avait dit à Zelda qu’il l’aimait. Zelda lui avait confié que ses sentiments étaient réciproques, mais ils ne s’étaient pas dit pour autant qu’ils allaient donc entamer une relation de couple. Ça, c’était avant le typhon. Après, il y avait donc eu cette catastrophe, puis les vacances d’été, puis la rentrée de septembre. Les deux amoureux n’avaient pas pu se revoir, et une certaine distance s’était instaurée entre eux dès les premiers jours de la reprise des cours. Kyojiro ne savait plus comment se comporter avec Zelda. Il l’aimait, mais elle semblait s’être éloignée de lui depuis qu’il s’était finalement confessé. Leur quotidien s’était ainsi poursuivit, le kendoka souffrant de cette nouvelle dégradation de leur lien, mais comme il savait que la famille de Zelda avait quelques soucis, il en avait déduit que c’était à cause de ça que tout n’allait pas aussi bien que prévu entre eux.

Sauf que, visiblement, ce n’était pas le cas. Les sentiments de Zelda avaient changé à son égard et ce fossé entre eux s’était creusé un peu plus, Kyojiro n’osant pas se montrer trop intrusif, ce comportement passif ayant très certainement contribué à cet éloignement. Puis, aujourd’hui, la lycéenne avait décidé de lui porter le coup de grâce en lui annonçant son déménagement express, ainsi que sa volonté de ne plus lui parler, même à distance. Le kendoka avait senti tout son être se briser à cette annonce, mais il ne pouvait décemment pas aller à l’encontre des souhaits de Zelda. Il l’aimait profondément et si c’était sa décision… Il ne pouvait que subir et prier tous les dieux possibles et imaginables pour qu’elle puisse être heureuse loin de lui.

Autant dire que l’après-midi de cours qui avait suivie s’était révélée difficile pour Kyojiro. Il était complètement déconnecté de la réalité, ne suivant même pas ce que ses professeurs disaient, se contenant de s’efforcer de retenir ses larmes en fixant sa feuille blanche devant lui. Lors de la sonnerie annonçant sa dernière heure de cours, Kyojiro s’éclipsa rapidement pour remonter à sa chambre au pensionnat. C’était l’heure des clubs, mais il n’avait tout bonnement pas le cœur à aller s’entraîner au kendo, et encore moins à cuisiner.

Ne prenant pas le temps de se changer, l’étudiant se laissa tomber lourdement sur le ventre, sur son lit, attrapant son oreiller pour y enfouir son visage et finalement laisser couler toutes les larmes qu’il avait refoulées jusque-là.

Toujours aussi déconnecté de la réalité, Kyojiro ne se rendit pas compte qu’il avait pleuré pendant les deux heures dédiées aux clubs, et ce ne fut que lorsque la porte de sa chambre s’ouvrit qu’il sortit de sa torpeur. Assis avec les jambes remontées contre son torse, sur son lit, le kendoka comprit qu’il s’agissait d’Aki, son colocataire et ami, à qui il s’était beaucoup confié. S’empressant de renifler et de passer un bras sur son visage pour essuyer ses larmes, Kyojiro toussa un peu pour essayer de parler avec une voix convenable. Il essayait de ne pas faire voir à son ami qu’il venait de pleurer toutes les larmes de son corps, mais c’était peine perdue en voyant ses yeux qui avaient gonflés et arboraient une magnifique couleur rouge.

« A-Ah… S-Salut Aki. T-Ta journée s’est b-bien passée ? »

Kyojiro renifla à nouveau, aussi discrètement que possible, et décida de jeter un petit regard discret à Aki. Parce que ça ne se faisait pas de regarder ailleurs alors qu’il lui adressait la parole quand même !

Kyojiro ne s’était pas attendu à se faire interrompre de la sorte par Aki qui revenait de son entraînement de basket. S’il avait su que son ami n’allait plus tarder, nul doute qu’il aurait été se planquer ailleurs, ou qu’il aurait fait tous les efforts possibles et imaginables pour sécher ces grosses larmes avant qu’il ne soit trop tard. Mais voilà, le mal était fait, et il était utopique de penser qu’Aki n’avait rien remarqué, même si Kyojiro avait essayé de lancer un semblant de conversation léger. Le basketteur ne mit pas longtemps à mettre les pieds dans le plat en disant que si lui allait bien, ça ne semblait pas du tout être le cas du kendoka qui s’était redressé pour s’assoir au milieu de son lit.

Le kendoka baissa ses yeux rougis et légèrement gonflés. Sa gorge était serrée et il n’arrivait pas à parler. En avait-il seulement envie ? Après tout, en parler ne changerait plus rien… L’air totalement abattu, Kyojiro expira profondément en fixant ses draps, jusqu’à ce qu’il soit tiré de ses pensées par Aki qui venait de s’assoir juste à côté de lui pour lui demander ce qu’il lui arrivait. Ah… Vraiment, si le kendoka avait été un peu moins coincé et beaucoup plus démonstratif, il se serait certainement jeté au cou du basketteur pour lui dire qu’il était le meilleur ami de tous les temps ! C’était tellement gentil de sa part de s’inquiéter pour lui que ça humidifia de nouveau les yeux de Kyojiro, qui n’osait toujours pas le regarder. Et comme Aki était le meilleur, il n’insista pas et tenta même de détendre l’atmosphère en parlant de basket et de sa potentielle future promotion. Là, dès que ça parlait de sport, c’était tout de suite différent ! Le kendoka releva vivement la tête pour fixer Aki.

« V-Vraiment ? C-C’est génial ! J-Je suis super content pour toi Aki ! »

Et c’était on ne peut plus sincère ! Aki aimait le basket au moins autant que lui aimait le kendo, alors savoir qu’il allait pouvoir se hisser au poste de capitaine d’équipe, comme lui l’était au club de kendo, ça réchauffait vraiment le cœur de Kyojiro ! Mais bon, les bonnes choses ont toujours une fin et Aki revint bien vite au sujet qui l’inquiétait : l’état du kendoka.

Le visage de celui-ci s’assombrit de nouveau et il sentit ses épaules s’affaisser beaucoup trop alors qu’il soupirait doucement.

« J-Je… Je sais plus quoi faire… Je… Je comprends plus rien… »

Ses doigts se trituraient mutuellement sous le coup de l’angoisse.

« T-Tu sais, je… Je t’ai déjà parlé de Zelda Yoshida. J-Je… J’avais fini par lui dire qu-que je l’aimais après le championnat de kendo e-et… Bah… E-Elle m’avait dit qu’elle ressentait la même chose pour m-moi, mais… A-Au final, n-notre relation n’a pas du tout changé et… A-Aujourd’hui… »

Sa gorge se serra brutalement et il dut réprimer un hoquet qui trahissait son envie de fondre de nouveau en larmes. Ce qu’il était faible… Mais c’était la première fois qu’il était vraiment amoureux de quelqu’un et, surtout, qu’il avouait ses sentiments ! Il s’était imaginé tellement de choses, qu’il pourrait passer plus de temps avec Zelda, lui tenir la main, qu’il pourrait l’embrasser aussi…

Reniflant bruyamment, Kyojiro tendit la main vers son sac de cours pour en sortir un paquet de mouchoirs. Il aurait l’air encore plus pitoyable s’il laissait son nez couler après tout ! Il se moucha donc et inspira profondément pour trouver le courage de finir d’expliquer la situation à Aki.

« A-Aujourd’hui… E-Elle est venue me voir pour me d-dire qu’elle… déménageait. J-Je… J’ai déjà été loin d’elle l’année dernière, m-mais ça allait parce qu’on était toujours en c-contact, e-et elle n’arrêtait pas de me dire qu-qu’elle reviendrait à Yokuboo. S-Sauf que… c-cette fois, elle m’a dit qu-qu’elle ne voulait plus qu’on se parle… »

C’était tellement douloureux… Kyojiro avait vraiment l’impression que son cœur saignait.

« E-Elle ne veut plus de moi… E-Elle veut c-couper les ponts… »

Le kendoka crispa ses doigts les uns sur les autres, se sourcils se fronçant plus que de raison alors qu’il fixait toujours son lit. Il ne savait même pas ce qu’il ressentait… Il était profondément triste, déçu aussi… Et il était même peut-être en colère. Contre Zelda ? Contre lui ? Contre quelqu’un d’autre ? C’était le flou total pour le pauvre kendoka qui venait de vivre sa première peine de cœur, et qui s’en voulait d’imposer cette situation à son ami.

« D-Désolé… J-Je… Je ne voulais pas t’embêter a-avec ça, je… Je crois que ç-ça va aller… »

Bien sûr que non, ça n’allait pas aller mieux simplement parce qu’il le disait. Mais le pauvre Aki… Entacher sa bonne humeur à cause de son histoire avec Zelda, c’était carrément égoïste, et ça, Kyojiro avait du mal à le supporter.

C’était douloureux, mais, quelque part, Kyojiro avait l’impression que parler de tout ça à haute voix rendait le tout plus facile à appréhender. Il avait été dévasté de longues heures, se retenant de pleurer pendant les cours, jusqu’à finalement laisser ses larmes couler une fois sur son lit du pensionnat. Il avait ruminé tout ça tout seul tellement longtemps et avec tellement de force, qu’il avait l’impression de ne plus rien comprendre, d’être comme déconnecté. Alors se confier de la sorte lui avait finalement fait du bien, même s’il s’était immédiatement senti coupable de pourrir l’ambiance et le moral d’Aki avec ses histoires. Il avait une bonne nouvelle à lui annoncer, et lui cassait toute sa joie à cause de sa petite peine de cœur ! C’était vraiment le pire des amis !

Contrairement à Aki qui, lui, était vraiment le meilleur ! Kyojiro avait senti son corps se crisper quand son ami avait passé son bras autour de ses épaules, puis il avait ensuite eu comme l’impression que tous ses muscles se relâchaient. Son menton se mit à trembler avec encore plus de force alors qu’il se faisait secouer par le basketteur. L’étudiant tourna finalement son regard presque dégoulinant de gratitude vers son ami et hocha doucement la tête. Il passa brièvement son avant-bras sur son nez pour éviter que celui-ci ne dégouline vraiment, et il continua de fixer Aki dans les yeux.

« M-Merci Aki… T’es… T’es vraiment le meilleur des amis… Je… Je ne voulais vraiment pas t’embêter avec tout ça mais… Je… Je crois que… ç-ça fait du bien d’en parler… »

C’était toujours douloureux, mais ça le soulageait d’arrêter de garder tout ça pour lui.

Ils inspirèrent et expirèrent fortement tous les deux en même temps pour se calmer et essayer de revenir à une ambiance un peu moins triste, puis Aki reprit la parole, semblant vraiment mal pour son ami. Cette vision toucha profondément Kyojiro. Pour quelqu’un qui avait toujours eu du mal à se lier aux gens et à avoir des amis, voir que le basketteur lui accordait autant d’importance, ça avait le don de lui réchauffer le cœur malgré la peine incommensurable qu’il ressentait. Et les mots d’Aki ne réchauffèrent pas que son cœur, puisque ses joues prirent une teinte rouge en l’entendant lui faire autant de compliments. Le kendoka avait immédiatement baissé les yeux sous la gêne.

« J-Je… Je suis pas aussi super que tu le dis… Je… C-C’était la première fois qu’une fille me disait qu’elle… »

Sa gorge se serra de nouveau brutalement, le faisant grimacer.

« T-Tu sais, je… C’était la première à ne pas me trouver ennuyant ou effrayant… Je… Je ne sais pas si j’arriverai à retrouver quelqu’un comme elle… »

Un nouveau soupir plein de désespoir passa ses lèvres. Kyojiro n’aimait pas se morfondre, mais il avait l’impression que tous les efforts qu’il avait faits depuis son arrivée à Yokuboo pour se sociabiliser n’avaient finalement servis à rien. Si Aki n’avait pas été pas là, ça aurait presque été comme un retour à la case départ.

« Tu as raison o-oui… Je… Je crois que je l’ai aimée d-dès le départ, m-mais… au final, on n’a jamais vraiment été plus que des amis j-je crois… Je… J’en avais parlé avec quelqu’un une fois, il m’avait dit que même si deux personnes s’aimaient, c’était parfois impossible pour elles d’être ensemble. P-Peut-être que j’aurais dû lui dire avant ce que je ressentais vraiment… Mais oui, c’est sans doute moins difficile maintenant que si on avait vraiment hum… été en couple. »

Et là, en voyant Aki se lever d’un bond, Kyojiro ouvrit des yeux ronds comme des soucoupes.

« M-Mais ! Jamais je ne pourrais avoir envie de te frapper ! »

Et finalement, Kyojiro se détendit en entendant la plaisanterie d’Aki, esquissant un infime sourire. Il n’avait déjà pas eu beaucoup de succès avec les filles avec sa tronche normale, alors avec sa tronche actuelle…

« C’est sûr que je r-risque d’avoir encore moins de chance si je r-reste comme ça… E-Est-ce que tu… Tu voudrais bien qu’on aille un peu en ville tous les deux ? E-Enfin, si tu n’as rien de prévu ! Je… Si jamais tu dois retrouver Nakajima-san, je ne voudrais pas te retenir. »

Kyojiro se frotta la nuque d’un air gêné. Bien sûr qu’il ne risquait pas de retomber amoureux de sitôt, mais Aki avait la gentillesse de vouloir l’aider à remonter la pente alors s’il ne le faisait par pour lui-même, il le ferait au moins pour son ami ! Pour ne pas que ses efforts soient vains, il vaincrait sa peine ! Enfin, c’était sans doute plus facile à dire qu’à faire…

Le kendoka se leva un peu mollement de son lit et se frotta les yeux.

« J-J’ai jamais eu autant mal aux yeux de toute ma vie… Hum… En tout cas… Merci infiniment Aki, je… Je trouverai le moyen de te rendre la pareille, c’est promis ! »

Kyojiro lança un regard déterminé à son ami, avant de se rendre compte du sous-entendu que ça pouvait impliquer.

« A-Ah… Euh… Te rendre la pareille autrement que t’aider si… Enfin… Non, vous ne pouvez pas vous séparer avec Nakajima-san, c’est impossible. »

Mine de rien, ça avait fait beaucoup de bien à Kyojiro de parler de tout ça à Aki. Le kendoka n’était pas vraiment entré dans les détails, il n’avait pas réussi à mettre des mots sur absolument tout ce qu’il ressentait, mais dire à voix haute le peu dont il était certain avait déjà eu pour effet d’alléger un peu sa peine. Son cœur brisé aurait certainement besoin de beaucoup plus de temps pour s’en remettre, mais Kyojiro venait de réaliser qu’il n’était pas seul et qu’il pourrait compter sur son colocataire et ami pour le soutenir. L’étudiant n’était pas du tout habitué à ce genre de situation : c’était la première qu’il avait une peine de cœur, mais c’était aussi la première fois qu’il avait un ami autant décidé à lui venir en aide comme venait de le faire Aki. Oui, à bien y réfléchir, le basketteur était ce qui se rapprochait le plus d’un meilleur ami pour Kyojiro. Tetsuya avait toujours occupé cette place depuis leur plus tendre enfance mais… Où était-il à présent ? Tous ces événements avaient au moins eu un avantage : Kyojiro venait de comprendre qui était vraiment important à ses yeux, ce qui allait lui permettre de pouvoir tourner la page bien plus sereinement.

« A-Ah, o-oui ! P-Prends ton temps, o-on n’est pas pressé. »

Kyojiro lui offrit un léger sourire, avant de tapoter ses yeux douloureux par-dessus ses paupières closes. Ça faisait vraiment super mal… Depuis quand n’avait-il pas pleuré aussi fort ? Sans doute depuis la mort de sa mère, et encore… Il était tellement petit qu’il n’avait certainement pas compris sur le coup qu’il ne pourrait plus jamais la revoir quand son père le lui avait annoncé…

Le kendoka suivit le conseil de son ami et alla se passer un peu d’eau sur le visage dans la salle de bains commune. Y’avait pas à dire, ça faisait vraiment du bien ! Tellement que Kyojiro s’entendit lâcher un profond soupir de soulagement. Il resta quelques instants à profiter de la fraîcheur de son gant de toilette humide sur ses yeux, avant de finalement retourner dans la chambre qu’il partageait avec le basketteur. Et si le kendoka pouvait parfois donner l’impression de ne pas être très malin à cause de ses maladresses avec les gens, il n’en restait pas moins quelqu’un de très observateur ! Il avait bien remarqué qu’Aki n’arrêtait pas de regarder son portable et il ne lui fallut pas longtemps pour comprendre ce qui clochait.

« T-Tu sais, si jamais tu avais prévu autre chose, o-on peut remettre ça à p-plus tard… J-J’imagine que tu avais rendez-vous avec N-Nakajima-san, non ? J-Je… Hum… Tu veux lui demander de venir avec nous ? »

Parce que Kyojiro se doutait qu’Aki ne voudrait pas annuler sa sortie avec lui à présent, et qu’il se sentait affreusement coupable de l’empêcher de passer du temps avec sa chère et tendre. Mais comme si Saya les avait entendus, le téléphone du basketteur indiqua qu’il venait de recevoir une réponse. La demoiselle lui avait assuré que ce n’était pas grave et qu’ils pourraient très bien se voir un peu plus tard, dès qu’il aurait du temps libre. Son message était aussi doux qu’elle, avec plusieurs smileys terriblement adorables. Kyojiro fixa Aki avec une petite moue, comme s’il attendait qu’il lui dise que, finalement, il préférait remettre leur sortie à une autre fois. Mais non, le basketteur lui proposa d’aller voir un match de base-ball, ce qui fit naître un nouveau sourire sur le visage du kendoka qui approuva vivement l’idée.

« J-Je suis prêt, o-on peut y aller ! J-Je… C’est la première fois que je vais assister à un match de base-ball par contre… J-Je… Je suis plus habitué à aller voir des compétitions de kendo a-alors… E-Est-ce qu’on doit faire quelque chose de p-particulier ? »

Kyojiro avait enfilé une veste bien chaude, ses chaussures, et avait pris son portefeuille pour le glisser dans la poche arrière de son pantalon.

Ils marchèrent tous les deux jusqu’à l’extérieur de l’Académie, avant de se planter devant l’arrêt de bus. Le kendoka s’empressa de sortir son portefeuille, toujours avec son petit sourire aux lèvres, sourire qui disparut aussitôt quand il constata avec effroi qu’il n’avait plus autant d’argent de poche que prévu. Sentant que son teint était presque devenu livide, il s’empressa de le refermer après avoir pris de quoi payer le bus.

« E-Euh… Est-ce que ça coûte cher ? J-Je… J’avais oublié que j’avais utilisé toutes m-mes économies pour offrir un c-cadeau à Zelda… »

Quelle idée d’avoir tenu à lui offrir une console de jeu portable aussi ! Malgré tout, Kyojiro ne regrettait pas un instant d’avoir sacrifié son argent pour un tel cadeau. Le visage de Zelda quand elle avait déballé son présent l’avait tellement comblé de joie ! Le problème, c’était qu’il s’en mordait un peu les doigts à présent… Son père ne roulait pas sur l’or et il serait sans doute assez mécontent d’apprendre que son fils, pourtant si sérieux avec son argent, avait tout gaspillé de la sorte…

Kyojiro aurait pu ressentir une pointe de jalousie en voyant l’air beaucoup trop amoureux d’Aki quand il sembla recevoir un message de sa petite-amie, mais il n’en était rien. Le kendoka souffrait d’une peine de cœur, certes, mais il n’était pas égoïste au point de souhaiter le même malheur au reste du monde, et surtout pas à Aki, son meilleur ami ! Non, à la place, il était vraiment content pour lui, content qu’il ait pu trouver quelqu’un avec qui partager un amour sincère et réciproque. Tellement qu’il en oublia presque un peu sa peine et esquissa un infime sourire, qui s’étira légèrement en entendant Aki lui expliquer ce qu’ils allaient faire lors de ce match de baseball. Bon, manger, ce n’était pas vraiment un problème pour Kyojiro, il aimait cuisiner, mais il aimait aussi manger ! Même si ses repas étaient habituellement un peu trop équilibrés et qu’il évitait de manger des cochonneries pour garder une certaine hygiène de vie et sa forme physique. Là, il était prêt à faire une exception. Par contre, gueuler sur les équipes… Le kendoka n’était pas vraiment réputé pour sa capacité à donner de la voix, bien au contraire !

« D-D’accord, j-je… Je ferai de mon mieux. »

Kyojiro prenait vraiment tout beaucoup trop au sérieux parfois !

Quoi qu’il en soit, maintenant qu’ils étaient prêts, ils quittèrent leur chambre pour se rendre devant le grand portail de l’Académie afin d’attendre le bus qui allait les mener jusqu’au stade. Les mains dans les poches et la tête presque rentrée dans ses épaules pour essayer d’exposer le moins de peau possible au vent froid qui les fouettait de plein fouet, Kyojiro finit par trouver le courage de fouiller son portefeuille, histoire d’en faire un petit état des lieux avant d’arriver au stade. Il fallait payer le trajet aller-retour, la place dans le stade, la nourriture… Mais le kendoka déchanta bien vite en voyant l’état déplorable de ses finances, confiant à Aki que ça allait être un peu compliqué étant donné qu’il avait dépensé toutes ses économies pour offrir un cadeau à Zelda. La réaction du basketteur ne se fit pas attendre et elle était parfaitement compréhensible. Kyojiro aurait sans doute réagi de la même manière à sa place, mais il ne put s’empêcher de baisser un peu les yeux, se sentant soudainement encore plus idiot. Jusqu’à ce qu’il redresse vivement la tête à la proposition de son ami, ses joues se teintant légèrement de rouge sous la gêne.

« M-Mais ! T-Tu es sûr ? J-Je… Enfin… Je te rembourserai, c-c’est promis ! J-Je… Je demanderai à mon père de m’envoyer un peu plus d’argent la prochaine fois pour vite te rembourser ! »

Même si ça voulait dire ne plus avoir d’argent de poche pour les trois prochains mois, tant pis ! Kyojiro ne pouvait pas laisser son ami dépenser de l’argent pour lui, ça le gênait vraiment beaucoup trop ! Surtout que, vu ce qu’il avait ajouté, il ne devait pas rouler sur l’or lui non plus en ce moment ! Rhaaa… Aki était vraiment le meilleur ami de l’univers !

Ils montèrent dans le bus et, rapidement, Kyojiro se laissa happer par le paysage qui défilait devant ses yeux, repartant un peu malgré lui dans ses pensées mélancoliques. Heureusement, Aki veillait au grain et lui donna un petit coup de coude qui le fit sursauter un peu et relever les yeux vers lui. Ah… Encore Zelda… Mais plus que l’évocation de sa première peine de cœur, ce fut la suite des mots du basketteur qui finit par humidifier les yeux sombres de Kyojiro. Il ne s’était vraiment pas rendu compte d’à quel point il avait eu besoin de mots aussi gentils. D’ailleurs, est-ce que ce n’était pas la première fois qu’on lui en offrait d’aussi sincères ? Qu’on s’inquiétait autant pour lui ? C’était gênant mais aussi… affreusement agréable de sentir qu’on comptait pour quelqu’un.

Le kendoka inspira profondément et essaya de se contrôler au maximum pour ne pas se mettre à pleurer comme une madeleine sous l’émotion devant tous ces inconnus qui étaient dans le bus avec eux. Passant rapidement son bras sur ses yeux pour en chasser un maximum d’humidité, il haussa une épaule et préféra regarder ses pieds.

« J-Je sais pas… J-Je… C-C’était la première fille à ne pas avoir peur de m’approcher et q-qui a bien voulu passer du temps avec moi a-alors que je… Je ne suis pas vraiment intéressant… Je… Je veux dire, à-à part le kendo, je… Je ne m’intéresse pas à beaucoup de chose a-alors… E-Et puis elle était gentille, e-elle a fait des efforts p-pour m’apprendre des choses et s-s’intéresser au kendo et au reste… Je… Je lui avais acheté une console de jeux avec mes économies p-parce qu’à cause de moi, u-une autre fille l’a embêtée e-et lui a cassé la sienne… »

Kyojiro s’arrêta, le temps de reprendre un peu son souffle après une telle tirade. Il ne parlait jamais autant d’habitude, surtout pas pour parler de lui en plus !

« J-Je… Je n’ai pas du tout compris, je… Je pensais vraiment qu’il y avait qu-quelque-chose, s-surtout qu-qu’on s’était tous les deux a-avoué nos sentiments m-mais… T-Tu sais, elle aimait vraiment beaucoup les jeux vidéo e-et bah… moi c-c’est pas trop mon domaine a-alors peut-être qu-qu’elle s’est rendu compte q-que nos points communs étaient trop peu nombreux et qu-qu’elle préférait être avec quelqu’un avec les mêmes passions. E-Elle… Elle parlait beaucoup et jouait en ligne avec d-d’autres garçons e-et… Elle les rencontrait aussi en vrai a-alors… »

Kyojiro soupira profondément. Lui qui n’était pas jaloux habituellement, il devait avouer qu’il s’était découvert une facette plutôt affreuse avec cette situation. Il avait tellement peu confiance en lui et dans le fait qu’il puisse vraiment plaire à Zelda qu’il avait aussitôt vu ces personnes comme des menaces. Mais au lieu d’en parler à la principale intéressée, il s’était contenté de prendre sur lui. Comme toujours…

« E-En tout cas… L-La prochaine fois que j’aurai un peu d’argent, j-je… Je tiens à-à ce qu’on retourne voir un match a-avec de la nourriture ! O-Ou alors, je p-préparerai des trucs à l’avance au club de cuisine. »

Kyojiro avait changé pas du tout subtilement de sujet, mais Aki avait raison. Zelda l’avait certes aidé à s’ouvrir un peu plus, à changer, mais la vie ne s’arrêtait pas pour autant maintenant qu’elle n’était plus là. Il avait un super meilleur ami et il comptait bien poursuivre ses efforts pour changer et être plus engageant et moins timide !

« D-Dis… T-Toi aussi t’es presque à sec à-à cause d’une c-certaine fille ? »

Kyojiro essaya de sourire, même si c’était imperceptible. Parler de lui le soulageait grandement, y’avait pas à dire, mais c’était quand même mieux s’il n’était pas le seul à raconter sa vie, non ? Surtout qu’Aki avait beau lui avoir dit qu’il pouvait lui raconter les autres moments marquants de sa vie… Ces moments n’étaient pas forcément plus joyeux que sa rupture avec Zelda… Non, il valait mieux se concentrer sur ce super moment qu’ils allaient passer ensemble ! Même s’ils ne se goinfreraient pas comme prévu !

Kyojiro avait toujours été très dur envers lui-même, mais à cause de son cœur en mille morceaux, ce trait de caractère était exacerbé. Après tout, si tout s’était passé aussi mal, c’était forcément de sa faute. Il savait qu’il n’était pas intéressant, qu’il n’avait rien pour charmer les gens et les faire rester auprès de lui… Mais face à cette constatation faite à voix haute, Aki sembla s’énerver. Kyojiro ouvrit des yeux ronds comme des soucoupes et fixa son ami plusieurs longues secondes sans répondre, baissant finalement les yeux en sentant ses joues virer de nouveau au rouge vif.

« N-Non, c-ce… Ce n’est pas elle qui m’a fait penser ça, c-c’est juste que… Tout le monde le pense, j-je le sais bien, j-j’ai déjà entendu des gens parler de moi en pensant que j-je n’entendais pas… Mais ce n’est pas grave, je… Je sais bien qu’à par le kendo, il n’y a pas beaucoup de choses qui m’intéressent et j-je… Je ne parle pas non plus beaucoup avec les gens alors… C’est normal qu’ils pensent ça de moi. »

Lui-même ne se trouvait pas hyper intéressant, alors comment les autres le pourraient ? Pourtant, il avait fait beaucoup d’efforts depuis son arrivée à Yokuboo, et il continuait à en faire. C’était long et compliqué de sortir de sa zone de confort, mais le kendoka faisait vraiment de son mieux, en témoignait toutes ces choses qu’il avait pu partager avec Zelda. L’ancien Kyojiro n’aurait certainement jamais eu dans l’idée de jouer à Pokémon Go !

À la suite des mots d’Aki, le kendoka sentit une petite moue étirer ses lèvres en coin. C’était vrai que quand on y repensait… Les efforts n’avaient pas été à sens unique, mais Kyojiro en avait sans doute fournis bien plus que Zelda pour que cette relation, même amicale, puisse fonctionner. Elle s’était intéressée un peu au kendo, mais sans doute uniquement parce que son frère en faisait lui aussi. Il n’y avait eu que cette rencontre au dojo, puis cette compétition nationale à laquelle elle avait assisté… Et c’était tout. Kyojiro ne trouva donc rien à répondre, se rendant compte seulement maintenant du déséquilibre évident de leurs efforts. Malgré tout, il ne pouvait se résoudre à jeter la pierre à Zelda…

Le kendoka pouffa néanmoins aux mots du basketteur.

« J-Je l’imagine assez mal te lancer quelque chose au visage o-oui… E-Et puis… Avec tous les efforts que tu fais pour elle, p-pourquoi elle ne voudrait pas de ton cadeau ? T-T’es un super petit-ami, j-j’en doute pas. »

Kyojiro lui offrit un sourire doux et se risqua à venir presser son poing contre l’épaule d’Aki pour le pousser un peu, histoire de ramener un peu de virilité à cet échange.

Quoi qu’il en soit, les deux amis arrivèrent finalement à destination et se retrouvèrent dans les gradins. Kyojiro regardait partout autour de lui d’un œil curieux, un petit sourire sur les lèvres. C’était une ambiance vraiment très agréable ! Le kendoka se laissa porter par le match qui se déroulait devant ses yeux et l’énergie du public, oubliant complètement ce qui lui avait donné aussi mal aux yeux. Et puis, en entendant Aki aboyer comme ça sur l’équipe de Nara, Kyojiro ne put se retenir d’exploser franchement de rire. Il mit plusieurs secondes à retrouver un minimum son sérieux, puis, hésitant un peu, il finit par porter ses mains au niveau de sa bouche.

« On a dépensé toutes nos économies pour venir vous voir ! Alors essayez au moins de marquer un point ! »

Kyojiro finit par se rassoir, toussotant un peu après avoir crié aussi fort, un grand sourire aux lèvres. Il était vraiment heureux de passer ce moment avec Aki, même si l’équipe de Nara se faisait… laminer.

Le match toucha à sa fin avec un score vraiment déplorable, mais Kyojiro ne pouvait chasser ce sourire de ses lèvres, riant doucement sous la tape d’Aki.

« D’accord ! M-Mais il faudra qu’on revienne voir un match, c’était vraiment sympa ! »

Ils se levèrent et suivirent le mouvement pour quitter le stade. De nouveau dans la rue, à attendre le bus qui allait les ramener à l’Académie, Kyojiro hocha vivement la tête aux mots d’Aki.

« Ouais ! O-On va se faire un festin pour oublier la raclée qu-qu’on vient de se prendre ! »

Les mains dans les poches, le nez levé pour regarder le ciel sombre, Kyojiro continuait de sourire, jetant un petit regard en coin à Aki.

« Merci beaucoup Aki… J-Je me sens bien mieux maintenant. »

Kyojiro n’était pas trop doué pour s’exprimer, mais il était teeeellement redevable envers son ami ! L’avoir soutenu comme il l’avait fait, s’être démené autant pour lui… Aki était vraiment un ami en or, et le kendoka se sentait vraiment chanceux de l’avoir. Il aurait pu lui faire un gros câlin pour lui témoigner toute sa reconnaissance et son amitié sincère, mais à la place, il se contenta de venir pousser l’épaule d’Aki avec la sienne.

Ce fut donc le cœur toujours brisé, mais bien moins douloureux, que Kyojiro repartit en direction de l’Académie avec Aki, pour se venger de cette « rupture » et de cette écrasante défaite en se jetant sur la nourriture de la cafétéria !