Fin septembre 2019

James n’avait pas osé recontacter Karin immédiatement après leur rencontre lors de ce festival de musique. Il avait eu peur de passer pour un gros impatient ou un gros lourd, alors il avait préféré attendre quelques jours pour finalement lui envoyer un texto, juste pour s’assurer qu’elle se souvenait bien de lui et, par la même occasion, lui donner son numéro, au cas où elle voudrait le contacter. Mais le quotidien de James avait continué à être assez mouvementé pendant une bonne partie du mois de septembre, surtout parce que Jilian vivait encore chez lui et que les cours avaient repris. Et puis, avec l’entre-deux entre l’été et l’automne, il avait vu passer tout un défilé d’élèves dans son infirmerie à cause de vilains rhumes. Résultat, ses échanges par texto avec Karin en étaient toujours restés aux futilités et politesses.

Ce ne fut qu’à la fin du mois que James fit une tentative : il proposa à Karin de se revoir. Et comme il se souvenait bien qu’elle lui avait parlé de son amour pour les forêts, il s’était empressé de lui expliquer qu’il souhaitait l’inviter à faire une balade sur le mont Wakakusa en sa compagnie. L’automne commençait à colorer doucement les feuillages d’orange et de rouge et, même si l’été était terminé, il faisait encore suffisamment bon pour ne pas risquer d’attraper la mort en déjeunant en extérieur. Il leur suffirait simplement de se couvrir un minimum pour ne pas prendre froid !

Et, à la grande surprise de James, Karin avait accepté son invitation. Le médecin scolaire était ravi de pouvoir la revoir et de poursuivre la discussion qu’ils avaient dû interrompre à cause de son devoir de médecin bénévole lors de ce festival. Le problème était maintenant qu’il devait tout préparer pour ledit pique-nique ! Et comme l’Américain ne cuisinait que rarement des choses vraiment élaborées, il préféra assurer ses arrières en se rendant dans plusieurs boutiques afin d’acheter de quoi se restaurer lors de cette virée en pleine nature.

Le jour J, James était affublé d’un jean noir, d’un pull d’un bleu sombre qu’il avait surmonté de son manteau de mi-saison d’une couleur similaire, ainsi que de baskets. Il fallait qu’il soit à l’aise pour marcher s’ils décidaient de faire une petite randonnée avant ou après leur repas ! Ou même avant ET après ! Il valait mieux prévenir que guérir après tout !

Le médecin scolaire attrapa son sac de sport, qui lui servait principalement pour aller s’entraîner à la piscine municipale, et le remplit de tout un tas de trucs, à commencer par la nourriture et les boissons, en passant par les couverts, l’essuie-tout et, bien entendu, sa trousse à pharmacie. Là encore, il valait mieux être parfaitement équipés !

C’était le week-end et il était déjà près de 10h00 quand James arriva au point de rendez-vous qu’il avait défini avec Karin la semaine passée, lorsqu’il lui avait fait cette proposition de se revoir. Attendant sagement au pied du mont Wakakusa, à proximité de l’arrêt de bus duquel il était descendu il y avait de ça déjà plusieurs minutes, le médecin scolaire attendit patiemment, une main agrippant presque nerveusement la bandoulière de son sac de sport qu’il portait sur une épaule. Il était arrivé avec plus de 30 minutes d’avance, mais il n’avait pas voulu faire mauvaise impression en arrivant le dernier alors que c’était lui qui avait proposé ce rendez-vous.

L’heure tournait et le regard de James ne cessait de glisser sur tout ce qui passait dans son champ de vision. Il était nerveux et espérait presque que Karin ne viendrait pas à l’heure, pour qu’il puisse continuer à se préparer psychologiquement. Ça faisait combien de temps au juste qu’il n’avait pas eu de « rencard » avec une fille ? D’ailleurs, est-ce qu’on pouvait vraiment parler de rencard étant donné qu’ils ne s’étaient vus qu’une fois avant aujourd’hui et qu’ils n’avaient pas forcément développés de quelconques sentiments l’un envers l’autre ? Expirant profondément, l’Américain envoya un petit message de détresse à Jilian, son meilleur ami, vraiment très peu persuadé que ce rendez-vous puisse bien se passer. Leur première rencontre avait été très agréable, mais le contexte était différent et ils n’allaient être que tous les deux cette fois… Karin allait certainement se rendre compte qu’il n’était pas du tout intéressant et elle allait s’ennuyer… C’était certain !

En tout cas, James était tellement perdu dans ses pensées qu’il s’était complètement coupé du reste du monde, ne remarquant même pas que Karin s’approchait de lui.

Quel mois de septembre tout pourri ! Vraiment... on a enchaîné les galères... déjà, le frigo a lâché. Super surprise de retour de tournée... On est revenu du festival de Nara pour découvrir la cuisine recouverte d'une flaque immense. Super. Au moins comme ça le retour à la vie réelle avait été... rapide ! Bon retour dans le quotidien les filles ! À la suite de ça, c'est le van qui avait eu des soucis. On s'en était déjà inquiété pendant la tournée, et on avait croisé les doigts fort. Mais la révision au garage ne nous a pas franchement épargné... Bref, les frais s'étaient accumulés et c'est pas comme si on roulait sur l'or.

Du coup, j'avais passé le mois à slalomer entre les jobs à la con et les galères et j'en avais un peu oublié James... Enfin, pas oublié oublié. Ça m'avait fait plaisir de voir qu'il m'avait finalement recontactée ! Je m'étais un peu inquiétée qu'il ait perdu mon numéro. Mais peut-être que c'était sa façon à lui de respecter une distance, ça me surprendrait pas du personnage ! Et c'était plutôt chic de sa part ! Juste que pour le coup, j'avais pas fait attention qu'on avait pas vraiment pu relancer une conversation tant j'étais occupée à gérer un truc après l'autre.

Entre la tournée et ça, pas beaucoup eu le temps de se reposer. Mais on en voyait quand même le bout... C'est à ce moment-là que l'invitation était arrivée et pour le coup c'était juste parfait ! Parce que bon, après l'effort le réconfort, et la perspective de revoir James avait vraiment de quoi me ravir ! Ça faisait un moment que je m'étais pas emballée comme ça pour un garçon tiens. À croire que me revoici collégienne tiens... En même temps, j'ai enchaîné les contrats à la con pour des télés et des tournages avec des gens tous plus imbus d'eux-mêmes les uns que les autres, alors forcément, en comparaison, James qui m'invite à un picnic en forêt, ça passe forcément pour merveilleux. Sans effort. Heureusement que y a eu l'après midi où on avait l'école buissonnière avec Murphy sinon j'aurais fini par faire d'horribles cernes violacées à tout ce beau monde tellement j'ai horreur de bosser là dedans !

Pour le coup, la semaine avant, j'étais sur le tournage d'un clip de J-pop. Un peu crevant niveau des horaires, et pas forcément ma came. Et si les membres du groupe étaient plutôt cool, c'était pas franchement le cas de l'équipe de prod. Résultat, journées chargées, liberté artistique quasi inexistante et envie de massacrer l'humanité plutôt forte. Et en prime assez peu de temps pour acheter des trucs ! James avait dit se charger de prévoir à manger, mais bon, ça m'embêtait de tout laisser à sa charge quoi... Du coup, j'avais quand même trouvé le temps d'acheter des fruits. Parce que les fruits c'était cool et que ça serait toujours ça !

Évidemment, la veille, dernier jour de tournage. Donc il fallait qu'il y ait des soucis, et du retard. On a fini à 1h du mat au lieux de 22h... plus de bus, j'ai dû rentrer à pied... arrivée à 2h, me suis écroulée sur mon lit et j'ai complètement oublié de mettre un réveil !

Quand j'ouvre les yeux, je suis un peu surprise qu'il y ait autant de lumière et... SCHEIßE ! Je me lève en panique, enfile le premier futal que je trouve, un débardeur, un sweat à capuche. On brosse les dents, on brosse les cheveux. J'enfile mes rangers et attrape le sac à dos dans lequel se trouvent les fruits, ça tombe bien ça fera office de collation dans le bus et fonce à l'arrêt de bus. Par chance, je réussis à attraper celui que j'avais prévu de prendre. J'ai juste les cheveux un peu en bataille... Enfin, j'ai le temps du trajet pour les tresser, ce sera juste un peu moins bien fait que d'habitude, mais bon. En même temps si le but c'est de marcher en forêt, forêt qui est sur une montagne qui plus est, pas la peine de se la jouer pin up ! J'ai quand même encore la face chiffonnée, pas vraiment le genre de réveil qui te met dans de bonnes conditions. Décidément, c'est pas ma semaine. Une fois mes tresses faites, histoire de pas être dérangée, je rabats ma capuche sur ma tête et comate...

Le but arrive aux abords de la montagne, et au moins, j'arrive pas en retard ! bravo moi ! La prochaine fois programme juste ton réveil en avance ma chère... J'ai encore l'esprit dans le brouillard de la semaine jusqu'au moment où je vois ce cher James au point de rendez-vous. Scheiße, ça fait longtemps qu'il attend ? Je suis en retard finalement ? Ceci dit, il est toujours aussi charmant... et toujours aussi dans la lune ! À croire qu'il n'a même pas remarqué qu'un bus vient de lui passer devant. Les mains dans les poches et la capuche toujours sur la tête j'approche donc doucement avec un grand sourire.

"Salut beau brun ! J'ai pas de frites cette fois, j'espère que des abricots séchés ça t'ira comme monnaie d'échange !"

C'est marrant, tout ça a un vague goût de déjà vu !

Inutile de dire que James avait sursauté en entendant une voix s’élever près de lui alors qu’il était dans la lune. Son regard surpris s’était immédiatement posé sur la petite silhouette à côté de lui, restant comme à l’affût, avant de doucement se détendre en remarquant qu’il s’agissait en fait de Karin. Un infime sourire étira alors les lèvres du médecin scolaire, qui s’empressa de s’incliner poliment devant la chanteuse.

« J’accepte les abricots comme monnaie d’échange, pas de problème. »

Il profita ensuite de s’être redressé pour détailler un peu son interlocutrice. Il savait que c’était une sale manie qu’il avait, mais c’était sans doute une sorte de déformation professionnelle, un peu comme s’il voulait faire une petite inspection visuelle pour s’assurer que tout allait bien pour Karin. Et le moins que l’on puisse dire, c’était qu’elle avait l’air un peu fatiguée quand même.

« Je suis content que tu aies accepté mon invitation. Est-ce que tout s’est bien passé pour toi depuis le festival ? »

James aurait bien voulu lui demander si elle était sûre de vraiment avoir du temps à lui accorder, mais il sentait que ce n’était pas le genre de choses à dire si on ne voulait pas laisser s’installer une sensation de malaise. Alors déjà qu’il n’était pas très doué pour parler avec les gens, si en plus il y avait de la tension dans l’air, ça rendrait les choses encore plus compliquées !

« Je ne savais pas trop ce que tu aimais, alors j’ai pris plusieurs choses différentes à manger. Peut-être que tu es végétarienne ou autre, ou que tu as des allergies ? »

Est-ce qu’il n’était pas un peu trop en train de jouer les médecins là ? Se rendant compte de son comportement trop sérieux et trop professionnel, il fronça les sourcils et se passa la main sur sa nuque, avant de tourner les talons. Il jeta un regard en arrière à Karin, lui faisant un petit signe de tête pour l’inviter à le suivre. S’ils voulaient profiter de la forêt pour pique-niquer, il allait encore leur falloir faire un peu de marche pour gravir le mont Wakakusa ! Fort heureusement, la demoiselle semblait plutôt bien équipée au niveau de ses chaussures. James ne l’avait pas imaginée venir avec des talons, l’image aurait pu être assez drôle d’ailleurs, mais ça aurait été quand même embêtant que leur balade soit écourtée à cause de mauvaises chaussures !

« Tu es déjà venue ici ? »

James avançait en prenant toujours soin de vérifier qu’il ne semait pas la demoiselle derrière lui, sentant toujours cette petite boule d’appréhension se balader dans son estomac. Il avait été heureux de voir le visage de Karin, mais il avait vraiment peur qu’elle finisse par s’ennuyer en sa compagnie. Ah… Peut-être qu’il aurait dû ramener un jeu de cartes pour passer le temps… James se maudissait vraiment de ne pas avoir pensé à tout, il avait presque l’impression d’avoir pris ce rendez-vous trop à la légère et ça ne lui plaisait pas du tout… Karin méritait vraiment de profiter d’une super sortie ! Mais qu’à cela ne tienne, James ne comptait pas se laisser abattre ! Il commençait déjà à réfléchir à des petits jeux qu’ils pourraient faire une fois arrivés à destination et qui ne nécessitaient pas forcément d’accessoires !

J'ai comme une impression de déjà vu avec ce début de conversation tiens ! Ça m'amuse un peu. Au moins on est en terrain connu, ça fait un lien avec la dernière fois. J'ai tellement couru dernièrement que j'ai l'impression que c'était y a perpète alors qu'en vrai ça fait à peine un mois... Je sors le sachet de ma poche et lui tends.

"Et bien sers toi ! Tu m'excuseras j'ai déjà un peu grignoté dans le bus..."

J'ai l'impression de pas avoir mangé depuis des siècles ! En même temps la journée d'hier a été tellement galère... je sais même plus si on a eu le temps d'avaler quelque chose après la pause de midi... tournage à la con jte jure ! Du coup la question de James m'amuse un peu, enfin m'amuse jaune quoi. Il a un radar ?

"En tout cas ça faisait plaisir comme invitation. J'aime bien l'idée du picnic. Depuis le festival... voyons... et bien ça a été le festival de la galère ! Y a eu pas mal de réparations à payer que ça soit à l'appart, du coup j'ai un peu couru après les jobs alimentaires avec des patrons pas toujours très sympathiques. Rien de bien grave au final. Juste, tu sais, le côté chiant de la vie d'adulte ! Et toi ça a été la reprise ? Y a dû y avoir des travaux tout l'été en plus non ? Tout est réparé où vous avez genre des ailes condamnées dans lesquelles errent des fantômes qui n'attendent que d'être découverts ?"

Ça doit être le côté black metal, je peux pas résister à une bonne histoire de fantôme. En plus quel que soit le pays, tout le monde sait que les écoles c'est des lieux parfaits pour trouver des fantômes !

Pour la suite, c'est assez drôle de retrouver un James dans toute sa splendeur : à savoir sans doute beaucoup trop avenant. En plus c'est assez rigolo parce que pour le coup on sent vraiment le médecin ressurgir derrière les questions anodines. Ça donne envie de l'embêter un peu.

"Non m'sieur, aucune allergie ni rien, je mange de tout et je fais mes trente minutes de marche par jour ! Par contre s'il te faut l'historique médical sur trois générations, je te préviens je ne sais pas tout traduire en japonais, ni même en anglais..."

Évidemment, je me souviens un peu tard que notre James est peut-être un peu trop terre à terre pour la plaisanterie et j'ai peur qu'il le prenne mal... merde, j'ai la fatigue qui m'encombre les neurones on dirait... Histoire de rattraper, j'enchaîne sur un grand sourire réconfortant.

"Mais c'est gentil de demander en tout cas ! Je suis sûre que tu as tout fait très bien, ça ne m'inquiète absolument pas."

Ce qui est... vrai. Okay on s'est vu qu'une fois et pas si longtemps, mais c'était en tout cas suffisant pour comprendre que c'est plutôt le genre d'homme à faire attention à ceux qui l'entourent... Donc vraiment, le menu ne m'inquiète pas trop. Ni même le lieu.

Et c'est parti pour la marche ! James a un bon pas, faut dire qu'il a des grandes jambes. Du coup les miennes râlent un peu avant de finalement retrouver le rythme d'avant. J'ai peut-être un peu perdu l'habitude des randos par rapport à quand j'étais môme où je passais le plus clair de mon temps à ça, mais je me défends encore plutôt bien.

"À l'occasion oui. Pour des tournages notamment. Mais j'ai encore pas vraiment pu explorer comme je voulais."

C'est à dire sans personne dans les pattes... et avec du temps illimité... Ce qui se trouve beaucoup moins facilement quand tu commences à devoir bosser, ou que tu es crevé d'avoir bossé, et ne parlons même pas des tournées. Du coup c'est une plutôt bonne occasion de venir voir ce que cette forêt a dans le ventre ! Au moins, je suis à peu près sûre que James ne va pas se mettre à courir partout en hurlant au risque de déranger la faune locale. Ce qui est quand même un sacré bon point !

"Mais y avait des endroits assez incroyables. J'avais fini par m'engueuler avec le réalisateur, du coup j'étais partie et j'avais fini par atterrir sur un coin magnifique."

Les forêts c'est la vie, mais leur défaut c'est quand même qu'elles manquent cruellement de portes à claquer pour montrer qu'on est pas content. Et c'est fou le nombre de crétins qu'il y a dans ce milieu tiens... Enfin le fait d'être une nana fait très clairement exploser les stats de crétins au mètre carré, soyons honnête...

"En fait, tu arrives sur une falaise à pic qui donne sur une espèce de cuvette de verdure. C'est assez reposant. C'était l'automne mais les arbres avaient encore tout leur feuillage, il avait juste viré au rouge orange. Du coup le souvenir que j'en ai c'est juste de s'assoir avec les jambes dans le vide et regarder le vent faire danser les feuilles. Je suis presque sûre de pouvoir retrouver l'endroit."

Bon on se perdrait sans doute un peu en cours de route, mais à mon sens ça fait partie du jeu. On ne retient pas son chemin dans une forêt comme ça d'un coup ! J'avais déjà eu de la chance qu'elle m'offre ce coin-là... J'imagine que le retrouver ça se mérite !

"Tu as un coin en tête du coup ? Tu viens souvent ?"

Et j'ai déjà l'impression d'avoir trop parlé tiens...

James esquissa un léger sourire en voyant que Karin sortait effectivement le petit sachet d’abricots séchés de sa poche, et il tendit sa main pour en attraper un, remerciant la chanteuse d’un signe de tête avant de fourrer le fruit dans sa bouche. C’était vraiment super bon ces petits trucs ! Il devrait songer à en acheter plus souvent !

La conversation se poursuivit donc sur les événements qui avaient rythmés le quotidien de la jeune femme. Et autant dire qu’elle ne semblait vraiment pas avoir chômé ! James était à la fois épaté de voir qu’elle était aussi active, mais aussi un peu inquiet de savoir qu’elle semblait quand même avoir un peu de mal à vivre correctement puisqu’elle disait avoir été obligée de courir après des jobs alimentaires. Les sourcils légèrement froncés, James laissa planer quelques secondes de silence, le temps de bien réfléchir à ce qu’il allait dire. Après tout, il valait sans doute mieux éviter de lui proposer de l’argent si ça pouvait la dépanner. Il ne fallait pas oublier qu’ils ne s’étaient parlé qu’une seule fois !

« Je vois… ça s’est un peu calmé ces derniers jours ? Je ne sais pas si je peux vraiment être utile mais… si jamais tu as besoin d’aide ou quoi que ce soit, tu sais où me joindre. En attendant, je peux toujours essayer de te changer les idées avec ce pique-nique. »

James espérait ne pas avoir été trop maladroit et il se risqua à offrir un très léger sourire à Karin avant de reprendre.

« Oui, l’académie a été fermée tout l’été, mais dans l’ensemble, tout a été remis en état. Donc j’imagine que les fantômes sont malheureusement obligés de côtoyer les vivants puisqu’aucun bâtiment n’a été condamné. »

Y’avait pas à dire, James n’était vraiment pas doué pour les blagues ! Surtout qu’il avait lancé sa tirade de son habituel ton sérieux, ce qui ne laissait pas vraiment sous-entendre qu’il pouvait plaisanter ! En tout cas, il notait que Karin semblait avoir un petit penchant pour les histoires qui faisaient peur.

Par la suite, l’Américain avait laissé le médecin en lui s’exprimer, ce qui lui valut une réponse pleine de taquinerie de la part de Karin. James s’était rendu compte que la conversation prenait des allures de consultation qu’en entendant la chanteuse plaisanter sur l’historique médical de sa famille. Affichant un air surpris, il finit par se détendre quand Karin le remercia de s’inquiéter de la sorte.

« Désolé… Déformation professionnelle… »

Mais il était quand même super rassuré d’apprendre que la demoiselle n’était allergique à rien et, surtout, qu’il avait toute sa confiance concernant le repas qu’ils allaient pouvoir déguster tous les deux.

Ils poursuivirent donc leur marche dans les bois, James se retrouvant une nouvelle fois surpris en entendant Karin. Un tournage ? Est-ce que c’était pour ses clips avec son groupe ou quelque chose comme ça ?

« Ça a l’air sympa comme endroit, mais je crois que je ne suis jamais tombé dessus. Je viens courir ici parfois oui, histoire de ne pas toujours faire le même parcours dans le parc aux daims près de chez moi. Après, je ne m’éloigne en général pas trop des sentiers pour courir, mais ça m’arrive aussi de venir me balader ici pour profiter du calme et de la vue sur la ville. En tout cas, si tu peux réussir à retrouver cet endroit, je serais ravi de pouvoir le découvrir. »

James était vraiment beaucoup trop formel, c’était dingue comme il donnait l’impression de ne pas réussir à se détendre !

« Au fait, tu parlais de tournages tout à l’heure. Ce sont pour tes clips ? »

Après tout, elle ne lui avait parlé que de son boulot de chanteuse ! Ou alors est-ce qu’elle avait été sur des tournages dans le cadre de ces fameux boulots alimentaires ?

Je ne sais pas trop comment réagir à sa proposition d'aide... Déjà que je peux avoir tendance à vouloir me débrouiller à tout prix en temps normal, j'avoue que même si je le trouve tout ce qu'il y a de plus sympathique, c'est un peu tôt pour ne serait-ce qu'envisager de lui demander de l'aide ! Je ne doute pas qu'il soit des plus sincères, c'est son genre de vouloir aider à tout prix. Après tout, le mec qui n'écoute pas un mec de metal s'est retrouvé bénévole sur un festival de metal ! Mais quand même... Enfin ça m'empêche pas de sourire, j'ai tellement l'habitude de ces périodes !

"C'est gentil. Ça ira t'inquiète, c'est ça aussi la vie d'artiste ! Je t'avais bien dit que c'était beaucoup moins glamour une fois les projecteurs éteints."

De son côté il répond avec son sérieux habituel. Je trouve ça rigolo. Au moins, on est sûr d'avoir des réponses à ses questions ! Mais ça me donne envie de le taquiner gentiment...

"Ha mince, pauvres fantômes, obligés de cotoyer les vivants ! Enfin c'est chouette si tout a pu être remis en état. C'est plus simple pour vous. Les gens sont pas trop secoués ça va ?"

Apparemment c'est contagieux, moi aussi je me retrouve à poser des questions extrêmement sérieuses ! J'imagine qu'en tant que médecin, il doit être aux premières loges des gens qui ont eu peur et ont du mal à revenir sur le campus. J'ai des potes que ça a pas mal secoué mine de rien, ça a pas été évident pour tout le monde de retourner sur les lieux.

Bon je reste pas sérieuse trop longtemps non plus... à croire que le médecin en lui ne prend jamais de repos ! En même temps, c'est sans doute le genre de métier où tu peux pas trop, tu dois pas pouvoir t'empêcher de remarquer les détails dans la vie des gens sur leur santé ou non. Alors forcément, tu fais attention.

"Je te taquine, t'inquiète ! Et puis, au moins tu as une déformation professionnelle utile. Regarde moi je raconte des histoires de fantômes aux gens de manière intempestive. C'est nettement moins utile dans la vie de tous les jours !"

C'est plus drôle, mais moins utile. Au final, tant que ses questions sont pas intrusives, y a pas tellement de problème en vrai.

"Je suis pas là pour te fliquer hein. Après si les taquineries c'est pas ton truc, faut le dire ! J'arrête de suite."

J'ai l'impression qu'il se flique déjà beaucoup tout seul, comme s'il fallait toujours qu'il évalue tout ce qu'il dit. J'avais déjà eu cette impression là la dernière fois... taquiner c'est juste pour détendre, pas pour que la personne se stresse encore plus à chaque phrase ! Si ça le met mal à l'aise, autant que je fasse attention. En plus si c'est le cas ma main au feu qu'il le dira jamais de lui-même, il serait trop persuadé de gêner...

En attendant on marche tranquillement. J'en apprends un peu plus sur ses habitudes, c'est chouette. J'avoue que j'espère en apprendre beaaaaucoup plus sur lui aujourd'hui ! Mais pour ça faut qu'il se lâche un peu le choupinou... Ceci dit je note qu'au moins il ne s'éloigne pas des sentiers ! Pas quelqu'un qui fait n'importe quoi dans les forêts ! Cent point en plus pour le grand brun...

"Si tu me laisses un instant je dois pouvoir retrouver ça."

Je pose les doigts sur les lèvres pour lui signaler que par contre, il faut faire silence un moment. Je ferme les yeux et baisse ma capuche. Le vent dans mes cheveux me signale qu'à m'être coiffée à l'arrache dans le bus, c'est n'importe quoi, mais je m'en fiche un peu. Je tends l'oreille. J'essaie d'écouter ce que la forêt a à dire pour retrouver l'endroit. Je ne la connais pas encore très bien, mais je dois pouvoir retrouver les informations de la dernière fois... écouter... sentir... l'air qui passe, la faune et la flore qui bougent, les odeurs qui filent, les petits bruits partout. Une minute à rester extrêmement concentrée.

"Essaie de marcher exactement où je marche."

J'attrape finalement la main de James et me met en route, toujours en gardant le silence. J'essaie de faire attention à ne déranger aucune créature. Je nous fais quitter le sentier, doucement. Parce qu'il faut suivre le circuit interne de la forêt plus que celui des humains, ce qui veut dire qu'il faut faire encore plus attention pour ne rien déranger. Garder la main de James ça me permet aussi de m'adapter, ne pas marcher trop vite, lui permettre de sentir où il faut poser les pieds. En faisant attention, on peut évoluer hors des sentiers sans déranger la forêt. J'hésite par moment, dois parfois m'arrêter pour retrouver une trace, une odeur, un courant d'air... mais finalement, au bout de dix minutes de marche silencieuse et concentrée, nous arrivons dans la petite clairière qui se termine par une falaise. J'ai réussi ! Je lâche aussitôt la main de James, ça l'avait dérangé au festival que je ne la lui rende pas dès qu'il n'y avait plus besoin... De toute façon, je suis tellement contente que je ne peux pas m'empêcher de foncer m'assoir au bord de la falaise. C'est aussi beau et impressionnant que là derrière fois ! Je me retourne vers James pour l'inviter à ma rejoindre.

"TADA !"

En dessous de nos pieds, une autre part de la forêt s'étend dans cette espèce de cuvette. Les couleurs ne sont pas les mêmes, mais c'est tout aussi impressionnant ! Quelques minutes à contempler les arbres et je me rappelle d'un coup que James m'a posé une question y a genre... quinze minutes ? Merde !

"Pardon j'étais tellement concentrée j'ai oublié de te répondre... En fait je suis maquilleuse et costumière, ça permet de faire bouillir la marmite ! Je travaille majoritaire dans le milieu musical, c'est là que j'ai le plus de contacts. Donc beaucoup de clips oui, parfois des courts ou des longs métrages. Et parfois, du purement alimentaire, je bosse pour la télé. C'est affreusement chiant et les gens se croient tous extrêmement importants. J'ai beaucoup fait ça ce mois-ci."

James se contenta d’hocher la tête quand Karin refusa poliment son aide. Il ne lui en voulait pas du tout, lui-même aurait très certainement refusé à sa place, mais il espérait quand même que tout se passerait bien pour elle.

« Pas mal de gens ont été secoués, il y a quand même eu pas mal de dégâts, mais je crois que tous les élèves et membres du personnel ont décidé de revenir malgré tout. J’imagine juste que certaines personnes auront besoin d’un peu plus de temps que d’autres pour ne plus avoir peur et tourner la page. »

Lui s’en était plutôt bien sorti, avec simplement une cicatrice à l’arcade sourcilière, mais d’autres n’avaient pas été aussi chanceux, comme son ami Jilian qui s’était retrouvé avec un plâtre et des béquilles. James avait fait le tour des plus grands blessés, et il se souvenait aussi d’un étudiant qui s’était brûlé le bras à cause d’un départ de feu dans la salle de club où il s’était réfugié avec d’autres camarades. Le médecin scolaire avait beaucoup culpabilisé à la fin de cet événement : il était le médecin de l’Académie, et il s’était fait mettre hors service dès les premiers signes de redoublement de violence des intempéries. Résultat, il n’avait pu être utile à personne…

Haussant légèrement son épaule, James posa de nouveau son regard sur Karin quand elle compara l’utilité de leurs déformations professionnelles.

« Ça dépend. Ça détend sans doute bien plus l’atmosphère que ma déformation à moi. Et ça ne me dérange pas du tout, ne t’inquiètes pas. »

Quel gros nul… Karin voulait simplement passer un bon moment et James gâchait tout en laissant sous-entendre malgré lui que ses taquineries le dérangeaient, alors que ce n’était pas du tout le cas ! C’était juste qu’il n’était pas vraiment habitué à tout ça, et qu’il avait sans doute bien plus de mal que le commun des mortels à savoir comment y faire face et comment rebondir dessus.

En tout cas, Karin ne sembla pas s’en offusquer et elle fut même d’accord d’essayer de retrouver ce fameux endroit dont elle lui avait parlé juste avant. James fut coupé dans son élan, s’arrêtant dans son inspiration pour prendre la parole quand il vit la chanteuse lui faire signe de ne plus faire de bruit. Le médecin scolaire se raidit alors aussitôt, comme retenant sa respiration pour laisser Karin s’imprégner de l’atmosphère qui les entourait. Il trouvait ça presque mystique de la voir fermer les yeux et retirer sa capuche pour se concentrer. On aurait vraiment dit une sorcière à cet instant précis ! Et James était tellement subjugué qu’il ne quitta pas la jeune femme des yeux, se contentant d’hocher la tête sans un bruit quand elle lui intima de suivre ses pas.

Mais son corps se raidit de plus belle en sentant que Karin venait de lui prendre la main. Il y avait comme un air de déjà-vu, mais ça n’empêcha pas James de sentir un grand frisson le parcourir en sentant ce contact de peau contre peau. Il n’eut cependant pas le loisir de protester, se faisant aussitôt embarquer dans une marche silencieuse. Malgré le manque de paroles, le médecin scolaire n’était pas du tout mal à l’aise tant il se laissait porter et se laissait lui aussi imprégner par toutes ces odeurs, ces brises et ces sons. Son pas était même presque léger, ce qui contrastait énormément avec sa silhouette assez massive.

Leur marche dura un moment, jusqu’à ce que Karin se précipite vers le rebord d’une falaise pour s’y assoir, l’air visiblement très heureuse. James la rejoignit avec un peu moins de précipitation, prenant bien le temps d’admirer les alentours avant de s’assoir à côté d’elle, ses pieds dans le vide. C’était assez flippant d’imaginer une potentielle chute qui serait certainement mortelle s’ils faisaient un faux mouvement, mais la vue en valait vraiment le coup.

« C’est magnifique… »

James avait laissé ces quelques mots s’échapper dans un souffle, alors que son regard émeraude ne cessait de se poser sur chaque détail présenté devant lui, comme s’il essayait de graver cette image dans sa mémoire.

« Comment tu as fait pour réussir à retrouver cet endroit ? C’était vraiment incroyable de te suivre, c’était comme si tu faisais partie de la forêt toi aussi. »

Oui, vraiment, James avait été très impressionné. Lui, il avait l’habitude de ne jamais s’éloigner des sentiers parce qu’il ne voulait pas risquer d’abîmer la nature, mais aussi parce qu’il n’avait pas tellement envie de se perdre ou se faire mal sur des chemins qui n’étaient pas banalisés. Là, c’était vraiment comme si la forêt avait joué le rôle de GPS pour Karin !

D’ailleurs, celle-ci s’empressa de s’excuser et de répondre à la question qu’il lui avait posée avant qu’ils ne commencent leur expédition en pleine forêt, loin des sentiers. James secoua doucement la tête pour lui signifier que ce n’était rien. De toute façon, lui aussi avait été tellement happé par le moment, qu’il avait complètement oublié sa question avant que Karin n’y revienne !

« Ce n’est rien. Tu fais de la couture alors ? Ça doit être intéressant de pouvoir agir dans l’envers du décor, mais j’imagine qu’en effet, les gens ne doivent pas être tous simples à vivre. Comment tu en es venue à être maquilleuse et costumière ? Tu faisais ça avant de faire de la scène ? Tu as faim ? »

Oui, oui, la dernière question n’avait absolument rien à voir avec le reste, mais James commençait à avoir un petit creux mine de rien…

Il était temps de retrouver la fameuse falaise ! Fermer les yeux, tout oublier, juste être là, et se concentrer sur tout ce qui vient à moi... J'avais un peu peur de perdre James là-dedans, mais il suit plutôt bien. Je ralentis, ressers parfois ma main, comme pour dire que tout va bien. Et je continue, toujours en équilibre entre la forêt et lui... je n'ai pas guidé quelqu'un dans une forêt comme ça depuis très très longtemps...

Je retrouve finalement l'endroit et m'installe. James me rejoint au bord, bien plus prudent, ce qui ne m'étonne guère de lui. En même temps ce n'est pas forcément très difficile d'être plus prudent que moi... Je l'observe du coin de l'oeil alors qu'il découvre l'endroit, et sourit. J'avoue que j'ai eu peur qu'il n'apprécie pas l'endroit à sa juste valeur... ça m'était trop arrivé et c'est bien pour ça que je n'emmenais plus personne avec moi en forêt...

Je ne réponds pas, l'endroit parle pour lui même... et de toute façon, il n'y a rien à répondre. C'est tellement évident que ça dépasse les mots à mon sens. Autant le laisser apprécier tranquillement. Finalement, la conversation reprend, comme si chacun devait un peu revenir à lui. Un genre de plongé sous marine, mais en forêt. De la plongée forestière ? Là où c'est coton c'est que la réponse à sa question elle est à la fois très simple et très compliquée... je le sais parce que j'ai déjà essayé de mettre des mots là dessus, et j'ai jamais trop réussi, même en allemand. Alors que c'est tellement évident de l'intérieur... Je me gratte la tête, embêtée, cherchant les mots pour essayer de transcrire ça...

"et bien... d'une certaine façon c'est le cas... Je crois que la plupart des gens qui viennent en forêt, viennent comme des visiteurs. Ils viennent, ils repartent. Un peu comme on fait dans un musée. On marche, on regarde autour, on trouve ça beau, ou pas d'ailleurs, et puis on s'en va. Et c'est fini. Je crois que les gens font pareil dans les forêts, mais ça peut pas marcher parce que les forêts sont vivantes. Et nous aussi. Donc en vrai, il faut considérer qu'au moment où on rentre dans une forêt on fait partie d'elle, qu'on est vivant pareil. Et quand tu acceptes ça, d'un coup tu entends, tu vois, et tu sens plein de choses. Et encore, celle-ci je la connais pas encore très bien. Celle de chez moi, je pouvais me déplacer les yeux fermés sans rien gêner, et je me perdais jamais. Là j'ai galéré par moment. Mais je me souvenais de la texture du sol, des odeurs. Et puis une falaise, ça produit d'autres sons, d'autres courants d'air. Si on est attentif, on peut les repérer. C'est ça que j'ai suivi."

Là normalement c'est le moment où les gens commencent à me prendre pour une folle. J'hésite, triture mes mains. Et puis merde, tant qu'à paraître pour folle, autant y aller à fond.

"Si tu veux je pourrais te montrer. Rien qu'entre ici, au bord de la falaise, et à l'orée de la falaise, la différence est massive si on fait vraiment attention."

Mais les gens écoutent pas vraiment.... souvent ils se disent qu'il suffit de regarder, et du coup ils passent à côté de plein de choses... je sais pas très bien comment ils survivent comme ça d'ailleurs. Je sais pas ce que je ferais si je faisais plus partie de la forêt...

Et finalement, on revient sur des sujets plus pragmatiques. Les jobs alimentaires et... la nourriture ! Le décalage m'amuse, et puis je me rends compte que ouai, j'ai terriblement faim ! Faut dire que je n'ai pas fait un vrai repas depuis... hier midi ? Quelque chose comme ça...

"J'avoue que j'ai la dalle ouai !"

Peut-être un peu trop enthousiaste, c'était un peu le cri du coeur... maudit tournage à la con ! Je sors les quelques fruits que j'ai pu achetés dans la semaine et pendant qu'il sort tout de son côté je réponds à ses questions.

"Et bien... je t'avais dit que j'avais abandonné la fac je crois ? À cette époque j'ai fait pas mal de jobs alimentaires, du service, du ménage, ce genre de choses. À côté de ça je traînais de plus en plus dans les milieux alternatifs. Je testais plein de trucs en maquillage et de fil en aiguille, j'ai commencé à avoir des jobs ici ou là pour des clips et des machins. Ça m'a permis de me faire la main et un réseau. Du coup depuis quelques temps plus besoin de faire des ménages, je fais majoritairement que des trucs cools. Enfin sauf quand il faut maquille des connards. Là c'est toujours chiant. D'autant que c'est pas des milieux qui manquent de connards. Et toi alors ? Tu as dû passer par la case job alimentaire ou tu as toujours été médecin ?"

Je suis bien curieuse de voir comment il en est arrivé là notre brave médecin. Par contre j'ai l'impression de tellement trop parler et monopoliser la conversation !

James s’était littéralement laissé entraîner entre les arbres par Karin. La demoiselle semblait en parfaite osmose avec la nature, et le médecin scolaire n’avait pas pu s’empêcher d’être limite bien plus subjugué par ce guidage instinctif que par la vue qui s’était ensuite offerte à lui. Ce petit coin était magnifique, mais il n’arrivait pas à se remettre de cette démonstration de la part de Karin. C’était comme si elle s’était mêlée à la nature l’espace d’un instant, comme si elle avait vraiment pu communiquer avec elle.

Le médecin scolaire prit donc place à côté de la chanteuse, se retrouvant lui aussi avec les pieds dans le vide. Il admira longuement la vue avant de parler de cette expérience particulière que Karin venait de lui offrir. Et quand celle-ci se mit à lui expliquer le processus, James but littéralement ses paroles. N’importe qui aurait pu rire en lançant que c’était n’importe quoi ou la prendre pour une folle, mais l’Américain y croyait pour de vrai, et il trouvait ça vraiment fantastique.

« Tu as raison. Je crois que moi aussi j’ai tendance à rester simple visiteur quand je viens. Alors… J’aimerais beaucoup que tu me montres. »

James planta son regard émeraude on ne peut plus sérieux dans les yeux de sa voisine. Il avait vraiment envie d’apprendre, de découvrir d’autres choses… C’était son grand côté curieux ça ! Et puis ça lui changeait de découvrir des choses qu’on ne pouvait pas apprendre simplement en lisant des livres ou en étudiant. Ce côté abstrait l’attirait vraiment beaucoup !

Mais c’était quand même très éloigné de ce à quoi James était habitué, raison pour laquelle il revint bien vite à des sujets plus pragmatiques avec la nourriture, demandant à Karin si elle voulait manger maintenant. Sa réponse, qui venait clairement du fond du cœur, surprit légèrement le médecin scolaire, qui esquissa finalement un petit sourire avant d’ouvrir son sac de sport pour en sortir de quoi se sustenter. Il avait vraiment prévu beaucoup trop de choses ! Il y avait des sandwiches, des salades, des chips, de la viande froide… Il aurait vraiment pu nourrir tout un régiment ! Mais au moins, comme ça, il était sûr que Karin trouverait quelque chose qui lui ferait vraiment plaisir.

James se décala donc un peu afin de pouvoir tout disposer entre eux deux et laisser la jeune femme choisir ce qu’elle voulait manger. Bien sûr, les boissons étaient aussi prévues et le médecin scolaire sortit deux gobelets pour qu’ils puissent chacun opter pour leur boisson préférée : eau, sirop, jus de fruits, bières… C’était à se demander si James n’était pas en réalité de la famille de Mary Poppins !

Une fois leur repas entièrement prêt à être dégusté, la conversation revint vers Karin et son parcours professionnel. James était vraiment admiratif de voir que la jeune femme avait réussi à percer dans un milieu aussi fermé. Elle semblait vraiment très déterminée !

« D’accord. C’est bien en tout cas si tu fais principalement des choses qui te plaisent. C’est plutôt rare de nos jours. Pour ma part, j’ai toujours été médecin. Enfin… Après mes études, je me suis directement lancé dans ma carrière. Et la famille aidant, je n’ai jamais eu besoin de faire de petits boulots d’appoint quand j’étais étudiant. »

James n’avait jamais manqué de rien, et c’était toujours vrai aujourd’hui ! Mais l’Américain n’était pas quelqu’un de vraiment matérialiste. Même s’il avait amplement les moyens de se payer un appartement de luxe en plein quartier riche de Nara, il avait choisi un petit appartement très modeste dans le quartier historique. Appartement qui était d’ailleurs meublé avec le strict minimum.

« Bon appétit. »

James attrapa un sandwich et en déballa une partie, lançant ensuite un regard vers Karin et lui offrant un petit sourire, avant de retourner son attention sur son sandwich et sur la vue magnifique qui s’étendait devant lui. C’était tellement agréable d’être au calme, comme ça, avec une aussi bonne compagnie ! C’était comme si toute l’appréhension de James s’était faite souffler et que le poids qui pesait sur ses épaules s’était envolé !

« Je pense que je vais songer à venir plus souvent pique-niquer ici, c’est agréable de ne pas être entouré de tout le brouhaha de la ville. Tu accepterais de me tenir compagnie une prochaine fois ? »

Eh bah ! James ne trainait pas ! Leur premier rendez-vous n’était même pas encore terminé qu’il en proposait déjà un deuxième !

Pour le coup, j'avais pris un sacré risqué... en même temps, d'une certaine façon, je le prenais souvent... enfin disons avec tous les gens qui finissaient par avoir un minimum d'importance pour moi. Ce qui est plutôt logique vu la place que la forêt a pour moi. Là où c'est plus surprenant, c'est qu'en général j'ai plutôt le droit à un haussement de sourcils, voire d'épaules, les yeux au ciel, et parfois un commentaire plus ou moins aigre... mais pour le coup, quelqu'un qui veut que je lui montre, ça me laisse sans voix ! C'est quoi, la deuxième ou troisième fois que ça arrive ? J'en bugue un peu du coup...

"D'accord, je te montrerai, mais ça demande de prendre du temps si on veut le faire bien.... Du coup tu préfères peut-être manger avant ? Comme ça tu pourras plus facilement comparer entre ici et dans la forêt ! C'est l'endroit parfait pour essayer, tu devrais pouvoir facilement sentir la différence."

J'y avais pas pensé, mais c'est vraiment parfait comme endroit pour débuter... pour le coup, la falaise a vraiment quelque chose d'apaisant, et puis la forêt derrière, ça fait comme un mur végétal sur lequel s'appuyer confortablement... et puis s'il a vraiment envie d'apprendre, et bien ça devrait être super !

En attendant, on revient donc sur du purement pragmatique en parlant nourriture et pour le coup, mon estomac me rappelle soudainement la date de mon dernier repas : il y a beaucoup trop longtemps selon lui. J'approuve aussi. Mais je crois que ma réaction le surprend un peu.

"Pardon, c'était un peu le cri du coeur. Le tournage sur lequel je bossais était archi désorganisé, j'ai pas eu de vrai repas depuis hier midi. Une vraie galère !"

Inutile de rappeler que je me suis levée en retard et que donc j'ai pas eu de petit dej non plus ! De toute façon, le bordel de ma coiffure témoigne déjà de la non organisation de ma matinée ! Enfin il a pas l'air de le prendre mal. Et pour le coup, James me surprend encore une fois. Sérieusement il a prévu de nourrir toute la forêt ?? Comment il a fait pour loger autant de choses dans son sac...

"Et bah ! On peut dire que t'as plus d'un tour dans ton sac toi !"

Plus prévoyant tu meurs... il a dû prévoir absolument toutes les options possibles et imaginables. Du coup c'est presque surprenant qu'il n'ait envisagé les allergies qu'aussi tard dans le processus ! Le pauvre, si j'avais été allergique à quoi que ce soit il s'en serait sans doute voulu à mort... au final, tout ça ça me fait sourire. Je me décale, histoire de m'assoir, face à lui... et au buffet !

"T'aurais dû me dire, ça devait être lourd à porter tout ça ! J'aurais pu t'aider. En tout cas merci beaucoup, vraiment. Ça dû te demander vachement de temps et d'efforts. Ça me touche beaucoup, merci !"

Paraît que le plus court chemin vers le coeur de quelqu'un c'est de passer par l'estomac. En tout cas c'est vrai pour moi... Quand je repense à la gueule du buffet qu'il a fallu qu'on se partage avec l'équipe sur toute la nuit, en comparaison c'est vraiment ridicule !

"Il y a des contrats plus pénibles que d'autres, mais disons que tant que je retourne pas à l'usine ou faire des ménages, c'est déjà ça ! C'est chouette en tout cas si tu n'as pas eu à galérer. J'ai pas fait d'études, mais de ce que j'ai vu, c'est quand même plus simple quand tu passes pas ton temps à bosser à côté pour payer les factures. Contente que tu ais pu échapper à ça ! Tu es resté proche de ta famille ?"

J'attrape un sandwich dans lequel je mords avec bonheur, les yeux dans la falaise. Je soupire d'aise, ça fait vraiment du bien de manger en vrai !

"Merci, à toi aussi !"

Et pour la troisième fois, James me surprend. Voilà que c'est lui qui propose d'ores et déjà une prochaine rencontre ! Finalement, peut-être qu'il se détend enfin. Magie de la forêt ! Personne ne peut lui résister, mouhahaha ! Je souris.

"Avec plaisir ! Et puis la prochaine fois tu sauras te retrouver dans la forêt alors ça sera à toi de retrouver l'endroit !"

Bon il y arrivera peut-être pas dès la prochaine fois, mais je suis presque sûr qu'il est capable de revenir plusieurs fois pour s'entraîner jusqu'à ce qu'il soit capable de retrouver l'endroit... je suis pas complètement sûre que ça soit une bonne idée d'ailleurs, il finirait par se perdre... ce serait pas très malin...

"Enfin évite de venir t'entraîner tout seul, ou alors prévois des rations de survie quoi, au cas où tu te perdrais... Je m'en voudrais que tu retrouves pas ton chemin. Mais sinon on est d'accord, ça fait du bien de s'éloigner de la ville des fois. Je devrais prendre le temps de venir plus souvent..."

Mais bon, des fois après le travail, y a pas forcément l'énergie de faire en plus du trajet en bus pour venir ici... peut-être que je devrais déménager dans le coin quand je pourrai...

James avait senti le moment de flottement qui avait suivi sa demande à Karin, pour qu’elle lui apprenne à ne plus être un simple visiteur quand il venait en forêt. Mince… Est-ce qu’elle avait finalement changé d’avis ? Est-ce qu’il n’avait pas bien réagi ou formulé sa demande ? Tout un tas de questions se bousculèrent dans la tête de l’Américain pendant qu’il fixait la chanteuse, attendant que la surprise passe. Et James manqua de lâcher un soupir de soulagement quand Karin reprit en lui disant qu’elle était d’accord pour lui montrer tout ça. Le médecin scolaire esquissa un léger sourire et hocha doucement la tête.

« Je comprends que ça prenne du temps, alors il vaut mieux que nous mangions d’abord. Comme ça, on pourra vraiment se concentrer sur le reste une fois que nous aurons terminé. »

James avait hâte de s’essayer à l’exercice lui aussi, mais avant ça, il déballa toute la nourriture qu’il avait stockée dans son sac de sport en attendant le moment opportun. Chose faite, il afficha une petite moue à la remarque de la jeune femme. Alors il en avait vraiment trop fait, hein ?

« J’avais peur que tu n’aimes pas ce que j’avais prévu, c’est pour ça que j’ai préféré prendre plein de choses différentes. Ça aurait été compliqué de redescendre jusqu’à la boutique la plus proche si le pique-nique ne te plaisait pas, on aurait perdu du temps. En tout cas, mange autant que tu veux et tu pourras même prendre ce qu’il restera. »

Et il était certain qu’il resterait des trucs ! Alors autant que Karin en profite si elle avait déjà beaucoup de mal à trouver du temps pour manger. Là, tout serait prêt et elle n’aurait plus qu’à se poser pour se rassasier !

En tout cas, aux mots de Karin, James s’empressa de secouer doucement la tête pour la rassurer.

« Ne t’inquiète pas, ce n’était pas lourd du tout et puis, c’est moi qui ai tenu à emmener tout ça. C’est normal que ce soit moi qui ai tout porté, surtout que je suis sans doute bien moins fatigué que toi vu les journées que tu as eues récemment. Et ne me remercie pas, ça m’a fait plaisir de préparer tout ça. »

Bon, niveau ratio de sommeil, il était difficile de savoir qui avait vraiment dormi plus que l’autre, mais James était habitué à passer de sales nuits à cause de sa blessure et de ses cauchemars, alors il se considérait quand même comme étant plus en forme que la chanteuse, même s’il avait dû dormir bien moins qu’elle.

Quoi qu’il en soit, à l’évocation de sa famille, ce fut au tour de James de laisser un petit moment de flottement alors que Karin croquait à pleine dents dans le sandwich qu’elle avait entre les mains. Le médecin scolaire en attrapa un à son tour, restant silencieux en le déballant, avant de finalement relever les yeux vers Karin.

« Pas vraiment non. On s’est éloigné pendant mes études à l’université, et on a finalement coupé les ponts quand je suis arrivé au Japon. »

Décidément… Il avait horreur de parler de lui parce qu’il avait toujours tendance à ne pas vouloir raconter ses problèmes pour ne pas plomber l’ambiance. Résultat, ça lui plombait limite encore plus le moral de passer son temps à omettre la moitié des détails et des raisons qui avaient abouti à telle ou telle situation. James ne perdit donc pas de temps pour changer de sujet et proposer dès maintenant à Karin de se revoir après cette journée. La réponse de celle-ci le laissa sans voix, alors qu’il fixait la jeune femme d’un air surpris, la bouche à moitié ouverte devant son sandwich parce qu’elle l’avait coupé dans son élan.

« Oh euh… Oui, je… pourrai essayer… »

Autant dire que James n’était pas DU TOUT convaincu ! Il allait devoir s’entraîner s’il voulait vraiment réussir à retrouver cet endroit la prochaine fois !

Mais comme si Karin avait déjà cerné le personnage, celle-ci s’empressa de lui conseiller de ne pas venir s’entraîner ici tout seul… Surpris de s’être fait devancer de la sorte, James ne put s’empêcher de pouffer, baissant son sandwich.

« J’avais prévu de venir m’entraîner pour être capable de retrouver cet endroit la prochaine fois, mais si tu me conseilles d’éviter, je vais plutôt écouter la spécialiste de la forêt. Surtout que je serais effectivement capable de me perdre et comme je n’ai presque jamais mon téléphone sur moi… ça pourrait poser problème. »

James offrit un doux sourire à Karin, trouvant ça vraiment drôle qu’elle l’ait devancé de la sorte. Puis son regard émeraude fut attiré par des bruits de la nature, se perdant de nouveau sur la vue en contrebas avant qu’il n’attaque son sandwich. Il passait vraiment un bon moment, c’était tellement agréable !

Pour le coup, valait mieux prendre le temps de manger avant de se mettre à explorer, d'autant que James avait prévu de nourrir tout un régiment ! Mais en vrai ça me fait sourire. C'est un brin disproportionné, mais l'attention est touchante. J'ai beaucoup trop de chance, y a de la tendresse plein mon sourire.

"C'est vrai que ça aurait pas été pratique de redescendre pour aller chercher les chips. Ou du café. Au moins comme ça on a tous les classiques. Et puis comme ça y aura de quoi faire un picnic spécial reste !"

Non mais jvais quand même pas le dépouiller de tout ça ! Qu'il en ramène aussi... lui aussi ça lui fera ça de moins à acheter et cuisiner... En attendant il est beaucoup trop gentil pour ce monde je trouve. Ça me fait un drôle de contraste par rapport aux mecs que j'ai dû fréquenter cette semaine... faudrait mieux équilibrer le monde dites !

"Merci, t'es trop gentil. J'ai surtout trop vu de crétins en trop peu de temps. Ça fatigue plus que le manque de sommeil. Heureusement que t'es là pour sauver la moyenne à tout seul, sinon j'allais devoir hiberner jusque novembre pour compenser !"

Bon par contre la famille, très très mauvais sujet de conversation. Oups. Pas vraiment besoin des détails... on coupait rarement les ponts pour rien. Surtout quand tu faisais en sorte de mettre la moitié du monde entre toi et les autres ! Je vais d'ailleurs faire semblant de pas remarquer le changement de sujet soudain. Chacun son tour de cacher ses poussières sous le tapis, après tout je lui avais déjà fait le même coup la dernière fois qu'on s'était vus ! C'est de bonne guerre. Du coup je sais pas si son envie d'un autre rendez-vous c'est juste une autre diversion ou si c'est sincère. En vrai, je m'en moque un peu, je préfère sauter dans la brèche et décréter que ça serait avec plaisir. Non mais. Puis rien que pour voir sa bouille toute surprise, ça valait le coup. Je rigole gentiment.

"Haha, tu serais loin d'être le premier ! Enfin ça va, imagine les gens qui font les malins comme ça en montagne. Là au pire t'aurais fini par te nourrir de racines et de mûrs jusqu'à retrouver le parking. Enfin en vrai t'aurais sans doute retrouver un chemin avant quand même !"

Je l'imagine complètement se perdre oui... pas qu'il était pas dégourdi, au contraire je pense... mais disons que quand on était pas habitué à sortir des sentiers, ça se sentait toujours. Et ça aurait été bête de le laisser tourner encore et encore.

"Ou alors, peut-être que tu es du genre à aimer te perdre ? Je veux dire, c'est pas toujours une mauvaise chose d'être perdu. Des fois on a le temps en tournée de se promener dans les villes où on passe. Pas toujours, parce qu'on calcule pour avoir le moins de temps de pause possible. Mais quand ça arrive on va se promener, et un coup sur deux on se perd. C'est aussi une bonne façon de découvrir des endroits. Enfin en forêt si tu sais pas reconnaître ce qui comestible, ça reste pas une super idée ceci dit !"

James a les yeux qui se perdent dans la falaise en mangeant. Faut dire qu'il y a de quoi se perdre. On mange un peu en silence. Ça m'avait manqué ce genre de moment. Juste être là avec quelqu'un sans forcément avoir besoin de parler ou de faire quelque chose. Juste être là. Ensemble. Franchement, après cette semaine, c'est juste parfait ! J'attends un peu, juste le bon moment. Un signe, une respiration, ou un courant d'air, je sais pas trop. Et finalement, je reprends la parole doucement.

"Ferme les yeux. Tu vas sentir sous toi, l'est un peu terreux, il a plu y a quelques jours. Tes doigts peuvent le sentir, y a encore des zones un peu humides, faut chercher mais on les trouve. Le soleil donne pas longtemps ici. Tu dois aussi pouvoir sentir le poids de tes jambes dans le vide, comment tes chaussures pèse un peu plus sur tes pieds que d'habitude. Faut que tu repères si c'est sur la cheville que ça tire, peut-être la plante du pied. En tout cas sans doute que d'habitude c'est pas cette zone que tu sollicites. Pareil pour tes jambes, elles reposent pas pareil. Est-ce qu'elles pendent juste dans le vide ? Est-ce que tu les bloques contre la pierre ? Si tu cherches bien, tu vas pouvoir les courants d'air. Comment l'air circule autour de toi. Comment il remonte de la falaise, ou y plonge. Les tourbillons. Comment il va chercher la forêt ou en vient. Et quand t'as trouvé, tu vas pouvoir trouver quelle place tu prends là dedans."

Je me tais un peu... ça fait beaucoup déjà ! Pour quelqu'un plutôt habitué à réfléchir les choses plutôt qu'à les sentir, ça fait déjà pas mal à trouver ! Faudrait pas lui faire peur...

Eh bah ! Avec autant de compliments, il n’avait pas manqué grand-chose à James pour se mettre à rougir ! Karin avait beau lui dire tout ça, c’était elle qui était gentille à bien avoir voulu passer ce moment à ses côtés ! C’était donc parfaitement normal qu’il la remercie un minimum en lui offrant un pique-nique digne de ce nom ! Heureusement, donc, que la conversation avait ensuite déviée sur les parents de l’Américain, ça lui avait permis de se reprendre et de ne pas finir par ressembler à une tomate trop mûre. Comme à son habitude dès qu’on abordait le sujet, le médecin scolaire était resté on ne peut plus évasif, et avait finalement changé de sujet en proposant à Karin de se revoir une prochaine fois, alors même que ce premier rendez-vous n’était pas encore terminé.

Et puis après le début de gêne et le léger malaise, ce fut à la surprise de s’afficher sur le visage de James quand Karin sembla deviner un peu trop facilement les projets de son interlocuteur. L’Américain fronça légèrement les sourcils, semblant réfléchir.

« Hum… C’est vrai que j’aurais quand même probablement réussi à rapidement retrouver un sentier ou quelqu’un qui passait dans le coin pour m’aider, mais j’aurais certainement eu du mal à survivre avec seulement des racines et des mûres… J’ai besoin d’au moins une tasse de café par jour pour tenir. »

Légère touche d’humour de la part de James, même si, comme d’habitude, ça ne se sentait pas forcément. Le médecin scolaire haussa d’ailleurs une épaule alors qu’il déballait son sandwich.

« Ça ne me dérange pas non plus de me perdre. Comme tu l’as dit, ça permet de découvrir des choses qu’on n’aurait pas forcément découvertes autrement. Et puis, il suffit simplement de demander son chemin une fois que tu décides de retourner sur les sentiers battus. »

En tout cas, James avait beau avoir quelques notions de survie grâce à des expériences en tant que scout lors de son enfance, comme il l’avait dit un peu plus tôt, il ne pourrait très certainement pas réussir à survivre sans son précieux café.

Et alors que le médecin scolaire était tranquillement en train de manger, les jambes et le regard perdus dans le vide, la voix de Karin vint chatouiller ses oreilles. Elle n’était pas collée à lui, et pourtant, le ton et les mots qu’elle avait employés avaient réussi à lui tirer un long frisson le long de son échine. L’Américain se stoppa aussitôt dans sa dégustation et ne tourna même pas la tête vers la chanteuse. Il préféra fermer les yeux et se laisser bercer par ses mots. Il écoutait tout très attentivement, n’en perdant pas une miette, tout en essayant de ressentir les choses. L’humidité sous sa main qu’il avait posée sur le sol, le poids de ses chaussures, les courants d’air qui lui chatouillaient la nuque ou qui semblaient vouloir le soulever du sol…

James était tellement détendu et dans sa bulle qu’il ne parlait pas, ni ne bougeait. Sans s’en rendre compte, sa main posée sur le sol s’était déplacée vers Karin, jusqu’à pouvoir se poser sur la sienne. Ce fut ce contact de peau contre peau qui le tira un peu brutalement de ses rêveries, lui faisant même lâcher le bout de sandwich qu’il lui restait.

« Ah ! »

James n’eut pas le temps de le rattraper, regardant avec dépit les différentes strates de son sandwich se séparer lors de sa chute. Heureusement qu’il avait retiré tout l’emballage ! Les animaux seraient certainement contents de cette maladresse !

Et il fallut encore quelques secondes pour que James se rende compte que sa main était toujours sur celle de Karin. Il ne comprenait pas du tout pourquoi son corps avait instinctivement cherché à retrouver celui de la chanteuse, mais, étrangement, il n’avait pas envie de retirer sa main, pas tout de suite. Il perdit même son regard dans celui de Karin, toujours en restant silencieux, comme s’il espérait pouvoir mieux la comprendre, ou partager un peu de ses sensations.

James finit par faire une petite moue, ramenant sa main sur sa cuisse, avant d’ouvrir un paquet de chips pour piquer dedans.

« Je crois que j’ai senti quelques petites choses, mais je pense qu’il va me falloir encore beaucoup de temps et d’entraînement pour réussir à percevoir autant de choses que toi. En tout cas, tu es vraiment très douée pour mettre des mots sur tout ça. On aurait presque dit une séance de méditation zen. Enfin… Je crois, je n’en ai jamais fait en fait… »

James mangea quelques chips en perdant de nouveau son regard sur le bas de la falaise. Il n’arrêtait pas de repenser à tout ce que Karin avait dit, et il ne pouvait pas non plus s’empêcher de penser à cette espèce de magnétisme qui avait attiré sa main. Est-ce que la chanteuse l’avait senti elle aussi ?

C'est moi où notre cher James commence à plaisanter ? Belle victoire !

"Alors là effectivement ça risque d'être compliqué. Faudrait demander aux fourmis mais je doute qu'il y ait un distributeur de café dans le coin. Et on est beaucoup trop au nord pour que trouves le moindre caféier... Je serais toi je tenterais pas le diable comme ça ! On te retrouverait tout desséché, ça serait dommage !"

Le dessèchement, ça a tendance à vous rendre quand même bien moins attirant... et ce quel que soit le taux de magnificience de votre personne à l'origine.

"Faudra qu'on aille se perdre alors la prochaine fois. C'est bien plus drôle en bonne compagnie. En plus on a de quoi faire quelques rations de survie avec tout ça, on aura rien à craindre !"

Bah quoi ? C'est lui qu'a proposé qu'on se revoit. Moi je ne fais que préciser les activités de rendez-vous ! En plus, James est bien plus détendu dans ce genre de disposition que dans de gros événements, enfin gros, tout se discute ! C'était pas un si gros festival, mais quand même... Donc autant directement lui proposer des activités qui lui correspondent, c'est bien mieux. D'autant qu'on peut encore plus se rendre compte que c'est un garçon agréable, alors pourquoi se priver...

Finalement, à force de se perdre dans la vue, je profite d'un moment de calme pour tenter de faire découvrir tout ça à James de l'intérieur. C'est difficile de faire le tri, il y a tellement tellement de choses à sentir, voir, toucher, entendre... En vrai, c'est un peu à chacun de trouver son chemin justement, parmi tout ça... J'essaie de me souvenir comment moi j'ai appris. Certes ma mère m'a appris des choses, mais c'était surtout le nom des plantes et des animaux, ce qui était comestible ou non, histoire d'éviter de devoir nous emmener aux urgences vu tout le temps qu'on passait dans la forêt, surtout moi. Pour le reste... on apprend en y étant tout simplement... Du coup j'ai un peu peur de rater, de biaiser l'expérience et de lui pourrir le truc... Mais à première vue, James semble plutôt bien jouer le jeu. Il est dans sa bulle, et c'est agréable de le regarder partir comme ça. Et cette fois c'est lui qui vient chercher ma main...

Ce qui semble tellement le perturber que son sandwich se retrouve en bas de la falaise. Je pouffe un peu, mais sans bouger ma main. Elle est très bien là où elle est !

"Je crois que tu viens de rendre un renard très heureux. Ou peut-être un raton laveur..."

Échange de regard, sourire. Est-ce qu'il se réveille ou est-ce que le vent a changé de sens, mais la magie se rompt, et James reprend sa main... et ça me rend un peu triste... je saurais pas trop expliquer pourquoi. J'étais bien moi, à tenir sa main et partager un regard. C'est comme s'il faisait froid d'un coup. C'est bizarre non ?

"Haha, je sais pas, moi non plus j'en ai jamais fait ! Y a bien qu'en forêt que je suis zen... sinon je tiens pas en place en vrai... En plus j'avais surtout peur de tout te gâcher. En vrai, je crois que c'est un peu à chacun de trouver son chemin... quand quelqu'un vous guide... je sais pas, on peut rater les choses qui sont importantes pour nous... je m'en voudrais si au final tu ratais des choses juste parce que je t'ai pas emmené au bon endroit..."

Je sais pas comment expliquer et ça m'énerve. Pour une fois, je suis même pas sûre qu'expliquer en allemand marcherait mieux. Y a définitivement une magie qui se passe en pleine forêt qui se passe de mots. Soit on la sent, soit on ne la sent pas... mais ça s'explique pas. Même si ça sonne présomptueux, je vois pas comment le dire autrement...

Je remange un peu, prends le temps de sentir le monde autour. Cette fois, j'attends qu'il ait plus rien à manger, c'est pas non plus terrible de laisser des aliments non naturels aux animaux sauvages en vrai. Parce que finalement, il y a quand même des choses que je sais très bien dire.

"Tu pouvais laisser ta main tu sais."

Je laisse passer un temps, lui sourit.

"Bouge pas !"

Je me relève tranquillement, vient me placer derrière lui, à genoux, et pose mes mains devant ses yeux, sans le toucher, juste en le frôlant. Tout doucement, pour que juste lui entende.

"Maintenant c'est à toi de me dire que ce que tu sens autour de toi. Comme ça te vient."

Je le laisse faire, prendre son temps, écoute. Et finalement, quand c'est le bon moment, comme si le vent faisait tout le travail, tout doucement, guider sa tête en arrière, basculer la mienne en avant, et l'embrasser.

Leur pique-nique avançait, et Karin avait choisi de briser le silence qui avait fini par s’installer entre eux, alors que James était sur la fin de son sandwich, pour essayer de partager avec lui quelques conseils afin de réussir à mieux appréhender leur environnement et la nature. Forcément, le médecin scolaire ne s’était pas fait prier pour se laisser embarquer dans l’expérience, fermant aussitôt les yeux pour se laisser bercer par les mots de la chanteuse, ainsi que par tous les petits sons environnants et cette brise fraîche qui parvint à lui tirer un frisson en s’attardant sur sa nuque.

Sans s’en rendre compte, la main de James avait instinctivement cherché celle de Karin. A ce contact, le médecin scolaire sortit un peu brutalement de sa bulle, en lâchant même la fin de son sandwich qui se décomposa pendant sa chute jusqu’en bas de la falaise où ils se trouvaient. James fixa le vide quelques instants, complètement dépité, avant de soupirer doucement au rythme de l’affaissement de ses épaules quand Karin se mit à pouffer.

« J’espère juste que ça ne va pas les rendre malade… »

Mais le souci qu’il se faisait pour les petits animaux d’en bas disparut bien vite quand James réalisa enfin qu’il avait toujours sa main sur celle de Karin. Il la récupéra, essayant de s’occuper l’esprit et les mains avec ce paquet de chips qu’il avait attrapé, haussant doucement une épaule aux mots de Karin.

« Moi je trouve que c’est agréable de se faire guider. Ça serait peut-être différent si c’était une personne que je ne connaissais pas, mais là, ça me permet… de mieux te comprendre, de savoir comment toi tu peux percevoir les choses… Je trouve ça plus intéressant encore de pouvoir partager les émotions ou sensations de quelqu’un que de simplement vivre les siennes. »

James avait lancé un regard à Karin, l’interrogeant silencieusement pour savoir si elle voyait un peu où il voulait en venir. C’était tellement abstrait que lui-même ne savait pas vraiment comment expliquer tout ça. Et puis… Est-ce qu’il ne passerait pas un peu pour un mec bizarre s’il lui disait de but en blanc qu’il avait senti comme un magnétisme les lier pendant ces quelques secondes ? Elle allait sûrement prendre peur alors mieux valait garder ça pour lui et se contenter de manger ses chips.

Le silence s’installa de nouveau seulement ponctué par le craquement des chips sous les dents de l’Américain, jusqu’à ce qu’il s’arrête en entendant Karin lui dire qu’il aurait pu laisser sa main sur la sienne. Nouveau moment de gêne, James osant à peine tourner la tête pour croiser le regard de la chanteuse. Il aurait pu en effet… Qui est-ce que ça dérangeait au final ? Pas Karin visiblement, et certainement pas lui non plus… Il était vraiment nul…

James s’entendit lâcher un léger soupir pour toute réponse, plongeant de nouveau sa main dans le paquet de chips, avant de cette fois regarder Karin d’un œil curieux quand elle lui demanda de ne pas bouger. Le médecin scolaire s’exécuta aussitôt, se figeant un peu en sentant cette présence contre son dos et ces mains près de ses yeux. Il s’était tellement tenu immobile qu’il était même entré en apnée, comme s’il espérait bouger encore moins comme ça. Mais quand Karin lui demanda d’exprimer ce qu’il ressentait, il se remit à respirer, en profitant même pour se débarrasser de son paquet de chips qu’il posa un peu plus loin, remettant ses mains à plat sur l’herbe.

« Je sens l’odeur de nourriture sur tes mains. »

Okay, niveau romantisme, c’était un beau zéro pointé. Et puis ce n’était certainement pas ce que Karin avait envie d’entendre, mais comment vouliez-vous que James se concentre alors que la chanteuse se trouvait dans son dos et qu’il ne voyait plus rien ? C’était comme si tous ses autres sens étaient décuplés, et il avait aussi cette sensation étrange de sentir son cœur battre bien plus fort et plus rapidement contre sa poitrine.

« Je… Je sens le vent qui nous contourne, le soleil qui caresse ma peau, mais aussi la fraîcheur de l’ombre sous tes doigts sur mes yeux. Je sens… Je sens comme un lien… »

Il l’avait finalement dit à voix haute et se sentait affreusement gêné. Ça sonnait tellement bizarre et ringard mais… Karin avait voulu savoir ce qu’il ressentait et il s’était montré sincère.

Il allait reprendre, dire ce qu’il parvenait à ressentir d’autre, mais il sentit que Karin l’invitait à pencher la tête vers l’arrière. Fermant complètement les yeux, sans savoir ce qu’elle lui réservait, James se laissa faire sans opposer une quelconque résistance. Il le sentait ce magnétisme, il était de plus en plus fort… Tant et si bien qu’il ne sursauta même pas en sentant les lèvres de Karin se poser chastement sur les siennes, comme si c’était le prolongement logique de ce lien qu’il avait senti se tisser entre eux. Il resta immobile, profitant de ce baiser, de ce moment qui semblait hors du temps.

Depuis quand est-ce qu’il n’avait pas embrassé quelqu’un ? D’aussi loin qu’il se souvienne, ça datait de l’époque où il était encore interne. Autant dire que ça commençait à faire un moment ! Et aussi étrange que ça puisse paraître pour quelqu’un comme lui qui n’aimait pas forcément le côté tactile des relations avec les autres êtres humains, celui-là ne l’avait pas dérangé, bien au contraire. Il eut presque un goût de trop peu quand Karin redressa sa tête et que leurs lèvres se quittèrent. James sentit que le contact entre leurs corps se rompait progressivement, et il eut alors un mouvement de panique un peu incontrôlé. Il s’empressa d’attraper les mains de Karin dans les siennes pour l’empêcher de trop s’éloigner. Il resta ainsi quelques secondes, avant d’en lâcher une et la laisser se reculer un peu pour qu’il puisse s’écarter du bord de la falaise. Ça serait quand même bête de finir par tomber !

« Karin, je… Est-ce que toi aussi tu l’as senti ce… truc ? »

Ce n’était pas facile de mettre des mots sur tout ça ! James se retrouva alors en seiza devant la demoiselle, ayant gardé sa main dans la sienne. Il la fixa plusieurs secondes sans parler, hésitant. Son regard dériva jusqu’à la main de la chanteuse que ses doigts caressaient. Et finalement, sa main libre s’approcha du visage de Karin, frôlant sa joue, avant de glisser près de son oreille et sur sa nuque, lui permettant d’approcher ensuite son visage pour venir de nouveau chercher ses lèvres.

"Si on évite de leur faire tomber tout le reste du pic-nic sur le coin du museau ça devrait aller !"

Par contre c'est moi qui me mets à rougir... Je sais pas... c'est con parce que tu fais rentrer quelqu'un dans ta sphère perso... et après voilà je me retrouve à paniquer parce que les gens sont beaucoup trop proches de moi... depuis quand les gens veulent savoir ce que je ressens ?? En plus est-ce que j'ai vraiment envie de ça ? Je vais me retrouver à paniquer moi... c'est plus facile de se cacher sur scène finalement... j'ai pas forcément envie qu'on sache que je suis pas si solide que ça en vrai... Je souris quand même.

"Je sais pas si on peut vraiment vivre les émotions des autres... tu sais avec la musique on a souvent ça. Quand on écrit les chansons, on sait ce qu'on met dedans. Quand on les joue, on partage vraiment quelque chose avec le public. Après ce que les gens en tirent... c'est pas toujours ce que tu as mis dedans... Du coup je sais pas si on vit les émotions des autres. Par contre je sais qu'on peut les partager, et qu'on peut partager les moments ensemble. Et en vrai... c'est déjà pas si mal..."

Mais là aussi, c'est tellement difficile de mettre des mots là-dessus. Qu'est-ce que c'est frustrant les mots putain ! Je dois pas être la seule d'ailleurs... l'impression qu'on est tous les deux coincés là à pas réussir à dire ce qu'il faudrait dire, chacun à sa façon. Ça m'agace un peu. Ou ça me rend triste. Je sais pas trop. Quelque chose entre les deux. On regarde tous les deux droit devant soi, ne pas croiser le regard de l'autre... et... c'est mal me connaître !

Je passe donc dans le dos de James qui s'est... tellement raidi après que je lui ai dit de pas bouger ! Décidément, ce garçon prend tout trop à coeur lui aussi... ça me fait sourire, mais j'espère qu'il va se détendre quand même, il respire au moins ?? Je me retiens d'éclater de rire avec sa première réponse. Au moins c'est honnête !

"Pardon, j'ai pas pu me laver les mains !"

C'est vrai que vu le menu, l'odeur doit être assez marquée... au moins je lui mets pas de gras sur la tronche, c'est toujours ça ! J'attends la suite tranquillement, j'avoue que je suis curieuse de voir ce que lui il ressort de tout ça... j'attends un signal, quelque chose, je sais même pas quoi. Je sais juste que je saurai quand je le verrai. Et pour le coup, c'est James qui trouve les mots... après peut-être que je me trompe, mais j'ai pris ça comme un signal... et je l'ai embrassé...

Après je sais pas, peut-être que je me suis trompé ? Parce que s'il se laisse faire, il panique un peu. Je recule, d'autant que bon, accroupie trop longtemps c'est pas super confortable, m'assois en tailleurs, qu'il puisse se décaler. Enfin je recule, pas trop loin non plus vu comment il attrape mes mains. C'est moi qui vais finir par paniquer, qu'est-ce que j'ai fait ??? Enfin il se calme, et la question me laisse un peu sans voix... on est toujours en rade de mots faut dire. Je préfère sourire simplement, comme pour le rassurer. C'est pas moi qui vais juger ou le traiter de fou parce qu'il en parle en décalé de ce qu'on attend d'habitude...

"Je crois oui, que je l'ai senti aussi... même si je sais pas trop ce que c'est. C'était bien comme mot, lien..."

Échange de regard. Je lui laisse la main, plutôt contente que cette fois il n'enlève pas la sienne... Cette fois, c'est lui qui cherche mon visage, lui qui m'embrasse. Je laisse faire, sert plus fort sa main dans la mienne. J'aimerais bien que ça ne s'arrête pas, parce que je me doute un peu, de loin en loin, que ça fait beaucoup pour lui... beaucoup d'un coup, qu'on est loin du monde dont il a l'habitude... Quand il lâche mes lèvres, je le prends doucement dans mes bras, me hisse un peu, histoire d'être au niveau de son oreille.

"Je serais bien restée, mais on devrait peut-être te ramener chez toi avant que tu sois perdu trop loin..."

J'ai pas envie de le lâcher, mais en même temps, si c'est pour l'abîmer ce serait égoïste... j'ai plus qu'à espérer qu'il y ait d'autres fois et qu'elles durent plus longtemps...

James ne put qu’hocher doucement la tête aux mots de Karin. C’était vrai qu’au final, il était plutôt difficile de permettre aux autres de vivre ses propres émotions. Les interprétations de chacun étaient liées au vécu des personnes et toutes les sensibilités n’étaient pas les mêmes. C’était quand même dommage que ce ne soit pas forcément possible en tout cas ! James serait sans doute un peu plus doué avec les autres êtres humains s’il pouvait mieux comprendre leur façon de penser et ce qu’ils ressentaient devant telle ou telle situation !

Mais alors qu’il semblait un peu perdu dans toutes ces idées qui submergeait son esprit, James se raidit soudainement quand Karin lui demanda de ne plus bouger, entrant même en apnée tellement il la prenait aux mots ! Un petit sourire étira doucement les lèvres du médecin scolaire en sentant l’amusement dans la voix de la chanteuse lorsqu’elle s’excusa. Il secoua alors doucement la tête de droite à gauche pour lui signifier que ce n’était pas grave, avant de reprendre la parole pour expliquer à la jeune femme ce qu’il ressentait pendant qu’elle se trouvait contre son dos, les mains sur les yeux clos du médecin. Et ce qui suivit fut… totalement inattendu. Pourtant, James n’avait pas sursauté ni eut de mouvement de recul en sentant les lèvres de Karin se presser contre les siennes. Ces quelques secondes semblèrent durer à la fois une éternité et être aussi rapides que la lumière, l’Américain ne savait plus trop bien… Ce qu’il savait, c’était que sentir ce contact se rompre le fit légèrement paniquer. Il s’empressa d’attraper les mains de Karin pour mieux mettre les pieds dans le plat, lui demandant si elle aussi, elle avait ressenti ce quelque chose entre eux. Autant être fixé maintenant ! S’il était le seul, peut-être qu’il devrait faire un travail sur lui-même pour essayer de ne pas trop s’emballer…

Mais Karin lui confirma qu’elle aussi pensait avoir senti ce lien, ce qui finit de décider James à revenir chercher ses lèvres pour lui donner un nouveau baiser, toujours aussi chaste. Ils avaient vraiment l’air de deux ados qui se donnaient leur premier baiser !

Lorsque leurs lèvres se détachèrent à nouveau, James dut bien avouer qu’il était un peu perdu. Il se laissa enlacer sans opposer de résistance, ne trouvant même pas d’autre courage que celui de fermer les yeux pour essayer d’en profiter encore un peu plus, ses bras restant le long de son corps. Un frisson lui parcourut l’échine quand Karin s’approcha de son oreille pour lui proposer de rentrer. James s’en voulut. Il était déchiré entre l’envie de profiter encore un peu de ce moment, et celui de fuir loin pour essayer de réfléchir à tout ça. Il finit par laisser sa tête se poser doucement contre l’épaule de Karin, la bougeant légèrement pour la hocher et accepter la proposition de la chanteuse. C’était sans doute égoïste de sa part de vouloir partir alors qu’elle venait de lui dire qu’elle aurait bien voulu poursuivre leur entrevue mais…

« Désolé… La prochaine fois, je me souviendrai du chemin. »

Ces phrases étaient vraiment joliment imagées et pleines de sous-entendus quand on sortait de l’interprétation de leur sens basique !

Quoi qu’il en soit, James resta quelques secondes immobile avant de se reculer un peu, osant à peine croiser le regard de Karin. Son regard émeraude semblait presque absent alors que ses mains rangeaient machinalement la nourriture en trop dans son sac. Il laissa tout de même quelques petites préparations à Karin pour qu’elle n’oublie pas de manger lors de ses prochaines journées de travail. Plus aucun mot ne fut prononcé jusqu’à ce que James finisse par se lever après avoir tout rangé. Son regard croisa celui de la chanteuse, et il finit par lui tendre la main, ne comptant pas lâcher celle qu’elle lui tendrait.

« Je m’en remets à toi pour me guider. »

Son regard se fit bien plus intense alors qu’il lâchait encore ces mots emplis de sens qui pouvaient être interprétés de bien des façons.

Ce pique-nique avait pris une tournure complètement imprévue, mais James sentait qu’il avait aussi été un point de départ important. Il ne leur resterait plus qu’à poursuivre ce chemin qu’ils venaient de commencer à tracer ensemble pour voir où il pourrait bien les mener.