Ce serait quand même super, un univers où les pions n'étaient pas les personnes chargés de surveiller les heures de colle, qu'il y ait un autre boulot pour ça, genre les... les « colleurs » ? … Bon, en vrai ce n'était pas si horrible que ça de venir surveiller ça, au moins je pouvais m'occuper en lisant ou quelque chose du genre tant que je restais un minimum attentif. Le côté embêtant c'était surtout qu'il n'y avait parfois que deux ou trois élèves, donc j'avais l'impression de perdre mon temps et à être payé à ne rien faire. Certains l'auraient bien vécu mais moi, même si j'étais pas le plus gros bosseur que le monde ait connu, je ne supportais pas l'idée de gagner ma vie en ne foutant rien.
J'arrivais dans la salle qui accueillait la colle d'aujourd'hui et posait mes affaires. J'avais un simple t-shirt avec un imprimé quelconque, un jean et des converses. Pas étonnant que certains élèves me confondent avec un étudiant... Il faudrait que je sois un poil « mieux » habillé en vrai, en tant que surveillant. Ceci dit, je passais pas inaperçu pour autant avec ma coupe.

Je m'installais au bureau et m'étirais, histoire de me détendre avant de regarder quels élèves j'allais devoir supporter pour l'heure à venir -si ce n'était plus-. Puis je pris enfin la liste en main... un seul étudiant. Vraiment ? On me faisait venir juste pour un couillon qui avait du faire un truc tout bête ? La purge. Et en plus de ça c'était cet étudiant insupportable, Mathi. J'étais à peu près sûr qu'il s'amusait à m'emmerder, et là je pouvais mettre ma main au feu qu'il avait demandé à ce que ce soit moi qui soit chargé de le surveiller.
Je poussais un long soupir de fatigue, puis je me redressais soudainement. J'avais oublié le plan qu'on avait mis en place avec Kenji ! On l'avait dit, la prochaine fois que j'aurais Mathi en colle, on le mettait à exécution. … le plan, pas Mathi. J'avais un sourire idiot aux lèvres alors que j'envoyais un SMS à mon compagnon de bêtises. La confrérie du papier toilettes allait encore frapper !


«  Kenjiiii, j'ai Mathi à surveiller ! Viens d'ici quelques minutes! »


Il allait falloir que je m'empêche de rire... que je reste sérieux... C'était bien trop difficile ! Rien que l'idée me faisait déjà avoir un sourire qui s'étirait d'une oreille à l'autre ! Surtout que Kenji avait un don pour jouer la comédie, et j'étais particulièrement sensible à son humour. Restait à voir comment Mathi allait réagir. Peut-être qu'il allait marcher au moins au début, peut-être qu'il allait rien comprendre et juste nous regarder comme des bêtes de foire... bah, peu importe ! Je voulais juste m'amuser et c'était sans doute la même pour mon prof d'histoire favori !
Il ne restait plus qu'à attendre. Je relu mon SMS... j'écrivais vraiment comme un enfant, à mettre dix fois la voyelle à la fin du nom... J'avais eu une sacré période « kikoo » il fallait dire. Langage SMS, musiques douteuses, et autres trucs pas trop avouables pour ma dignité... sans doute que ma mèche bleue était une relique de cette période pseudo-rebelle où je ne voulais pas être comme les autres. Il y avait un sacré paquet de gens comme ça ou qui avaient été comme ça, à Yokuboo.

Lorsque Mathi arriva, j'avais réussi à reprendre un visage plus sérieux et fermé, digne de l'agacement que j'avais eu quand j'avais découvert son nom sur la liste. J'hochais simplement la tête en guise de bonjour et enchaînais tout de suite.


-  Tu peux te mettre sur le premier rang ? Ah et si tu peux laisser ton portable sur le bureau pour que tu ne l'utilises pas en douce, ça m'arrange aussi.

Mathi arriva finalement et, chose étonnante, il était à l'heure ! Je m'étais attendu à ce qu'il soit en retard, histoire de bien me faire perdre mon temps. Il fallait au moins saluer cet effort incroyable qu'il avait fait de surveiller l'heure. Il avait son éternelle guitare avec lui, mais je m'en fichais bien tant qu'il ne se mettait pas à en jouer en salle d'étude. Monsieur avait beau être populaire et connu, ça n'empêchait pas que c'était encore moi qui décidait, dans l'enceinte de l'université, n'est-ce pas ?
Il déposa ses affaires puis jeta son téléphone sur la table, ce qui me fit hausser un sourcil. Il était dans un sacré sale état, on aurait cru le mien après que Daisuke l'ait fait tomber et l'ait explosé par terre. J'allais prendre la parole mais Mathi fut plus rapide, en me taquinant sur mon prénom. Moi qui venait de noter un bon point pour être arrivé à l'heure... Enfoiré tiens. Heureusement que j'allais pouvoir me « venger » grâce à mon associé.


- T'as pas de prof qui t'as filé un truc à faire ? Je veux bien m'occuper des enfants après l'heure des cours mais je suis pas censé être responsable des coloriages.


J'étais loin d'avoir la meilleure répartie du monde mais je m'en foutais tant que je trouvais de quoi répondre. Mathi avait tout de même sorti feuille et crayon, l'air plus ou moins motivé... il n'était pas très crédible, comme ça, mais il allait bien falloir que je trouve de quoi l'occuper le temps que Kenji arrive. Bien, il était en colle parce qu'il était arrivé en retard à un cours et qu'il s'en était ensuite barré avec la plus belle impolitesse du monde, alors autant insister dessus non ?


- T'étais censé voir quoi pendant ton cours d'anglais ? T'as qu'a bosser ça, je préviendrais ton prof que t'es prêt pour une interro. Et si ça t'amuse c'est moi qui surveillerait que tu ne triches pas pendant ce temps !


Je me levais pour venir vérifier ses cours d'anglais. Il n'était pas mauvais dans cette matière, mais après tout c'était encore plus frustrant de bosser sur un truc qu'on savait déjà que de s'occuper d'une matière pour laquelle on peut s'améliorer. Je pu ainsi trouver quelques exercices que j'allais pouvoir corriger grâce à mon propre niveau d'anglais, puis je partis me réinstaller à mon bureau. Mathi avait du boulot pour l'heure, c'était largement suffisant en attendant Kenji...


- Si tu finis en avance je te laisse sortir, j'aimerais bien pouvoir rentrer chez moi aussi. J'ai un live à préparer.


Allez, donnons-lui une petite lueur de motivation.
Ce fut exactement ce moment que Kenji choisit pour commencer à s'amuser en faisant quelques sons. A l'oreille je dirais qu'il grattait les murs et la porte. Ça sonnait suffisamment bizarre pour que je relève la tête de mes feuilles au bout d'un moment et observe l'air de moi, faussement surpris. Il fit durer ça longtemps, rien que pour la mise en scène. Le prof devait bien s'amuser vu le temps qu'il passait à préparer la blague !


- T'entends ça Mathi ? C'est quoi ce bruit ?


Au bout d'un moment, les bruits s'interrompirent et Kenji fit son entrée dans la pièce avec l'air le plus innocent du monde. Il était carrément crédible à faire semblant d'être agacé comme ça ! Dommage que je ne m'intéresse pas aux théâtre, j'aurais pu m'amuser à lui faire de petites références. Sûr qu'il aurait aimé ! Mais bon, ce n'était pas l'heure pour ça. Pour le moment je devais faire comme si de rien n'était.


- On n'a rien fait de particulier, nous aussi le bruit nous gêne.


Puis il eut un air choqué, comme prévu. Eh oui, la salle était réouverte !


- Oh, c'est cette salle là qu'était fermée ? Je fis semblant d'être soudainement assez mal à l'aise. Vous pensez que les bruits peuvent venir de ce qu'il s'est passé ?


Inutile que je tutoie Kenji, sinon notre proximité risquait de faire deviner à Mathi le coup monté.

Mathi eut l'air mécontent à l'idée de faire de l'anglais mais son air grognon s'effaça rapidement pour laisser place à un sourire des plus désagréables tandis qu'il me répondait... Je n'avais même pas envie de lui faire une réflexion du genre « Je suis pas ton pote, tu me tutoies pas » puisque j'étais sûr qu'il s'en moquerait joyeusement. Je me contentais donc de hausser les épaules et lever les yeux au ciel en retournant m'installer à mon bureau.
Les grattements se firent entendre et quand j'en fis la réflexion, Mathi sorti comme d'habitude une réponse des plus agréables. Il était en permanence agressif quand il parlait ou c'était seulement avec moi ? En tout cas il me fatiguait. Je ne répondis pas, Kenji arrivant pile quand il fallait pour faire son petit numéro. S'engagea alors une conversation entre nous, comme si de rien n'était. « Vous vous payeriez pas ma tête quand même ? » Ca commençait à être compliqué à expliquer. On faisait croire à quelqu'un qu'il y avait un truc bizarre et pour ça on faisait semblant de mentir alors que non... eh, trop compliqué à formuler. Surtout quand je réfléchis direct en japonais -je suis pas encore un maître dans cette langue.


- Je peux vous assurer qu'on n'a rien fait et qu'on ne se moque pas de vous. On se demandait justement d'où venaient ces bruits.


Et juste après que j'eus fait allusion de « l’événement » de cette salle, Mathi râla pour faire comprendre qu'il était là aussi. J'avais déjà la bouche ouverte pour répondre mais Kenji fut plus rapide. Je fermais la bouche et dut me retenir de pouffer, ce qui fit au final un son entre... quelqu'un qui se mouche et un rire étouffé bizarre. C'était beau de voir comment Kenji traitait Mathi, je ne m'y étais pas attendu ! Mais avant d'avoir le temps de m'en remettre, il fallait déjà que je me reconcentre sur ce que disait le prof, et je dus carrément me mordre la lèvre pour m'empêcher d'avoir un sourire débile à cause de la farce. Aaaah je gâchais tout !
Je soufflais un bon coup avant de répondre, déjà plus calme et l'air moins... moins étrange ?


- Sinon c'est un élève qui s'amuse à faire tout ça... mais si vous n'avez croisé personne en arrivant devant la salle ça reste étrange non ? Il n'y a pas vraiment de cachette dans le couloir...


Kenji se détourna pour répondre enfin à Mathi après l'avoir ignoré le temps de notre échange, pour enfin lui dévoiler la « terrible vérité »... Pour le moment ça restait crédible de son côté -plus que du mien en tout cas- mais c'est parce qu'il n'avait pas encore donné l'arme du crime. Après ça, on n'allait plus être crédible du tout. Déjà, rien que là, si Mathi ne commençait pas à avoir des gros doutes, c'est qu'il n'était pas vraiment futé...


- Je ne suis pas du genre à croire au paranormal de mon côté, mais ça reste étrange... Ces bruits ne se font entendre que depuis cet incident ? Ce n'est pas qu'une coïncidence ? Il peut y avoir un simple nid de souris dans le coin...


Il fallait que je l'encourage à en dire plus mais je ne pouvais rien dévoiler de mon côté, j'étais vraiment pas crédible. Kenji était cent fois meilleur acteur que moi.

Mathi eut un petit sourire à la remarque de Kenji. Mais quel petit con, à ne pas respecter l'autorité comme ça... Bon, au moins il se la ferme et écoute, c'est déjà ça on va dire ! Il semble écouter attentivement tandis que Kenji parle et fait son numéro d'acteur au sujet de cette salle « maudite »... Il se tait jusqu'à finalement réagir vivement en se moquant à moitié de nous. Pas de preuve, et pas de rumeur à ce propos ? Aaah qu'il était mignon ! Tout pouvait avoir été passé sous silence ! J'étais en plein fou rire intérieur, peinant à garder un air à peu près sérieux. Je voulais répondre, rester dans le jeu de Kenji, mais je n'y arrivais pas. En plus le professeur continuait en feignant la colère, c'était hilarant !
Un bruit soudain me calma directement. Un bruit de grattement, assez semblable à celui que faisaient Kenji avant de venir, sauf que Kenji était dans la pièce, avec nous. On nous faisait une mauvaise blague ? En tout cas c'était flippant, vu l'histoire qu'on avait inventé... C'était trop bizarre pour être une coïncidence ! Je ne me sentais pas super bien, soudainement, et les deux autres réagirent à peine... Kenji indiqua simplement que c'était une preuve que le bruit ne venait pas de lui, puis Mathi décida d'aller voir dehors. … bon, je ne pouvais pas lui reprocher de ne pas être courageux, au moins. Il l'était carrément plus que moi alors que j'étais au courant que ça venait d'une blague... meh. C'était pas drôle d'être trouillard.

Je me tournais vers Kenji dès que Mathi s'éloigna pour inspecter le mur, pour essayer de voir à son regard si le bruit venait de lui. Est-ce qu'il avait trouvé un stratagème pour gratter les murs à distance ? Non parce que là on aurait dit un début de mauvais jeu d'horreur... Je finis par souffler, histoire de pas tout cramer à l'étudiant.


- C'est toi ce bruit ? Tu sais d'où ça vient ?


Il entendait sûrement que j'avais un peu peur, ma voix tremblotait légèrement... On aurait dit mon état quand j'avais joué à Majora's Mask en live. La bonne époque, quand j'avais eu le temps de faire les 100% du jeu ! En... pas moins de 15h. Vive le sommeil après une session de jeu pareille.
Mais bref. Penser à ça m'évitait de paniquer comme un idiot mais ça ne résolvait pas le soucis. Il y avait un truc qui grattait, et ce n'était pas Mathi. Une idée me vint en tête et je me mis à rire un peu en reprenant la parole.


- C'est le fantôme du PQ qui vient se venger de notre carnage dans les toilettes la dernière fois ?


J'étais vraiment un pur gamin. Capable de m'amuser avec le mot « PQ ». Mais Kenji n'était pas mieux alors qu'il était un peu plus vieux que moi ! Ca me rassurait, et surtout c'était franchement sympa de pouvoir compter au moins un des profs dans mes amis. C'était toujours ça de pris. J'avais plus d'amis dans les élèves que les profs quand j'y pensais...
Il fallait vraiment que Kenji me rassure ou que Mathi trouve une raison crédible, parce que je me faisais des films improbables en repensant à tous les jeux -souvent japonais d'ailleurs- à propos de fantômes dans des écoles...

Kenji décida d'accompagner Mathi, pas inquiété du tout par ce bruit, à première vue. Est-ce que j'avais vraiment le choix maintenant du coup ? Pas vraiment. Alors je vins leur emboîter le pas en essayant de prendre une voix un peu plus calme qu'avant.


- Je viens aussi dans ce cas. Après tout je suis censé surveiller Mathi !

Comment ça la pièce était hantée ? Il avait oublié de me prévenir que notre blague avait un fond de vérité, là ! Enfin, non, Kenji cherchait surtout clairement à me faire tourner en bourrique vu sa réponse après ma blague. Comment il pouvait rester aussi serein ? C'était trop bizarre pour que ces grattements soient une pure coïncidence !
Je voulu donc les suivre jusqu'à la salle d'à côté, et alors que je franchissais la porte... BOUH. Je poussais un cri de peur en sautant en arrière, avant de me calmer un peu en voyant que c'était Kenji. Quel con ! J'aimais pas ça, que ce soit en vrai où dans les jeux ! Les jumpscares c'était pas mon truc ! Je fis une moue à moitié vexé en lui mettant un coup de poing gentillet dans l'épaule.


- Couillon ! Tu veux me tuer d'une crise cardiaque ou quoi ?!


Il était mort de rire en plus de ça. Et même si je tentais de garder ma tête vexée au début, son rire finit par m'emporter et je ris avec lui. Ca détendait ! Enfin, jusqu'à ce qu'il m'apprenne que Mathi s'était barré. … Vraiment ? Comment j'allais expliquer ça moi ? Ca me faisait un mauvais point aux yeux du directeur ! Mais bon, je n'allais pas m'amuser à lui courir après. Au moins, Kenji était d'accord pour dire qu'il était insupportable. Ah ! Donc j'étais pas le seul à le penser. Je hochais la tête et rentrait pour de bon dans la pièce.
D'où venaient les grattements ? Pourquoi ils s'étaient arrêtés pile quand on était venu dans la pièce ?.. ah, non ! Les voilà qui reprenaient ! Je tournais la tête vers le bureau d'où ils semblaient venir, juste à temps pour voir une boule de poils sortir de là et filer vers la porte avant de nous regarder comme si on avait interrompu son rituel. C'était Salem, notre fantôme ? Sacré timing !


- Tant qu'il s'amuse plus à jouer aux fantômes là où il ira, ça me va ! Tu l'as dressé pour qu'il gratte pile au bon moment où ça se passe comment ?


Ou peut-être que Salem était juste farceur. Après tout, les chats avaient parfois des agissements bien étranges ! Ca ne changeait pas le fait que je voulais en adopter un ceci dit... Je voulais juste attendre d'être bien sûr niveau finances, pour pas me foirer ! Ma mère n'avait jamais voulu d'animaux à la maison mais maintenant que j'étais seul, je n'étais clairement pas contre une présence en plus ! Mon appartement était suffisamment grand pour un chat, à condition qu'il ait de quoi s'occuper la journée.
Mais bref ! Au moins l'affaire du fantôme était résolue désormais. J'avais perdu un étudiant dans l'affaire mais... au pire, je n'aurais qu'à dire la vérité : il s'est barré malgré les menaces d'heures de colle supplémentaires. Je n'allais pas non plus en venir à le ramener en le tirant par la peau du cou ! Clairement, si le directeur décidait de le renvoyer quelques jours, j'étais pas contre ! Ca allait me permettre de souffler un peu.

Pour l'heure, il allait falloir que je note tout ça sur ma feuille de compte-rendu. Et aussi...


- Du coup je ne saurais pas dire si notre blague a été un échec ou une réussite, mais en tout cas on s'est pas ennuyés ! Alors merci Kenji ~