Aujourd'hui était une journée extrêmement ordinaire pour toi, en tout cas selon tes standards. Tu n'avais pas fait de nouvelles rencontres excitantes, tu n'avais pas non plus discuté avec qui que ce soit, tu t'étais simplement contentée de suivre tes routines habituelles... et c'était bien, d'un certain point de vue. Ton médecin était probablement très content de savoir que tu pouvais passer des journées entières sans faire de vagues à être parfaitement sage et vivre ta vie comme la plus banale des étudiantes. Quand personne ne prêtait attention à toi et que tu ne prêtais attention à personne, rien de notable ne se produisait. Tu te contentais d'aller d'un cours à un autre, tu écoutais les directives des professeurs et remplissait ton carnet de notes d'informations importantes. Tu étais une élève attentive et sérieuse, qui ne se laissait pas distraire tant qu'elle avait quelque chose à faire, même si ça paraissait un peu ennuyant par moments.

Le visage emmitouflé dans ton écharpe, tu filais d'un couloir à l'autre vers ta destination prochaine. Tu n'aimais pas trop le froid, c'est pourquoi tu avais toujours de confortables protège-oreilles sur la tête quand c'était le cas. Tu portais ton uniforme hivernal comme tu aimais l'appeler familièrement, que tu affichais avec fierté même si tu n'étais pas une lycéenne. Au début tu craignais un peu que les gens se méprennent sur toi, qu'il y ait des malentendus. Mais au final les étudiants n'étaient pas intéressés par ta tenue vestimentaire, ce qui te rassurait et...te frustrait, en même temps. Tu ne savais pas pourquoi. Tu aurais le temps d'y penser une fois dans ta chambre, couchée sur ton lit après une douche chaude. Pour l'heure ton estomac était prioritaire. Tu avais faim ! Direction la cafétéria et vite. Tu connaissais les lieux comme ta poche maintenant. Connaitre par-cœur l'académie te permettait d'y naviguer sans te perdre telle une machine bien rodée. C'était le meilleur moyen pour toi de passer une journée normale.

Même à la cafétéria, tu jouais les robots. Comme tu n'étais pas assez douée en cuisine pour préparer tes propres bentōs, tu te servais pour l'heure à la cafétéria. Cela faisait déjà quelques mois que tu avais pris cette habitude et c'était une routine à laquelle tu t'étais accoutumée. Peut être parce que c'était la même chose qu'à l'hôpital, cela ne changeait pas grand-chose à tes yeux, bien que cela pouvait paraitre immature face aux bentōs finement préparés des autres étudiants. Tu marchais vers ta place prédéfinie, près de cette fenêtre donnant sur le Campus là où tu pouvais rêvasser à loisir, les yeux perdus sur la nature extérieure. Des traits fins, masculins, sous une coupe de cheveux courte à la couleur très familière étaient apparus dans le coin de ton regard et tu t'étais figée, comme si tu venais de voir un fantôme ou un revenant. Tes yeux grands ouverts rivés sur lui, ton expression paraissait stupéfaite. Tu l'étais. Mais peut-être pas autant que celui devant qui tu claquais ton plateau à même la table.

« Tu devrais avoir honte de ce que tu as fais !! »

C'était une expression de colère que tu lui jetais au visage, les deux mains sur sa table. Tu avais beau être penchée au dessus de lui d'un air sévère, tes yeux étaient humides, tu avais l'air plus choquée et outrée que véritablement colérique. Tu ne te préoccupais pas du riz qui avait fuit ton plateau pour s'étendre aux alentours, tu n'étais pas intéressée par les morceaux de champignons qui s'étaient retrouvés sur tes doigts. L'état de ton plateau ne t'intéressait plus le moins du monde, ton attention était tournée vers celui qui avait brisé ton cœur en mille morceaux sans le moindre état d'âme, des années auparavant. Toi qui avais tout fait pour oublier, quitte à déchirer ton poster fétiche et jeter ta collection de photos, tu avais quand même eu la malchance de tomber sur lui et de connaître cette sensation désagréable qui te tordait désormais le ventre. Tu ne pouvais vraiment pas lui pardonner, même après tout ce temps.

Comme bien souvent, Kyojiro était attablé seul à la cafétéria, devant l’un des bentos qu’il avait pu se préparer au club de cuisine. Le kendoka n’avait pas vraiment de place attitrée, il s’installait le plus souvent à une table vide et un peu isolée, histoire de pouvoir manger tranquillement sans être trop parasité par toutes les conversations alentours. Il le savait, ce n’était pas comme ça qu’il pourrait tisser des liens et essayer de passer outre sa timidité, mais les repas étaient un moment sacré où il appréciait tout particulièrement la tranquillité !

Dans sa petite bulle donc, n’écoutant pas tous les bruits qui s’élevaient autour de lui, Kyojiro avait le regard un peu perdu sur l’extérieur grâce à la vitre qui se trouvait tout près de lui. Il mangeait son bento d’un air distrait, pensant à tout un tas de choses : le kendo, les cours, les devoirs qu’il allait devoir faire une fois de retour à sa chambre… Ces derniers temps avaient été assez compliqués pour lui, entre la disparition de Zelda, son premier amour, puis celle, il y avait peu, d’Aki, celui qu’il considérait comme son meilleur ami. Ça faisait beaucoup en une année, mais Kyojiro remontait la pente et il passait doucement à autre chose. Ces vacances de fin d’année en compagnie de son père avaient d’ailleurs beaucoup aidé ! Les deux Sakurai avaient pu longuement parler, se retrouver et passer de bons moments avant que l’heure de la rentrée ne sonne.

Mais alors que Kyojiro était tranquillement en train de porter une petite saucisse découpée pour avoir la forme d’un poulpe à sa bouche, il sentit une présence devant sa table. Il n’eut pas le temps de réagir qu’un bruit soudain fit éclater sa petite bulle paisible et lui fit lâcher la petite saucisse qui roula sur la table. Les yeux écarquillés sous la surprise de ce plateau posé bruyamment devant lui, puis de ces mains qui avaient claqué la table, Kyojiro finit par les relever vers cette demoiselle qui était en train de l’incendier.

« Qu-Qu… Hein ? »

L’incompréhension était totale ! Le kendoka devrait avoir honte ? Mais de quoi ? Et c’était qui cette fille ? Pourquoi elle était aussi énervée contre lui ? Kyojiro tourna rapidement la tête à gauche, puis à droite, histoire de s’assurer que ce n’était pas à quelqu’un à côté de lui que l’inconnue s’adressait mais… Non, il n’y avait bien que lui ! Pointant donc son index vers son torse, le kendoka ne put détacher ses yeux écarquillés de l’étudiante.

« M-Moi ? »

Non, vraiment, il ne comprenait pas ! Il avait beau essayer de fouiller à toute vitesse dans ses souvenirs, il n’arrivait pas à se rappeler de cette demoiselle, il était sûr et certain qu’il ne la connaissait pas ! Et de quoi devait-il se sentir honteux en plus ? Il n’avait rien fait de spécial jusqu’à aujourd’hui, et ce, depuis la rentrée de début janvier !

« J-Je… Je suis d-désolé, j-je… Je ne sais p-pas… »

Ah ! Ses yeux ! Elle était sur le point de pleurer ? Pour de vrai ? Mais pourquoi ?! Kyojiro sentit soudainement la surprise et l’incompréhension faire place à la panique. Non ! Non, non, non ! Il ne savait pas ce qu’il avait pu faire à cette pauvre demoiselle, mais hors de question qu’elle se mette à pleurer par sa faute ! Mais comment faire pour la consoler au juste ?

« J-Je suis désolé ! Vraiment ! E-Est-ce que tu es fâchée ? À-À cause de ton plateau ? A-Ah… J-Je me suis assis à ta place ? »

Franchement, Kyojiro ne voyait que ça…

« N-Ne… Ne pleure pas, j-je… Je peux m’en aller… »

Kyojio la fixait à présent avec un air franchement désolé, avec toujours cette pointe de panique au fond de son cœur. Pourvu qu’elle ne pleure pas ! Et qu’elle arrête d’être fâchée contre lui ! Ou qu’au moins elle lui explique pourquoi elle l’était !

C'était impossible de lui pardonner et tu le savais. Te briser le cœur de cette façon était la plus cruelle des choses qu'il pouvait faire ! Non seulement il avait déclaré haut et fort qu'il avait une relation, mais avec un autre garçon qui plus était ! Les gens avaient beau dire qu'il s'agissait d'une plaisanterie, tu n'étais pas dupe. Tu avais bien vu cette photo de lui avec Yamada Ryosuke qui le plaquait au mur ! Tu avais été si choquée à l'époque, si enragée que tu avais détruit littéralement tout ce qui s'approchait de loin ou de près à cette idole que tu admirais. Et puis tu avais pleuré, beaucoup. Tu avais même dit à tes parents que tu ne tomberais plus jamais amoureuse, que c'était trop douloureux de se faire trahir comme ça, du jour au lendemain. C'était dire à quel point tu t'étais entichée de lui, tu le trouvais vraiment beau après tout. Et drôle, plein d'énergie, de passion.

Mais ce n'était pas Arioka Daiki qui était face à toi, assis à cette table. Tu t'en étais rendue compte à la vitesse de la lumière, c'était juste que tu n'y croyais pas. La ressemblance était frappante ! Mais la voix l'était beaucoup moins. La colère et les émotions négatives laissèrent une chance à ta petite cervelle de se mettre en marche, tu réalisais très vite qu'il était strictement impossible qu'il s'agisse de cette idole dont tu étais folle quand tu étais petite. C'était 8 ans auparavant ! Il ne ressemblait sûrement plus à ça depuis ! Et puis pourquoi serait-il dans cet académie de toute façon ? Une célébrité connue comme lui qui avait déjà un travail n'avait rien à faire ici ! Ta méprise était totale et tu savais que tu venais de faire une très grosse bêtise. Tu t'en prenais à quelqu'un qui n'avait rien fait, tu étais désagréable en plus de lui causer du tort, devant toutes les personnes présentes ! Tu ne pouvais rien faire de pire !

De la colère et de la tristesse, tu étais passée à la confusion, puis à la gêne. Tu étais embarrassée de t'être trompée à ce point, mais aussi d'avoir fait une scène, d'embêter cette personne innocente, de lui avoir crié dessus, d'avoir claqué ton plateau, répandu ton repas sur la table. Beaucoup de choses dont tu n'étais pas du tout fière. Tu n'avais d'ailleurs pas attendu les derniers balbutiements de ton interlocuteur confus pour t'incliner et faire une courbette, parlant presque en même temps que lui.

« Je suis vraiment désolée, je me suis méprise, c'était une confusion avec une tout autre personne. Je suis vraiment, vraiment, vraiment, vraiment désolée. Je ne voulais ni crier ni pleurer, je ne voulais pas non plus être désagréable ou méchante. C'était une erreur et je suis vraiment désolée. »

Tu redresses le visage, ayant changé totalement d'attitude. Tu n'es plus colérique ou attristée, tu es juste très embêtée de ce qu'il vient de se passer. D'ailleurs tu te dépêche de nettoyer la nourriture que tu as étalé sur la table avec un mouchoir de façon méthodique, le tout en reniflant dans ton écharpe. Tu ne sais plus où te mettre, tu es telle une gamine qui vient de faire une bêtise et tu t'attends à subir des réprimandes. Tu ne pouvais pas t'en prendre aux gens en laissant tes émotions prendre le dessus sans raison, c'était interdit et tu le savais. Une personne normale se serait déjà enfuie mais toi, tu attendais juste ta punition, debout face à lui. Tu espérais juste qu'il ne se mette pas à crier, tu avais du mal à garder le contrôle quand les gens élevaient la voix, en particulier si c'était envers toi.

Tu avais crié, fais du bruit, tu t'en étais prise à lui et il s'était excusé sans comprendre pourquoi...jusqu'à ce que ce soit ton tour de le faire, planté devant lui comme une statue. Pour les quelques personnes alentours, c'était probablement une scène confuse...et très bizarre.

Décidément, l’incompréhension de Kyojiro était totale. Il s’était fait tirer de sa petit bulle paisible par quelqu’un qui semblait vraiment remonté contre lui, quelqu’un qu’il ne pensait d’ailleurs même pas connaître, et voilà que la demoiselle face à lui passait de la colère et de la tristesse, à la confusion, puis à la gêne. Et elle avait parlé en même temps que le kendoka ! Dire que ça lui avait demandé beaucoup d’efforts d’essayer d’arranger la situation et qu’elle ne l’avait sans doute même pas écouté !

Fort heureusement, pour éviter toute cacophonie et un dialogue de sourds où chacun parlait sans écouter l’autre, Kyojiro s’était arrêté dès que la demoiselle avait ouvert la bouche pour se confondre en excuses. La première réaction du kendoka, face à cette scène, fut de lâcher un léger soupir de soulagement. Ouf ! Il ne lui avait rien fait, elle s’était simplement trompée de personne ! C’était vraiment rassurant de savoir qu’il n’avait pas blessée cette inconnue sans le vouloir ! Croisant brièvement son regard, Kyojiro secoua alors doucement la tête.

« C-Ce n’est rien, v-vraiment, ç-ça… ça arrive à tout le monde de s-se tromper. »

Kyojiro essayait d’afficher un air rassurant, même s’il ne pouvait pas s’empêcher de bégayer, comme à son habitude dès qu’il devait s’exprimer avec quelqu’un de qui il n’était pas proche.

Son regard sombre détailla ensuite rapidement la demoiselle pendant qu’elle commençait à nettoyer la nourriture qu’elle avait répandu sur la table dans sa colère.

« A-Ah, attends, je… Je vais t’aider. »

Kyojiro s’empressa de sortir un paquet de mouchoirs de son sac de cours et aida la demoiselle à tout nettoyer, laissant un petit amas de mouchoirs sales sur le côté de la table. Ils n’auraient qu’à tout jeter une fois qu’ils seraient partis ! Voilà, problème réglé !

Ou pas… La demoiselle restait figée devant lui, sans s’assoir, et Kyojiro sentait bien tous les regards intrigués qui s’étaient tournés vers eux. Toussotant un peu, histoire d’essayer de reprendre contenance, le kendoka finit par lancer un regard à l’inconnue.

« T-Tu, euh… Tu veux t’assoir ? »

Non parce que bon, les regards étaient de plus en plus insistants, et ça le mettait franchement mal à l’aise ! Alors tant pis s’il devait partager sa table et son repas avec cette demoiselle qui lui avait crié dessus sans raison ! D’ailleurs, en parlant de partager son repas… Kyojiro remarqua que l’étudiante n’avait plus grand-chose dans son plateau, étant donné que plus de la moitié s’était déversé sur la table. Hésitant un peu, le kendoka finit par pousser sa boîte à bento vers la jeune femme. Après tout, tout ce qu’il s’était passé était aussi un peu de sa faute quand même ! C’était sa faute s’il ressemblait à quelqu’un qui avait blessé cette inconnue !

« T-Tu… Tu veux partager ? J-Je… Je ne sais pas si tu vas aimer, m-mais comme tu n’as plus g-grand-chose dans ton p-plateau… »

Voilà, ça serait un bon moyen de remettre les comptes à zéro comme ça ! Les deux avaient fauté (oui, oui, Kyojiro en était persuadé) et les deux devaient à présent s’excuser. La demoiselle l’avait déjà fait par les mots, mais comme le kendoka n’était pas doué avec ceux-ci et que les actes valaient parfois bien plus que les paroles… Il préféra se faire pardonner auprès de l’étudiante en lui proposant de partager son bento !

Tu attendais des réprimandes, une punition, n'importe quoi, mais à la place on te répondait de façon étrange, avec des bégaiements continuels. Cette manière de s'exprimer était très bizarre, est-ce que tu avais surpris cette personne au point qu'elle ait du mal à s'exprimer ? Cela te paraissait très improbable, et cela te rendait confuse. Tu entendais tout de même qu'il ne t'en voulait pas, que c'était pas grave si tu t'étais trompée. Être excusée si facilement était bizarre, surtout que tu avais vraiment cru que c'était lui. Tu t'étais méprise au point de claquer ton plateau et de lui faire peur, cela demandait bien une punition ! Le contraire n'aurait pas été logique du tout ! Mais non, ton interlocuteur n'était pas fâché, il t'aidait même à nettoyer la table que tu venais de salir avec tes bêtises. C'était plutôt étrange, il n'avait pas à le faire, c'était ta faute ! Mais tu ne disais rien, te contentant de faire des petites boules de nourriture enrobées de mouchoirs sur un coin de table que tu empilais une fois ou deux. Rien que gâcher tout ça était passible de la peine capitale !

« C'est vrai ? Tu n'es pas fâché ? Je suis vraiment, vraiment désolée. »

Tu le regardais, plutôt confuse. C'était étrange mais s'il ne t'en voulait pas, s'il était prêt à faire comme si de rien, alors tu n'avais pas de raison de te prendre la tête à ce point. Le jeune homme te proposait de t'assoir et une fois encore, tu étais étonnée. Tu réfléchissais, regardait à droite ou à gauche comme pour voir si quelqu'un n'allait pas te réprimander, puis tu t'installais à sa table. Tu posais ton sac par terre, retirais ton écharpe, remettais ta chevelure en place. Tes pupilles vertes scrutaient cette personne intensivement, tu le dévisageais plus que de raison, parfaitement curieuse. Ce visage masculin bien dessiné sans être trop anguleux, ce regard fin et perçant, cette coupe de cheveux courte, presque en bataille. Oui, c'était typiquement du Arioka Daiki tout craché. Pas non plus un sosie, ce jeune homme face à elle avait une vraie carrure athlétique comparé à ton idole de jeunesse et il avait l'air quand même assez grand. Vraiment vraiment grand !

« Pardon, je pensais que tu étais Arioka Daiki, mais il n'est pas aussi grand, ni si sportif. Et puis il n'a pas ton âge, tu es plus jeune ! Je t'ai confondu parce que tu lui ressembles beaucoup, cette coupe de cheveux sombre, ce regard sérieux, la forme de ton visage, c'est très ressemblant ! Moi c'est ce qui m'a toujours attiré le plus ! Ah, moi je m'appelle Shishido Mayumi, j'ai 18 ans et je suis en première année, c'est ma première fois dans un établissement scolaire ! Ma spécialité ce sont les mathématiques, je suis en section scientifique. Je me suis inscrite au club de cuisine et de Volleyball, et je suis impatiente de commencer ! Je n'ai pas encore eu l'occasion de me donner à fond mais je compte bien le faire. Ah, mes passions sont Pokémon et Yokai-watch, j'aime beaucoup les Supers Sentais aussi ! Et toi, qu'est-ce que tu aimes ? D'ailleurs, tu t'appelles comment ? Tu es mon senpai, non ? »

Tu le bombardais de ton interminable monologue, oubliant complètement cette proposition qu'il t'avait faite. Tu n'étais qu'intéressée par lui, pas du tout par son bento, d'ailleurs la faim était le cadet de tes soucis sur l'instant. C'était important de bien te présenter, tu le savais, alors tu t'étais lancée avec une parfaite honnêteté, comme toujours. Tu étais curieuse, très curieuse d'en savoir plus sur lui, tu laissais un peu tes émotions te guider et depuis déjà de longues minutes, un joli sourire ornait tes lèvres. Finies la colère, la tristesse, la déception. Tu étais revenue à la normale, à la différence que tu parlais à un très beau garçon qui en plus d'être parfaitement ton type, semblait très gentil. La seule chose qui était étrange, c'était de l'entendre bégayer, il y avait sûrement une explication logique à ça...

Alors c’était ça que les gens ressentaient quand Kyojiro continuait à s’excuser alors qu’on lui avait dit que ce n’était pas grave ? Le kendoka s’en voulait soudainement un peu… C’était… C’était assez gênant en réalité ! Pourquoi est-ce qu’elle insistait autant ? Secouant la tête avec légèrement plus de vigueur, se disant que ça aurait peut-être plus d’impact comme ça, Kyojiro lança ensuite un regard un peu plus intense à la demoiselle face à lui.

« J-Je ne suis pas fâché du tout, j-je… Je suis soulagé de savoir que tu t’es t-trompée, j-je… J’avais vraiment peur de t-t’avoir fait du mal… A-Alors… ne sois pas d-désolée, c-ce n’est vraiment pas g-grave du tout. »

Allez… Arrête de t’excuser maintenant… Sinon le kendoka allait aussi s’y mettre ! Et vous auriez l’air fin à vous lancer dans un match de ping-pong d’excuses tous les deux !

Kyojiro préféra donc lui proposer de prendre place à sa table, sentant que les regards autour d’eux se faisaient plus insistants. La demoiselle s’exécuta et les regards commencèrent à se détourner, ce qui fit doucement soupirer de soulagement le Japonais. Son répit fut toutefois de courte durée étant donné que c’était maintenant sa vis-à-vis qui le fixait intensément. Kyojiro tenta une diversion en lui proposant de partager son bento, mais… Ce fut un échec cuisant ! La demoiselle semblait ne pas réussir à s’arrêter après avoir ouvert la bouche, bombardant ainsi le pauvre kendoka avec un interminable monologue. L’étudiant l’avait d’ailleurs regardée avec des yeux ronds, en silence, la bouche légèrement entrouverte, ne comprenant pas trop tout ce qu’elle lui racontait. Trop d’informations d’un coup ! Ah ! Non ! Est-ce qu’elle ne venait pas de lui dire qu’il l’attirait ?! Les yeux de Kyojiro s’écarquillèrent un peu plus alors que ses joues se teintaient légèrement. La demoiselle souriait et semblait aller bien mieux mais… Par où est-ce qu’il était censé commencer maintenant ?

« E-Euh, j-je… J-J’ai joué un peu à P-Pokémon Go sur m-mon téléphone, c-c’est… C’est une… »

Argh… C’était Zelda qui l’avait initié à Pokémon… C’était aussi elle qui avait réussi à lui faire découvrir ce qu’était l’amour avant de disparaître à tout jamais de sa vie. C’était toujours aussi douloureux d’y repenser… Mais la pauvre Mayumi n’avait rien demandé et il était hors de question que Kyojiro la rende triste en parlant de sujets désagréables ! Elle n’avait fait que se présenter après tout, alors il pouvait bien faire de même !

« C’est une a-amie qui m-m’a fait découvrir, m-mais… C-Ca fait un moment qu-que je n’ai pas joué. E-En tout cas, j-je… Je suis ravi de faire ta connaissance S-Shishido-san, j-je… Je m’appelle K-Kyojiro Sakurai, j’étudie le droit, j-je suis en deuxième année e-et j-je fais moi aussi p-partie du club de cuisine. »

Ah… Ça voulait donc dire qu’ils allaient tous les deux être amenés à se revoir régulièrement ! Kyojiro avait donc plutôt intérêt à bien arranger les choses et à ne pas laisser une mauvaise première impression, même si c’était quelque chose d’habituel à cause de son comportement étrange…

« J-Je… Je suis aussi le c-capitaine du c-club de kendo. E-Et euh, je… J-Je suis désolé m-mais… C-C’est qui Arioka D-Daiki ? »

Oui, il était parfaitement ignorant, il le savait ! Déjà que ça ne faisait pas si longtemps qu’il avait appris l’existence de Pokémon…

Kyojiro s’arrêta là dans sa réponse, histoire de reprendre son souffle et de prendre aussi le temps de détailler un peu plus la demoiselle. Elle était mignonne à sourire comme ça et à s’intéresser à lui de cette façon… C’était tellement rare ! Le kendoka ne savait pas trop bien pourquoi, mais la jeune femme lui faisait un peu penser à Zelda… Cette énergie qu’elle semblait avoir en elle, cette spontanéité et cette capacité à être aussi sincère dans tout ce qu’elle disait… Son visage était vraiment super expressif !

Ce fut d’ailleurs pendant ce petit laps de temps d’observation que Kyojiro se souvint d’un détail du monologue de Mayumi : c’était sa première fois dans un établissement scolaire… C’était… étrange non ? La curiosité du kendoka déversa tout un tas de questions dans sa tête, mais, fort heureusement, le Japonais parvint à les filtrer pour n’en poser qu’une seule.

« T-Tu viens d’arriver ? »

Oui, oui, c’était très bien comme question ! Et ça évitait à Kyojiro de lui demander s’il avait bien entendu quand elle avait parlé du fait qu’elle le trouvait attirant !

Les deux étudiants purent continuer à discuter un peu, jusqu'à ce que le téléphone de Kyojiro vienne les couper dans leur élan. La sonnerie avait retenti un peu trop fort dans la cafétéria, le kendoka n'ayant jamais réussi à trouver comment la baisser dans les paramètres, tous les yeux se tournant donc à nouveau vers leur table. Le Japonais s'empressa de raccrocher sous la panique, avant de grogner en voyant qu'il venait de mettre un vent monumental à son père ! Blêmissant à vue d'œil, Kyojiro s'empressa de ranger ses affaires pour se préparer à partir.

« D-Désolé, je... C-C'est un appel important, je... Je dois y aller. À-À une prochaine fois. »

Kyojiro s'en voulait un peu de la laisser en plan comme ça, mais son père ne pouvait pas attendre, surtout pas après s'être fait sauvagement raccrocher au nez de la sorte ! Le kendoka s'inclina à plusieurs reprises devant Mayumi, avant de filer avec son plateau pour quitter les lieux. C'était dommage d'avoir mis fin à cette conversation aussi rapidement, mais Kyojiro n'en doutait pas : ils auraient l'occasion de se revoir un jour !